Éditorial
Pichenette - Numéro 451
01/08/2015
Sur les terrains, un « coup de coude » (littéralement nudge) vaut coup franc. Dans l’esprit de ses promoteurs, l’« incitation douce » est plutôt la détente d’un doigt léger sur le pouce : pichenette, chiquenaude. Petite poussée, mais gros effets. Les politiques publiques s’y convertissent, on se pousse des coudes pour en entendre les experts.
Le bagage scientifique qui sous-tend la démarche en impose autant que ses déploiements séduisent, voire amusent. Avec « les nudges », les faiblesses humaines se révèlent sous un jour favorable. Ce sont de nos petits travers (« biais cognitifs ») qu’on se moque, en se félicitant de les voir mis à profit pour une bonne cause. Les behavioral economics ont inventé un utilitarisme salvateur.
À ce jeu, le politique fait plus que lorgner du côté du marché. Les marques, qui doivent peut-être leur longévité à une certaine expertise empirique de l’observation et de la sollicitation des comportements, deviennent pour lui des auxiliaires prisés. D’autant plus qu’elles sont elles-mêmes intéressées par les fins qu’il poursuit.
Incitation douce, à quelles fins justement ? Au bien commun, bien sûr. Pour ses promoteurs, le nudge ne saurait déroger aux visées d’un marketing social répondant à des politiques publiques démocratiquement légitimées.
C’est pourtant là que l’objection s’élève. Au pays de Descartes et de la raison raisonnante, la vertu civique ne devrait-elle pas toujours passer par une claire conscience des comportements et de leurs ajustements ? La critique du nudge lui reproche de marginaliser le temps de la délibération, d’où résulte la volonté de voir évoluer les comportements. C’est que, pour les objecteurs, le temps de la délibération s’étire jusqu’à celui de la mise en œuvre, attendue de consciences mobilisées en permanence à l’appui des normes nouvelles. Vieux pays de professeurs, où rien ne vaut qui n’ait une visée éducative…
Mais si cela doit se traduire par un moindre résultat, pourquoi à la pichenette préférer la harangue ?
La contradiction entre conscience et stimulus, fondée intellectuellement, est un peu formelle. Les nudges s’appuient sur les normes, ils ne les font pas évoluer, ce qui paraît futile aux politiques normalisatrices ; en même temps ils agissent en complément à la pression sociale que ces politiques stimulent. Mais en complément ironique, dont le message implicite est que moins de pression serait peut-être recommandable. Que trop, ça finit par briser les élans. Comme un mauvais coup de coude.
François Ehrard