Quand RSE et business font route commune
12/04/2017
Marque employeur et marques produit… Pourquoi le temps de la réconciliation autour du sens et de l’humain est-il venu ?
par Olivier Classiot,
Directeur associé Des enjeux et des hommes
Nous vivons actuellement une période sans précédent dans la vie des entreprises et des marques, singularisée par plusieurs changements clés. Chacun est important, mais c’est le fait qu’ils aient lieu en même temps qui crée un « alignement des planètes », une opportunité unique. Pourtant, peu d’acteurs ont le périmètre d’observation pour s’en rendre compte. En entreprise, les équipes RSE, RH et marketing agissent. Mais faute de prendre conscience de cet « alignement des planètes », elles le font chacune de leur côté.
Or il nous paraît évident qu’une approche plus cohérente permettra d’aller beaucoup plus loin et de créer de la valeur durable pour l’entreprise et pour ses marques. Celle-ci implique très directement les marques et donne une vraie responsabilité aux équipes marketing qui les pilotent.
Trois champs en évolution
Le premier est celui qui lie le business et la RSE. Longtemps, celle-ci a été un sujet séparé, au mieux satellite, du business. La direction RSE militait pour que l’entreprise prenne en compte son écosystème, mais cela donnait souvent lieu à une approche défensive, de compensation des impacts négatifs (environnementaux ou sociaux). Elle formulait un plan d’action spécifique, avec ses propres indicateurs et des propres outils de reporting. Or nous vivons actuellement un premier changement majeur : il tient au fait que les entreprises échafaudent en ce moment leur nouveau plan stratégique à 2020, 2025, voire 2030 parfois et que les plus innovantes y ont pleinement intégré la dimension RSE. Ce changement est fondamental, car tout à coup, toutes les forces de l’entreprise doivent converger et s’adapter pour atteindre ces ambitions stratégiques. La RSE vient alors enfin toucher le coeur de l’entreprise : ses offres de biens ou de services, voire parfois son modèle économique. Cette fenêtre de cycle stratégique, nous devons en faire une opportunité de transformation !
Second champ qui évolue fortement : celui qui lie l’entreprise et ses équipes.
Nous faisons depuis longtemps le constat d’une déconnexion entre l’entreprise et le salarié. Ayant parfois le sentiment qu’il doit laisser ses valeurs au vestiaire, il ne trouve pas toujours dans l’entreprise classique de réponses à ses aspirations. La marque employeur, pilotée par les directions RH, avait été inventée 1 pour attirer les talents et les fidéliser en répondant à leurs attentes. Toutefois, elle s’est longtemps concentrée sur le package accordé aux salariés. Et si elle leur parlait de sociétal, ce n’était pas en lien avec leur métier, mais en dehors, via des initiatives de mécénat de compétence ou des partenariats associatifs.
Or nous vivons actuellement un changement de palier : les salariés-citoyens ont non seulement envie de trouver du sens dans leur métier, mais ce critère va parfois jusqu’à prendre le pas sur les autres dimensions (salaire, avantages…). En témoigne également les statistiques de jumping out, où les plus entrepreneurs décident d’aller monter leur boîte. Il ne s’agit plus de trouver du sens à la marge, mais dans ce à quoi nous passons la majeure partie de notre temps : notre emploi. Il revient donc aux DRH de répondre à ces attentes via une approche innovante de la marque employeur, qui donnera une vraie place au sens de cette collaboration.
Troisième champ en mouvement : celui qui lie les marques (produits, commerciales) aux clients/consommateurs. Nous ne pouvons que constater que la crise de confiance née il y a quelques années n’est pas résolue. Le consommateur pense encore que la marque, et derrière elle les marketeurs, n’a pas son bien-être en tête et le manipule. Après des années de communication et de publicité teintées de greenwashing, il doute d’elle et accorde plus aisément sa confiance aux autres consommateurs, aux KOL, aux ONG…
Les marques ont tenté d’agir pour remonter la pente, mais les voies retenues étaient là encore limitantes : soit elles tentaient de rassurer le client, via des approches uniquement défensives, centrées sur la compensation de leurs impacts négatifs. Ce qui donnait lieu à des contenus peu aspirationnels (labels, étiquetage…) ; soit elles cédaient à la tentation de résumer leur engagement au choix d’une croisade sociétale, en s’associant à une cause externe, souvent en partenariat avec une ONG, et trop souvent sans lien avec leur activité ou leurs vrais enjeux de responsabilité. Or aujourd’hui, autre changement clé, une nouvelle tendance profonde émerge. Elle tient au fait que nos clients et consommateurs ont désormais exactement les mêmes interrogations que les personnes qui envoient leur CV à nos équipes RH. Leurs questions sont très concrètes : qui fabrique ce produit ? Et dans quelles conditions ? Qui est derrière cette marque ? Qui dirige l’entreprise ? Puis-je leur faire confiance ? Quelle est leur vision du monde, leur projet ? Vais-je m’investir à leurs côtés ? Allons-nous faire un bout de chemin ensemble ?
Et puis, sous couvert de communication responsable, elles ont parfois oublié le fait que le consommateur aspire désormais au dialogue, à la conversation et qu’il veut se faire sa propre opinion. Aujourd’hui, pour survivre dans la durée, pour obtenir le sésame de Love Brand, les marques vont devoir être avant tout meaningful (utiles) sans pour autant perdre leur âme. C’est l’ambition du concept émergeant de RSM (responsabilité sociétale des marques), qui doit être conjugué avec celui de RSE. L’erreur à ne pas commettre serait de faire de la RSM le nouveau concept à la mode sur lequel on travaillerait dans un silo en se centrant uniquement sur sa marque. Car en prenant conscience de ces trois changements, nous découvrons que nous sommes à l’aube d’un tipping point que nous pouvons aider à faire émerger. C’est le fameux alignement des planètes dont nous parlions plus tôt. Il nous invite à repenser la manière de travailler ensemble. Et nous allons voir que nous pouvons agir de manière innovante à trois niveaux, en misant sur le sens et sur les hommes.
Le premier levier que nous pouvons activer tient au fait de formuler le « WHY ? », la vision du monde, la raison d’être de l’entreprise. Pour ce faire, il importe d’impliquer les dirigeants (top managers, actionnaires, fondateurs, administrateurs…) et de les aider à se projeter à long terme (10 ans, 15 ans). Cette raison d’être, ce WHY ? , va jouer le rôle d’un phare dans la nuit, apporter le sens qui manque souvent et qui sera le pivot pour la suite : la marque employeur pourra s’y référer afin que tout salarié comprenne à quoi il contribue, via son métier. Quant aux marques produit, elles pourront, dans ce cadre, se concentrer sur les consommateurs, identifier les sujets qui les touchent, accompagner leur montée en maturité et les engager progressivement. L’approche de RSM va consister à connecter le brand purpose et ce WHY ?
On voit bien que dans cette approche vertueuse, la marque employeur et les marques produit d’une même entreprise peuvent cohabiter et se compléter pour créer plus de sens. Ce WHY ? est donc une étape fondamentale. Et ceux qui pensaient que les top managers étaient réticents à penser leur entreprise au sein de son écosystème se trompaient.
C’est passionnant de revenir avec eux aux fondamentaux du « pourquoi votre entreprise existe-t-elle ? » et de « quel monde voulez-vous créer ? ».
Le second levier est celui de l’intelligence collective. Il tient au fait de changer notre manière de travailler au sein des équipes marketing. Notamment en faisant collaborer les différentes marques (employeur et produit) hébergées au sein d’une entreprise. Cela requiert un vrai accompagnement du changement et une modification de la culture de travail des marketeurs (et de leurs agences). Pour ce faire, nous avons mis au point une approche d’intelligence collective qui s’articule autour d’un symbole : celui de l’Arbre du Sens (Tree of Sense). Il a pour but de formuler et de partager un socle commun à toutes les marques : les racines (la raison d’être, les valeurs de l’entreprise, les enjeux RSE clés…) et le tronc (les process partagés, les initiatives trans verses…). Une fois ce socle posé, nous pouvons alors libérer les marques. Cela veut dire leur donner le mandat de choisir dans ce cadre pertinent les sujets qui feront écho aux attentes et aspirations de leurs consommateurs. C’est ici que le talent créatif des agences et la bonne connaissance de l’ADN de la marque viendra traduire la RSM en campagnes et initiatives créatives et efficaces. C’est aussi ici que la diversité culturelle des consommateurs peut être traitée efficacement. Les marques produit ont cette habitude et cette agilité pour accompagner les consommateurs selon leur niveau de maturité. En fait, penser la RSM isolément n’a plus de sens. Cette intelligence créative, pour être productive, doit s’insérer dans une approche globale où l’entreprise reprend sa place : celle du socle qui porte et soutient les marques qu’elle héberge.
Prenons deux exemples pour illustrer la force de cette approche. Yves Rocher a décidé de créer la marque Groupe Rocher pour permettre à l’entreprise de créer de la valeur et de prendre la parole en complément de ses marques commerciales. Ainsi, les huit marques du groupe peuvent désormais prendre appui sur ce socle RSE et y puiser les sujets qui vont toucher leurs coeurs de cible : leurs clientes et clients.
Autre exemple : Unilever est un groupe engagé en RSE et crédible sur ce thème. Alors que d’autres marques telles que Ben & Jerry’s ou Dove avaient utilisé la RSM pour nourrir leur plateforme de marque, la marque Axe était longtemps restée une marque décalée. Dans ce cadre, les équipes marketing d’Axe ont pu décider d’inventer la manière unique dont cette marque allait pouvoir aborder des sujets de société clés, tels que la surconsommation d’eau ou l’estime de soi. De là découle à la fois le concept de Shower Pooling 1, (ou comment parler d’économies d’eau à des ados en leur proposant de partager leur douche…) et plus récemment la campagne « Find your Magic » 2, qui permet à Axe de traiter de l’estime de soi en emboîtant le pas à Dove. Tout y est : Axe aborde ces sujets avec humour, sans tomber dans une approche RSE culpabilisante ou trop sérieuse et finit par gagner en profondeur. Est-ce qu’un ado trouvera ce nouvel axe ringard… je ne le pense pas !
C’est ici, dans le haut de l’Arbre du sens, que la RSM vient prendre le relais de la RSE. Ce travail est évidemment nourri de recherches, d’analyses de matérialité, de diagnostic des actions RSE/RSM existantes… mais aussi d’un travail d’acculturation à l’ADN de chaque marque et de prise en compte des insights clients qui leur sont propres. Cette approche a un autre bénéfice : celui de rendre les sujets RSE/RSM attrayant pour les marketeurs et donc de libérer des moyens pour pouvoir les aborder et faire changer les comportements de manière inspirante et positive. Le troisième levier est celui de la « rencontre humaine ». Par le passé, les marketeurs ont inventé des personnages, choisi des égéries… dans le but de créer de la connivence, de porter des valeurs de marque… Aujourd’hui, nous pouvons réinventer la rencontre entre les personnes qui font l’entreprise (ses salariés et partenaires) et ceux qui la font vivre. Car qui est bien placé pour me parler de cette entreprise, de cette marque, de son WHY ? , de ses valeurs, de ses ambitions… si ce n’est son dirigeant ou ses managers ? qui pourra me parler de manière crédible de ce que l’entreprise met en place en matière de RSE ? qui pourra me faire vibrer et me sentir proche de la marque, sinon les personnes qui traduisent ses intentions dans leurs actions au quotidien ? qui pourra me parler d’un produit et de la manière dont il fait la différence à chaque étape de son cycle de vie, si ce n’est le vendeur ou la conseillère que je vais croiser en retail ? L’humain reprend une place clé dans un parcours client omnicanal où certains sujets requièrent que deux personnes, deux personnes physiques (vs personnes morales) se rencontrent.
Prenons un exemple concret : qui peut me parler des engagements RSE de la marque Moët & Chandon ? Faute de place sur l’étiquette de la bouteille, faute de boutiques en propre… je dois me creuser la tête en tant que marketeur. Et en ayant finement analysé mon parcours client, je peux repérer une opportunité. Ainsi, en formant et en outillant les guides qui font chaque année visiter les caves de la marque à quelque 200 000 visiteurs venus du monde entier, je profite pleinement d’un temps d’échange unique et crée une expérience client qui changera le regard de ces personnes sur la marque. Pendant 60 minutes, en parcourant les 28 kilomètres de caves, je vais découvrir les enjeux environnementaux et les bonnes pratiques de la maison : la « confusion sexuelle » utilisée pour limiter les pesticides, la viticulture raisonnée… je vais échanger avec mon guide, le sommelier, la vendeuse du showroom… et repartir enrichi d’une expérience qu’aucune publicité n’aurait pu générer. Quelques marques comme Botanic l’ont compris et misent sur cette idée de partager un référentiel, une vision du monde pour créer une relation dans la durée.
En résumé… en 2017, le meilleur ambassadeur de la marque c’est l’Insider. Et s’il est moins lisse et parfait que l’acteur que nous aurions choisi il y a quelques années pour jouer son rôle, il n’en sera que plus authentique ! Reste à le former pour qu’il comprenne ces enjeux et puisse faire le lien avec son métier, au quotidien, bien avant de devenir un ambassadeur temporaire de ces engagements. Autre exemple qui montre le besoin de créer parfois les conditions de cette rencontre : une cliente Yves Rocher passe environ quatre minutes par visite dans sa boutique préférée. Comment trouver le temps de partager avec elle cette vision du monde qui fait de la marque hébergée par le Groupe Rocher une marque si différente des autres ? Peut-être que cette année, je vais décider en tant que marketeur de ne pas lui offrir un cadeau classique (bracelet, etc.), mais un soin.
Et pendant ce soin, avec douceur et pédagogie, c’est l’esthéticienne de la boutique qui va lui expliquer les choses, cerner ses questions, ses préoccupations… et partager ce que cette marque fait d’exceptionnel. Cela expose les salariés, mais rappelons-nous que l’alignement des planètes nous dit que le fait de partager la réalité d’un engagement authentique est aussi une manière pour eux de se sentir partie prenante du WHY ? Et une fois ce moment fort généré, il sera plus facile d’utiliser les autres canaux (Internet, applications, cartes de fidélité…) pour entretenir la relation avec la cliente sur ces sujets forts.
Cette nouvelle approche permet d’innover en utilisant le plein potentiel de création de valeur de toutes nos marques. Elle induit un changement culturel au sein des équipes marketing qui doit être accompagné. Et elle réclame un processus de travail robuste, outillé, et dans lequel chacun trouve sa place pour générer un bénéfice supérieur. Enfin, elle propose de nouveaux critères de mesure de la performance : par exemple, Botanic 3 a décidé de miser sur le taux de fidélité des clients plutôt que sur la part de marché pour évaluer la robustesse de sa démarche à long terme.
Notes
(1) www.youtube.com/watch?v=sNFpfZ70EWs
(2) www.youtube.com/watch?v=WzTSE6kcLwY
(3) Cf. Article Botanic ou la nature pour fil vert
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