Bulletins de l'Ilec

Certification lenteur - Numéro 470

12/01/2018

Production naturelle et esprit de filière, et usage à l’opposé du tout-en-un : les produits de beauté « lents » se sont fait une petite place. Entretien avec Julien Kaibeck, fondateur, de la « Slow Cosmétique »1

Votre intérêt pour la « slow cosmétique » est-il directement inspiré du « slow food » lancé par Carlo Petrini en 1986 à Turin ?

Julien Kaibeck : Oui et non. Il est certain que le mouvement slow food m’a inspiré lorsque j’ai inventé le terme « slow cosmétique » en guise de titre pour mon ouvrage paru en 2012 Adoptez la Slow Cosmétique. Ce livre préfacé par Jean-Pierre Coffe, qui m’a parrainé, visait à dénoncer les abus marketing et les enjeux environnementaux de la cosmétique conventionnelle. Trop de produits, trop de messages trompeurs, trop de plastiques et de pétrochimie dans nos produits de beauté, et le tout commercialisés trop vite : c’est contre cela que la slow cosmétique se positionnait, comme dans les années 80 le slow food contre le fast food. Avec le succès du livre, nous avons créé l’Association Slow Cosmétique, pour défendre la marque et promouvoir le concept d’une cosmétique plus sensée et naturelle. Nous avons évidemment pris contact avec Slow Food International, et nous avons d’ailleurs établi le siège de l’association en Belgique, à Silly, une commune faisant partie du réseau européen Cittaslow, des municipalités intégrant slow food et « slow living » dans leurs politiques. Le mouvement Slow Cosmétique est aujourd’hui une organisation bien séparée du slow food, sa méthodologie diffère, même si les objectifs sont similaires.

Pourquoi les cosmétiques ? S’agit-il plus de leur production ou de leur usage ? De promouvoir des produits, bio ou apparentés, plus « lents » dans le processus de fabrication ? En quoi le sont-ils du côté consommateur et de leur usage ?

J. K. : La cosmétique est un secteur très important de notre économie, et plus de 85 % des produits disponibles sur le marché sont conventionnels, ce qui signifie qu’ils répondent strictement à la réglementation, mais utilisent beaucoup d’ingrédients sujets à polémiques sur la santé ou l’environnement. Les silicones, les microplastiques, les huiles pétrochimiques et beaucoup de conservateurs sont des ingrédients dont on peut se passer, pour autant qu’on adopte des produits moins transformés, plus naturels et plus ancrés dans les terroirs, selon une gestuelle adaptée.

La Slow Cosmétique est « lente » à plusieurs titres. Les produits que nous recommandons sont plus fragiles, car composés d’huiles végétales ou de jus végétaux. Ils se conservent moins longtemps, et sont, pour certains, plus difficiles à élaborer, car ils font usage de productions agricoles ou artisanales non standardisées. Ces produits reçoivent la mention Slow Cosmétique après un examen minutieux de leur formule et de leur marketing. Notre mention est une récompense qui demande du temps pour être acquise. Nous la remettons, comme une étoile au Guide Michelin, exclusivement à des marques aux formules propres et au marketing raisonnable. Depuis 2013, nous avons ainsi félicité 157 marques triées sur le volet, dont on trouve la liste sur Slow-cosmetique.org.

Et puis les gestes de la Slow Cosmétique aussi nous invitent à la lenteur. On prend le temps de se démaquiller à l’huile, puis au savon à froid, puis à l’hydrolat, trois étapes essentielles qui précèdent un massage long et doux du visage avec de l’huile vierge. Cette routine prend le soir plusieurs minutes, durant lesquelles on renoue avec le plaisir du soin de la peau, avec celui des arômes de plantes et d’extraits vraiment nobles. Enfin, les valeurs éthiques de la Slow Cosmétique demandent également un peu de temps. Avant d’acheter un produit, on réfléchit à son usage, à sa vraie nécessité, et on prend le temps d’analyser sa formule, en lisant la liste des ingrédients sur l’emballage, si difficile à décrypter.

La Slow Cosmétique est un investissement libératoire et salvateur, car en la pratiquant on se libère des diktats de la cosmétique conventionnelle, qui veut trop souvent que tout soit rapide, efficace et tout en un, en oubliant de s’intéresser à la qualité des excipients qui pourtant constituent la plus grande partie des produits, et la nourriture de la peau. Nous invitons les consommateurs à consommer moins mais mieux. Moins, en utilisant moins de produits et moins d’argent. Mieux, en privilégiant les produits dont la composition est vraiment naturelle, donc non polluante, et vraiment noble, ancrée dans le terroir et le savoir-faire de celui qui produit.

Le Slow Cosmétique est-il associé à la permaculture ?

J. K. : Parmi les marques lauréates, une minorité de producteurs d’essences naturelles et d’extraits végétaux ont recours à la permaculture et aussi à la biodynamie. C’est le cas en Corse, où de petits producteurs font un travail exceptionnel sur les plantes du maquis, pour les cultiver dans le respect de leur nature tout en répondant à une demande croissante. En cosmétique, la filière a un intérêt certain. La production bio y est économiquement viable.

Combien ce que vous certifiez pèse-t-il en part de marché ?

J. K. : Si l’on considère les parts de marché des 157 marques qui portent la mention Slow Cosmétique, elles représentent à peine 1 % du marché des cosmétiques dans le monde occidental. Notre association est présente en France, en Belgique et en Espagne surtout, mais nous avons aussi félicité des marques aux États-Unis, au Canada et au Royaume-Uni.

1. www.slow-cosmetique.org ; site marchand des artisans lauréats www.slow-cosmetique.com.

Propos recueillis par J. W.-A.

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