Articles

L’avenir des marques à l’aune du digital

01/01/2019

Le digital vient rebattre les cartes du marketing et fragiliser la place des marques, obligeant ces dernières à redéfinir leurs relations avec les consommateurs, au risque pour la grande majorité d​‌’entre elles de décliner, voire de disparaître.

En quoi le digital nous fait-il entrer dans une ère et des valeurs nouvelles, impliquant un nouveau rapport des consommateurs aux marques et réciproquement ? Doit-il être considéré comme une menace ou une opportunité pour les marques ?

Laurent Habib : Le digital a construit une extraordinaire opportunité pour les marques, en donnant la possibilité aux petits commerçants de s’adresser au monde entier, et aux marques de parler à chacun pour une dépense moins importante que lorsqu’il n’était possible que de parler à tous. Le digital offre une connaissance client sans précédent et permet de contextualiser le contact, voire même d’adapter l’argumentaire. Logiquement, le communicant et le marketeur peuvent se sentir plus puissants que jamais et espérer tirer le meilleur profit du digital. Mais derrière cette évolution, il y a une mutation culturelle qui modifie en profondeur le rôle des marques. Dans l’économie issue de l’après-guerre, et qui s’est particulièrement développée dans les années 1980, les marques tiraient leur importance de leur rôle fondamental. C’étaient elles qui apportaient à la chose, au produit et au service un enrichissement par l’idée, l’esprit, l’âme, dont elles étaient à la fois porteuses et dépositaires. La consommation s’est ainsi progressivement déplacée du bien physique vers sa valeur métaphysique ou immatérielle. C’est cette évolution qui a donné aux marques une place essentielle dans l’ère moderne du capitalisme. Mais avec le digital se met en place un nouveau rapport à la consommation, qui est drivé par quatre exigences devenues largement prédominantes : la simplicité, la rapidité, la fonctionnalité, et le prix. Il n’existe pas aujourd’hui de domaine de communication qui échappe à ces impératifs. Et plus l’expérience d’acquisition est dominée par le digital, plus s’imposent ces principes. On n’imagine plus de perdre du temps ou de l’argent dans l’achat d’un bien ou d’un service. On n’imagine pas plus de ne pas pouvoir comparer. Et on trouve bizarre qu’une pizza soit livrée en plus de 30 minutes et un produit manufacturé en plus de 24 heures. Dans cette redéfinition des principes de la consommation, les marques en prennent un coup à chaque fois qu’elles ne satisfont pas ces quatre exigences, sauf à prendre des chemins de traverse. Il y a bien sûr de nouvelles  consommations qui apparaissent, liées à l’ultra-luxe, au communautaire, à la rareté, à l’engagement sociétal, mais lorsque la consommation est dominée par des exigences fonctionnelles, alors elle peut se passer des marques.  Les marques sont donc en danger mortel dès lors qu’elles ne portent pas en elles-mêmes, ou à travers l’expérience qu’elles construisent, une proposition profondément originale, vérifiable et créatrice de valeur pour le consommateur… Évidemment, cette évolution s’accélère avec le développement de l’interface vocale, qui va naturellement diminuer les évocations de marque dans les commandes des consommateurs : qui dira « Je veux des piles Duracell » lorsqu’il s’adressera à Alexa pour faire ses courses ?

Dans ces conditions nouvelles créées par les interfaces vocales, quelles sont les conditions de survie des marques ?

L.H.: Il appartient à chaque marque de respecter trois règles.

Première règle : rester en relation pour demeurer présent à l’esprit. Dans la plupart des pratiques de consommation, imposer une marque est un combat. Dans le « repeat business » (l’eau, les sous-vêtements pour homme…), la marque doit tout faire pour rester au cœur de la consommation quotidienne. Pour les business intermittents, la marque doit être présente à l’esprit dès lors que se prépare l’acte d’achat. Dans tous ces combats, la question des contenus est devenue vitale, puisque ce sont eux qui permettent d’entrer ou de rester en relation.

Deuxième règle : construire sa différence par le produit ou le service, mais aussi au-delà de lui. Lorsque la marque se préoccupe d’avoir un idéal, un purpose ou plus prosaïquement un engagement, encore faut-il que celui-ci soit spécifique et différenciant. Aujourd’hui, beaucoup de purposes ne font que rendre hommage à un consensus mou, voire même à une banalité unanimiste.

Troisième règle : repenser l’expérience, de fond en comble, pour créer ou recréer une vraie valeur ajoutée. Beaucoup de commerçants et de distributeurs s’en tiennent à la logistique quand il faudrait tout réinventer pour survivre face au digital. Et sur le digital, il y a encore beaucoup à inventer pour proposer une alternative de consommation à Amazon.

Quelle place pour la créativité  quand  l’intelligence  artificielle (IA) pourrait, dit-on, remplacer l’homme ? Les algorithmes ne vont-ils pas prendre  la  place  des  humains  ?  Quels  sont  les savoir-faire complémentaires des algorithmes qu’il faut demain promouvoir en communication et en marketing ?

L. H. : La nouvelle donne technologique s’impose à tous les acteurs et le futur se construira autour d’elle. Mais lorsque l’algorithme et la data conduisent les décideurs aux mêmes solutions, aux mêmes interfaces, aux mêmes produits, aux mêmes argumentaires et aux mêmes médias, alors la technologie détruit une valeur fondamentale de notre société. Sans parler des enjeux éthiques liés à la confidentialité et à la maîtrise des données personnelles. La créativité, et plus largement l’intelligence humaine, ont aujourd’hui un rôle vital à jouer : elles permettront de mieux connaître l’être humain, ses émotions, ses ressorts cachés, ses comportements réels, ses aspirations ; de mieux l’inspirer, le séduire ou le surprendre pour créer un vrai engagement ; et enfin de mieux créer avec lui, autour de lui, pour que le salarié et le consommateur soient plus que jamais au cœur de la démarche marketing. Face à une IA incontournable, il faut une intelligence humaine éblouissante.

Pour accéder à l'article complet, cliquez sur Article au format PDF

Nous utilisons des cookies pour vous garantir la meilleure expérience sur notre site. Si vous continuez à l'utiliser, nous considérerons que vous acceptez l'utilisation des cookies.