Bulletins de l'Ilec

Coûts de pub ou message global - Numéro 469

12/12/2017

La communication publicitaire la plus coûteuse s’internationalise, unifiant plus souvent tout ou partie des campagnes. Pour autant, il y a peu de cas de centralisation complète. Entretien avec Nicolas Bordas vice-président international de TBWA Worldwide

Est-ce qu’un même produit donne souvent lieu à une même campagne dans deux ou plusieurs pays ?

Nicolas Bordas : Les produits de grande consommation ne résistent pas au phénomène mondial de l’internationalisation des campagnes sur tous les marchés. Une tendance qui n’a fait que se développer depuis plus de trente ans. Cela ne tient pas seulement à la volonté qu’ont les annonceurs de faire des économies d’échelle sur les coûts de production. Le phénomène est à la fois dû à l’internationalisation grandissante des consommateurs en termes de goût et de culture, et à l’internationalisation des entreprises elles-mêmes, qui cherchent à centraliser leur département marketing, à l’inverse de leur département commercial, qui en général reste localisé.

L’internationalisation de la communication est donc une conséquence naturelle de l’internationalisation du marketing. De plus en plus de marques centralisent au plan mondial ou européen leur marketing produit, et donc leur communication de marque – qui se traduit souvent par un film publicitaire télévisuel pour les produits de grande consommation –, tout en laissant à chaque pays le soin de compléter la communication par des dispositifs promotionnels d’une part, ou digitaux d’autre part, qui sont principalement locaux.

Il y a deux moyens d’arriver à une publicité télé unifiée pour plusieurs pays, soit en la concevant d’emblée comme telle, et en prenant le risque de ne pas tenir compte de certaines spécificités locales, soit en testant et étendant progressivement la publicité jugée la plus efficace d’un pays à un autre. Cette seconde méthode, pragmatique, a l’inconvénient d’être plus longue et plus coûteuse, mais elle a le mérite de garantir la meilleure efficacité. Si la tendance générale est aux campagnes de publicité unifiées, les exemples de communication intégralement centralisée sont peu nombreux en Europe. C’est la publicité télévisuelle, et éventuellement presse, qui est prioritairement concernée.

 Dans quels secteurs est-ce le plus fréquent ?

N. B. : Produits d’entretien et d’hygiène, boissons, alimentation, tous les secteurs de la grande consommation, et surtout ceux où les multinationales sont dominantes. Du point de vue marketing, il faut néanmoins, pour appliquer une telle stratégie centralisatrice, que le positionnement concurrentiel de la marque soit relativement le même dans chaque pays. Ce qui n’est pas toujours le cas, à l’exemple des pâtes Barilla, qui étaient historiquement positionnées en milieu de gamme en Italie, comme une marque populaire, et furent lancées en haut de gamme en France.

Ce type d’écart est de plus en plus difficile à assumer par les marques, quand les consommateurs sont eux-mêmes devenus internationaux, et voyagent – ne serait-ce que sur Internet. Et à l’heure où les grands distributeurs ont également un raisonnement international, qui limite les possibilités de différence de positionnement en prix d’un pays à l’autre.

 L’unification des campagnes est-elle beaucoup plus fréquente entre deux marchés nationaux où est parlée la même langue ?

N. B. : La langue est sans aucun doute un facteur clé. C’est aussi un facteur clé d’intégration et de normalisation des conditionnements. Sans oublier la question du nom : Ariel s’appelle Tide aux États-Unis, et La Vache qui rit, The Laughing Cow en Angleterre, mais ce sont des exceptions, la plupart des marques conservent leur nom en s’exportant.

La langue est une source de culture commune, et il y a en général plus de similarités de marché dans les pays qui parlent la même langue. Le marché anglais par exemple, en termes d’offre et de comportement du consommateur, est sous bien des aspects plus proche du marché américain que du marché européen continental. Il se distingue aussi fondamentalement du marché européen en matière de culture publicitaire. La publicité anglaise est certes très créative, mais aussi très culturellement typée, et s’exporte souvent mal dans le reste de l’Europe. On pourrait dire en quelque sorte que le « Brexit publicitaire » a toujours existé !

La communauté de langue permet aussi une meilleure qualité d’exécution des publicités télévisées internationales, en évitant les problèmes de synchronisation au moment du doublage. Il peut parfois être pertinent de retourner une même idée publicitaire, avec un casting plus crédible au plan local et des dialogues qui sonnent plus juste qu’un mauvais doublage de film américain.

Il arrive néanmoins souvent que le facteur de rapprochement principal ne soit pas la langue, mais la culture de consommation locale. Il y a de part et d’autre des similarités de consommation qui opposent fondamentalement l’Europe du Nord à l’Europe du Sud, et qui justifient des campagnes différenciées, indépendamment de la question du langage.

 Dans quel domaine la culture locale détermine-t-elle plus spécifiquement le ton publicitaire ?

N. B. : Le secteur alimentaire est celui qui résiste le plus à la globalisation européenne ou mondiale. Cela tient non seulement aux différences culturelles liées aux habitudes alimentaires de chaque pays, mais aussi au mouvement de fond de relocalisation de l’alimentation auquel nous assistons. Les consommateurs sont de plus en plus sensibles, sur un grand nombre de segments alimentaires, à la dimension locale. Le phénomène bio, en particulier, contribue à revaloriser les marques locales. Une tendance que l’on retrouve sur le marché des bières, par exemple, avec les bières artisanales.

À l’inverse, les colas locaux n’ont jamais vraiment percé face à la puissance de Coca-Cola. Le monde de la grande consommation alimentaire se structure entre deux pôles : l’hyperglobal et l’hyperlocal. C’est nettement moins vrai dans les produits d’entretien : hors quelques exceptions, les consommateurs y montrent peu d’attachement aux racines locales. Notre degré d’implication local ou national varie grandement en fonction des catégories de produits.

Propos recueillis par J. W.-A.

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