Michel & Augustin, couple fécond
07/10/2016
Trublion, Michel et Augustin l’est sur le plan du goût, sa signature en témoigne. Mais l’esprit trublion irrigue davantage l’entreprise, lui confère une singularité d’où elle tire énergie et force. Les preuves…
Entretien avec Augustin Paluel-Marmont,
Cofondateur et PDG de Michel et Augustin
Danone (Danone Manifesto Ventures) 1 vient d’entrer dans le capital de Michel et Augustin à hauteur de 40 % , aux côtés d’Artémis 2 et des fondateurs. Un mariage de raison ? David s’allie à Goliath ? Qu’apporte Danone à Michel et Augustin (recherche, puissance financière, commerciale…) et réciproquement ?
Augustin Paluel-Marmont : C’est une étape incontournable, une belle étape qui va nous permettre d’accélérer, de déployer la marque en France – où nous pouvons tripler notre taille – comme à l’étranger. Avec Michel, nous avons bâti cette aventure dans l’idée d’en faire une aventure mondiale, de faire rayonner le savoir-faire pâtissier français dans le monde entier. Cela aurait pu prendre beaucoup de temps, nous avons choisi la rapidité. Le partenariat avec Danone est nécessaire et souhaité pour atteindre notre ambition de départ.
La singularité de Michel et Augustin sera-t-elle conservée ?
A. P.-M. : L’entreprise est toujours le reflet des femmes et des hommes qui la constituent et l’animent. L’équipe reste aux manettes, l’utopie demeure. Nous gardons notre âme et demeurons très vigilants sur les critères de recrutement, pour être certains que les gens qui nous rejoignent partagent les mêmes valeurs, la même philosophie de vie. Tous les grands groupes savent très bien que, pour laisser une pépite se déployer, il faut lui laisser une paix royale, et qu’il faut être davantage réactif qu’anticipateur.
Michel et Augustin, c’est d’abord historiquement Les trublions du goût, vous étiez deux à l’origine pour concevoir les recettes. Aujourd’hui, combien de divisions comptent Michel et Augustin ?
A. P.-M. : Nous sommes aujourd’hui plus d’une centaine de trublions, avec une moyenne d’âge de 29 ans, basés à Paris, Lyon, Londres, New-York mais aussi en Belgique et en Suisse. C’est une équipe extrêmement sympathique – n’oublions pas que le principal actif de notre aventure est la qualité humaine des trublions qui la composent : passionnés, ambitieux pour eux-mêmes comme pour le projet, avec une mentalité d’entrepreneur. C’est l’équipe qui, aujourd’hui, porte au quotidien cette aventure.
Et combien de trublions pour imaginer les recettes ? Associez-vous les consommateurs à leur élaboration ?
A. P.-M. : Cinq personnes, de l’ingénieur agro au CAP pâtissier, sont chargées de l’innovation et des recettes sous le patronage de Dorothée. Avec les consommateurs, toute l’aventure est partagée en temps réel ou « à cerveau ouvert », que ce soit à la Bananeraie, sur nos packagings, sur les réseaux sociaux 3…
Existe-t-il un N° 5 ? Des regrets pour des recettes qui n’ont pas marché ?
A. P.-M. : Le produit qui, encore aujourd’hui, incarne le mieux l’innovation, la qualité et la performance, c’est la mousse au chocolat en format familial, à partager dans un pot à anse. Elle représente 25 % de part de marché à Paris. Citons également la Vache à boire lancée en 2006, le « Bertillon » des yaourts à boire, qui a permis à l’aventure de décoller. Enfi n, n’oublions pas les cookies coeur fondant, qui cartonnent. Aujourd’hui, nous proposons une centaine de recettes : 45 % dans le frais, 45 % en épicerie, 10 % en boisson. Au nombre des regrets : un sablé au sarrasin, la Vache à boire pêche-lait d’amande et le yaourt grec.
Michel et Augustin est également un trublion de la communication, dans le droit fil de Ben & Jerry’s, adoptant la forme du street marketing ou de la guérilla marketing. Quelles « trublionnades » singularisent le plus la marque dans son histoire ?
A. P.-M. : Ce qui nous singularise, c’est que nous communiquons en payant de notre personne, en nous engageant. Nos exhibitions en tenue de vache sur le quai de la station de métro La Motte-Picquet-Grenelle, ou déguisés en vache imitant Michael Jackson dans les couloirs de Monoprix, ou encore dévalant à ski les escaliers de Montmartre, notre intervention à une assemblée générale de Danone, au Salon des entrepreneurs de 2007 quand, déguisé en serveur, j’ai déposé une Vache à boire sur le pupitre de Bill Gates. Anne-Claire, responsable des ressources humaines, recrute, elle, dans le métro (4). Notre plus récente trublionnade est le cas Starbucks.
Trublions, vous l’êtes dans la conquête des marchés, comme l’atteste le cas Starbucks. L’épopée de Charlotte et Hassan relevait-elle d’une initiative personnelle ? Combien de magasins livrez-vous à ce jour ?
A. P.-M. : Rien n’est calculé, tout est spontané, comme on a l’habitude de faire. C’est une aventure one shot, la cerise sur le gâteau ! L’accord représente potentiellement plusieurs millions de produits, mais attention, n’oublions pas le gâteau. C’est-à-dire des fondamentaux solides au travers des enseignes de distribution, car ce qui compte, c’est de vraiment réussir notre implantation à New York, avant d’essaimer au-delà. Il faut grandir dans la distribution dite traditionnelle. Aujourd’hui, nous sommes présents dans 1 000 points de vente à New York. Les bases et les fondamentaux doivent être solides pour ensuite décoller. On a d’énormes ambitions aux États-Unis, la meilleure preuve, c’est que je me suis installé à New York. Nous sommes une quinzaine de personnes à la Bananeraie, mais on vient avec beaucoup d’humilité, parce que les Américains ne nous ont pas attendus pour faire des cookies. Ici, tout ce qu’on a fait avant ne compte pas. Il y a deux volets de business aux États- Unis : le retail classique et les coups one shot. À ce jour, la marque Michel et Augustin est présente dans 7 624 cafés Starbucks, répartis dans les 50 États américains.
Michel et Augustin est également trublion dans le management hommes/femmes. Peut-on parler d’un état d’esprit familial au sein de la Bananeraie ? Qu’est-ce qu’être « entrepreneur dans l’âme » selon vous ?
A. P.-M. : C’est le partage d’une passion, c’est être acteur de sa vie, tout le contraire des entreprises qui infantilisent les équipes. On essaye de rendre chacun entrepreneur et acteur de sa vie au sens large, pour qu’il soit en mesure de prendre des initiatives. Les hiérarchies sont courtes, chacun a le droit à l’erreur. On fait confi ance à l’individu et à son intelligence émotionnelle, pratique, sensuelle. Il ne faut pas s’encombrer de codes sociaux qui rigidifient la créativité et le talent des individus.
Vous avez engagé un directeur commercial arrivant d’Unilever. Peut-on, quand on vient d’un grand groupe, comprendre les singularités d’une PME ?
A. P.-M. : Oui, à condition de bien s’imprégner de la culture de cette PME et d’abandonner tout système prêt à être appliqué.
Comment cultiver et activer l’esprit trublion, croire toujours en « l’aventure » ?
A. P.-M : Le premier jeudi de chaque mois, nous ouvrons les portes de la Bananeraie : Boire une vache avec (le cas Fillon), Une nuit à la belle étoile…il faut se laisser porter par la créativité, notre sensibilité, le sens que l’on donne à nos événements. Tout se fait de manière très spontanée.
L’esprit trublion aux États-Unis, plus facile qu’en France ?
A. P.-M. : Non, c’est une erreur que de croire les Américains sont des trublions, des rebelles.
La présence de Michel et Augustin aux États-Unis a pour but d’y faire connaître la gastronomie française. Cette présence peut-elle en retour donner des idées de recettes à importer en France ?
A. P.-M. : Oui, tout à fait, les Américains sont très dynamiques en termes d’innovation agroalimentaire. Nous sommes donc très attentifs à ce qui se passe sur le marché américain.
Toutes les usines de Michel et Augustin sont pour l’heure françaises ou européennes. Demain, des fournisseurs pourraient-ils être américains ?
A. P.-M. : Oui, c’est une piste à développer à moyen terme. Ce qui est fondamental pour nous, c’est le savoir-faire pâtissier français ; le déployer avec des partenaires industriels américains serait intéressant, il n’y a pas de dogme français en matière de fabrication. L’avenir ne doit pas être déterminé par l’opportunisme ou la pression des médias, mais par de vraies convictions qu’il convient de mettre en musique.
Quelles ont été les épreuves, les défis formateurs (le recrutement…) ? être trublion hier, trublion demain ?
A. P.-M. : Le plus grand défi, c’est de fédérer, de fidéliser, de faire grandir l’équipe. L’Homme est ce qu’il y a de plus difficile à appréhender. Nous n’étions pas trublions hier de la même manière que nous le serons demain, car l’équipe évolue, grandit, murit. Le Michel et Augustin du passé n’est pas celui du présent, non plus que celui du futur.
10 millions d’euros en 2010, 40 millions en 2015… et demain ? Michel et Augustin a-t-il vocation à devenir un groupe ou à demeurer une PME ?
A. P.-M. : Je ne connais pas la différence entre les deux. On a, à terme, un potentiel de marché de 500 millions d’euros. Là où est l’eau Evian dans le monde, là doit être Michel et Augustin. La marque et l’aventure Michel et Augustin y ont leur place.
Hassan et Charlotte, success story chez StarbucksAu printemps 2015, l’assistante du numéro deux de Starbucks appelle Michel et Augustin en disant : « Mon boss est tombé sur vos petits cookies dans un magasin à Manhattan, il les a trouvés délicieux, pouvez-vous m’envoyer des échantillons pour un comité de dégustation ? ». Les coûts de livraison étant à peine moins chers qu’un billet d’avion, Michel et Augustin décide d’envoyer deux salariés pour tenter au culot de décrocher un rendezvous avec le PDG, Howard Schultz. Charlotte et Hassan ont posté un petit film racontant leur épopée de l’aéroport de Roissy à l’ascenseur conduisant au bureau d’Howard Schultz, et invitant les internautes à les soutenir avec le hashtag #AllezHowardUnCafé. L’appel est arrivé jusqu’à la femme du PDG, qui a alors conseillé à son mari de les rencontrer. |
Notes
(1) Nouvelle structure d’investissement et d’incubation basée à New York, opérationnelle à l’automne 2016. « Cette nouvelle structure permettra à Danone d’accompagner le développement d’entreprises à fort potentiel de croissance qui partagent sa vision de l’alimentation. Les équipes de Danone pourront, quant à elles, s’inspirer d’idées et de pratiques nouvelles au contact d’entreprises plus jeunes, pour développer l’ambition de son Manifesto : promouvoir des habitudes alimentaires saines et durables qui valorisent la diversité culturelle de l’alimentation », selon le communiqué de Danone.
(2) Artémis, la holding de la famille Pinault, était entrée au capital de Michel et Augustin en 2013 à hauteur de 70 % .
(3) Michel et Augustin est l’une des seules marques qui donne l’adresse mail et le numéro de téléphone de la société sur Twitter (ou qui l’inscrit sur les packagings produits).
(4) Plus de 245 000 vues sur la vidéo Youtube.
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