Vers une généralisation de la consommation responsable ?
12/01/2017
Choix par défaut, choix sans défaut : comment dépasser les limites actuelles de la consommation responsable ? quels outils déployer pour changer d’échelle et généraliser ce marché ? L’Observatoire de la consommation responsable mescoursespourlaplanete.com s’attaque à ces questions.
par Élisabeth Laville,
Fondatrice d’Utopies
Une étude parue récomment 1 explore la pratique du choice editing, ou « sélection positive ». Cette approche en vogue dans le monde anglo-saxon consiste à remplacer progressivement, mais intégralement, les produits conventionnels, aux impacts douteux sur l’environnement et/ou les êtres humains, par des produits responsables. En abandonnant, au passage, l’idée de ne proposer ces solutions responsables qu’en complément de l’offre conventionnelle, afin que le consommateur ait le choix. La consommation responsable touche aujourd’hui un public de plus en plus large. Les chiffres parlent d’eux-mêmes : les ventes de produits issus de l’agriculture biologique ont fait un bond de 14,7 % entre 2015 et 2016 2, et celles des produits équitables sont en hausse de 17,5 % sur la même période 3. Si ces chiffres semblent traduire une évolution notable, le marché de la consommation responsable peine encore à atteindre sa masse critique – et c’est ce que lui reprochent ses détracteurs, qui y voient le signe que les consommateurs « disent vouloir une chose et font l’inverse » et ne seraient pas du tout prêts à préférer des produits responsables au moment de l’achat effectif. Dans tous les pays, plus de 80 % des consommateurs disent vouloir prendre en compte, au moment de leur choix, les engagements sociaux et environnementaux des marques qu’ils consomment au quotidien. Les générations Y souhaitent dans les mêmes proportions être impliquées dans ces engagements aux côtés de leurs marques préférées 4. Et si, plutôt que de mettre cette contradiction apparente sur le compte d’une supposée « schizophrénie » du consommateur, on avait tout simplement mal énoncé le problème depuis le début ? En pariant sur le fait que la demande avait seule la capacité à faire évoluer les choses ? Pourquoi ne pas changer de perspective, en essayant plutôt d’activer le levier du marketing de l’offre, sur le modèle de cette phrase d’Henry Ford qu’aimait à citer Steve Jobs : « Si j’avais écouté mes clients, je leur aurai donné un cheval plus rapide et pas une voiture » ?
En finir avec les gammes vertes
Cantonner les produits responsables dans des gammes vertes, bio ou équitables ne suffit plus. Souvent vendues plus cher autour du seul argument responsable, de manière trop ostensiblement opportuniste, ces gammes n’incarnent pas les engagements de la marque qui les développe. Et pour cause : elles sont développées dans le cadre de stratégies de niche, et souvent plutôt comme des produits « de communication » censés nourrir l’image de la marque plutôt que les ventes effectives. D’ailleurs, leur lancement n’est pas, la plupart du temps, assorti des moyens marketings nécessaires à leur succès. En jouant sur le seul argument de la durabilité dans leur proposition de valeur et en omettant de rassurer les clients potentiels sur le fait que les produits sont aussi de très bons produits sur les critères de choix classiques, les gammes vertes ne séduisent qu’une frange très restreinte des consommateurs, déjà engagée dans une alter-consommation…
Dans ce contexte, comment faire passer la consommation responsable au niveau supérieur si celle-ci ne parle qu’aux convaincus ? Dans tous les cas, le changement d’échelle est nécessaire, puisque seul l’effet de volume pourrait permettre à terme d’avoir un réel impact, mais aussi de réduire les prix des offres responsables. Car après tout, « si l’on veut réellement assurer un développement durable, il faut promouvoir une “consommation durable”, qui ne soit pas une consommation de niche, d’élites, réservée aux plus riches, mais à la portée de tous les citoyens », comme l’affirmait déjà le rapport Lepage en 2008. Et une condition importante de la généralisation de la consommation durable à l’échelle de la société est celle du pouvoir d’achat du consommateur. Pour Reine-Claude Mader, présidente de la CLCV : « la question de l’accès des ménages à des produits ou des modes de consommation durables pourrait même, en ce sens, constituer le quatrième pilier du développement durable ». Sur les offres responsables, la généralisation et le prix bas sont un levier puissant de transformation du monde : « pour avoir les effets massifs dont nous avons besoin, il faut rendre la consommation durable économiquement accessible aux masses. C’est dans l’intérêt individuel, mais aussi collectif », insiste de son côté Éric Fouquier, fondateur de Thema et théoricien des alter-consommateurs. En l’absence d’une telle volonté de généralisation, la lisibilité des offres responsables reste complexe dans un choix déjà opaque pour les consommateurs.
Choisir entre le bon, la brute et le truand
Aujourd’hui encore, face à une multitude de produits aux allégations toutes différentes, et pas toujours adossées à des labels reconnus, les consommateurs sont face à un choix souvent pléthorique et ardu à décrypter. Respect du bien-être animal, respect du droit du travail, empreinte carbone, suremballage, ... Les consommateurs sont perdus face à ces enjeux et aux allégations qui s’y réfèrent 5. Bien souvent les labels manquent pour les aiguiller dans leur choix de consommation et quand il y en a, les consommateurs peuvent aisément se perdre dans cette jungle de logos. Face à ce constat, certaines voix s’élèvent, parmi lesquelles celle de Tim Lang, professeur à la City University of London, qui appelle à en finir avec l’idée que les consommateurs sont maîtres de leurs choix : pour lui, ceux-ci attendent avant tout de la part des distributeurs qu’ils jouent leur rôle de sélectionneurs d’offres capables de… les guider dans leurs choix. La maturation des esprits, poussée par les médias, est en route – et de manière croissante, plus personne ne souhaite choisir entre une trousse pour son enfant, à la rentrée scolaire, et une trousse fabriquée par un enfant. L’inacceptable l’est pour tous, indépendamment des moyens. Même contraint par un budget limité, le consommateur achètera en connaissance de cause sur le coût sociétal et écologique des prix bas... ce qui ne tire pas l’image de la marque dans le bon sens.
Et si les consommateurs ne pouvaient choisir que des produits responsables ?
Et si, laissant tomber le sacro-saint principe du choix laissé au consommateur, la fenêtre de choix se réduisait demain à des propositions distinctes, mais toutes responsables 6? C’est là le principe de la sélection positive, qui consiste à supprimer les produits nocifs pour l’environnement ou les humains et à les remplacer par des alternatives responsables. Avec l’idée, à terme, de transformer 100 % de l’offre. Ainsi, H&M s’engage sur une offre de coton 100 % responsable à horizon 2020 qui sera, soit biologique certifiée, soit recyclée, soit issue de la Better Cotton Initiative. De même, Fleury Michon compte dans ses ventes plus d’un tiers de jambons soit biologiques, soit certifiés Bleu Blanc Coeur, soit encore Label Rouge, soit sans OGM ni antibiotiques. Une pratique radicale qui répond à une attente croissante des consommateurs, tous profils confondus : celle de faire les « bons choix » en matière de consommation. De manière croissante, le développement durable n’est plus l’unique proposition de valeur d’un produit, mais juste une composante de ce qui fait un meilleur produit, innovant et pertinent. Ainsi la marque de chaussures éthiques Veja adopte-t-elle un discours où elle engage ses clients à acheter ses chaussures avant tout pour le style et non pour leur caractère équitable… quitte à découvrir ses engagements dans un second temps.
La tendance internationale des entreprises leaders est à une généralisation de l’offre responsable
Un nombre croissant d’entreprises, leaders sur leur marché, prennent la voie de la sélection positive et, progressivement, tentent de changer leur offre. C’est le cas de Starbucks, qui désormais ne sert plus que du café issu du commerce équitable, de Marks & Spencer, IKEA ou encore Monoprix et Botanic en France. De même, Philips, qui a développé en 2007 un référentiel interne sur les produits responsables et a dans la foulée réorienté sa R&D sur ces aspects, affi che aujourd’hui une offre responsable à 54 % (en valeur), en parallèle d’une augmentation de ses ventes de 68 % depuis 2011 et d’une progression de 25 % de la valeur de sa marque. Derrière cette pratique résolument centrée sur l’offre, il y a l’idée qu’une marque se défi nit et exprime ses valeurs autant par ce qu’elle décide de ne plus faire (au nom de ses valeurs) que par ce qu’elle fait. Ainsi la chaîne de drugstores américains CVS Health a-t-elle décidé récemment de stopper purement et simplement la vente de cigarettes dans ses magasins aux États-Unis et de lancer en parallèle un programme pour accompagner les fumeurs dans l’arrêt du tabac. Résultat : une baisse de 95 millions de paquets vendus dans treize États en seulement huit mois. Une décision stratégique qui va dans le sens d’un recentrage sur une offre plus saine… car c’est avant tout par son offre de produits ou services qu’une marque se défi nit et incarne sa mission, allant au-delà des déclarations d’intention !
D’un marketing de la demande à un marketing de l’offre Le succès de la sélection positive, lorsqu’elle est bien menée, démontre qu’on ne change ses consommateurs que par les produits qu’on leur vend. Autrement dit : il faut cesser de laisser entre les mains des consommateurs la responsabilité de faire le choix entre le bon, la brute et le truand, a fortiori dans un contexte d’information souvent non disponible. Il y a, au contraire, urgence à opter progressivement pour un marketing de l’offre (plutôt que de la demande) afi n de généraliser l’offre responsable et d’orchestrer la transition de l’ensemble des produits. Le progrès ne peut s’incarner que dans l’offre, tout en étant à l’écoute de la demande. Les marques n’ont jamais que les clients qu’elles méritent, par l’ambition et l’audace de leurs choix.
Les entreprises ont un vrai rôle à jouer dans la généralisation de la consommation responsable78 % des leaders d’opinion estiment que les entreprises doivent désormais proposer des produits durables à la place des produits conventionnels, et pas en complément. Source : Étude GlobeScan |
0 oeuf de poules élevées en cage chez MonoprixDepuis avril 2016, l’enseigne ne propose plus que des oeufs de poules élevées hors cages. Après avoir fait le choix du 100 % plein air pour ses oeufs vendus en marque propre, Monoprix fait un pas en avant dans la prise en compte du bien-être animal en privilégiant pour l’intégralité de son offre des oeufs de poules de catégories mieux-disantes (sol, plein air et bio). Une initiative qui répond aux attentes des consommateurs : 94 % des citoyens européens estiment que la protection du bien-être des animaux d’élevage est importante 7. |
Botanic bannit les pesticidesL’enseigne de jardinerie Botanic est aujourd’hui la seule sur son marché à pratiquer la sélection positive, et ce depuis déjà plusieurs années. Sa démarche de développement durable l’a amenée à s’éloigner de la vente de produits phytosanitaires pour se consacrer au jardinage biologique, dans une transition qui ne fut pas simple, compte tenu de la part importante que représentaient les ventes de ces produits dans son chiffre d’affaires. Botanic est ainsi devenue la seule jardinerie française à ne plus vendre de pesticides chimiques depuis 2007. Elle peut aujourd’hui se féliciter de ce choix, puisque le parlement a voté fin 2013 l’interdiction totale, à compter du 1er janvier 2022, de la vente, de l’utilisation et de la détention de ces produits pour un usage non professionnel. À ce jour, Botanic est la seule enseigne qui soit d’ores et déjà prête au niveau national pour l’application de cette réglementation ! |
IKEA passe au 100 % durableDéployant une politique ambitieuse, l’enseigne tente d’incarner le développement durable dans la totalité de son offre. Par exemple, Ikea ne propose désormais que des LED dans ses rayons. Un engagement vers le 100 % qui s’observe également dans l’approvisionnement en bois, qui sera intégralement certifié FSC d’ici 2020. Côté alimentation : 100 % des poissons et fruits de mer servis dans ses magasins sont désormais issus de pêche ou d’aquaculture responsables. Le groupe vise enfi n l’indépendance énergétique à l’horizon 2020, en produisant autant d’énergie qu’il en consomme grâce à l’énergie renouvelable. |
Notes
(1) « Choix par défaut, choix sans défaut : vers une généralisation de la consommation responsable », mescoursespourlaplanete.com, déc. 2016 (étude disponible en ligne).
(2) Source : Agence Bio.
(3) Source : Plate-Forme pour le Commerce Équitable.
(4) Source : « The Millenium Compass », MSL Group, 2014.
(5) « Does the consumer really know best ? », Leo Hickman, The Guardian, 2007.
(6) « Our only choice would be between “good” products, as opposed to worrying that we might be making a “bad” choice », Leo Hickman, The Guardian.
(7) Source : Eurobaromètre « L’attitude des Européens face au bien-être animal », mars 2016.
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