De la promotion par le prix à celle par les valeurs
16/07/2016
Une addiction hante les marques : la « promo-dépendance ». Avec, comme effet dévastateur, non la progression de leurs ventes, mais la destruction de leurs valeurs. Des mécanismes régulateurs existent, qui peuvent redonner à la promotion sa vraie finalité. En associant distributeurs et industriels.
Par Richard Panquiault,
Directeur général de l’Ilec
Depuis le second semestre 2015, tous les spécialistes des relations industrie/commerce s’accordent pour reconnaître que la guerre des prix, loin de s’estomper, se double désormais d’une guerre des promotions d’enseignes. Les marques de l’Ilec sont particulièrement concernées par ce phénomène ; deux tiers des 143 marques qui dépassent 100 millions euros de chiffre d’affaires appartiennent à des sociétés adhérentes de l’Ilec.
Si ces marques ne pesaient que 37 % du chiffre d’affaires réalisé en grandes surfaces en 2015, elles représentaient plus de 50 % des volumes vendus en promotion.
Quelques chiffres suffisent à donner une idée de l’ampleur du phénomène.
- Selon Nielsen, le taux moyen de discount promotionnel est passé de 18% (en 2002) à 33% l’an dernier, soit un quasi doublement, ce qui est proprement vertigineux ; aujourd’hui, une offre proposant « 3 pour 2 » est devenue la norme.
- En 2015, les NIP représentaient 3 milliards d’euros, en hausse de 8 % par rapport à 2014...
- Sur le premier trimestre 2016, selon A3 Distrib, la pression promotionnelle était en hausse de près de 8 % par rapport au premier trimestre de l’année précédente.
Il y a évidemment plusieurs manières de réagir face à de tels chiffres. On peut les regarder d’un oeil amusé et un peu cynique, en constatant qu’il y a toujours un industriel pour surenchérir, motivé par la nécessité de doper un business en berne et d’atteindre ses objectifs de volume annuels ou trimestriels, de part de marché… On peut conclure froidement et doctement que la promotion a toujours fait partie du registre concurrentiel classique – ce qui est évidemment vrai –, et que devant l’atonie des marchés, la qualité d’informations dont dispose aujourd’hui le consommateur et les innombrables sollicitations dont il fait l’objet, chercher de la croissance suppose de proposer des dégressifs de plus en plus agressifs. Je pense, pour ma part, que la situation est plus compliquée et qu’elle couvre des enjeux beaucoup plus larges, qui engagent à terme la responsabilité des acteurs économiques que sont les distributeurs et les entreprises de marques.
Il existe de multiples exemples de promotions efficaces, qui développent la pénétration d’une marque ou d’une catégorie, qui font progresser la fréquentation d’un magasin et les ventes, qui illustrent des situations de réel partenariat entre des distributeurs et leurs fournisseurs. C’est une réalité : la promotion a été, est et restera un levier essentiel dans le développement des marques et des enseignes. Mais il ne faudrait pas que ces exemples s’apparentent simplement à la partie visible de l’iceberg promotionnel et que le champ de la promotion soit envahi par des mécanismes ou des opérations présentant un bilan à plusieurs titres lourdement négatif.
La question consiste aujourd’hui à se demander jusqu’où ne pas aller trop loin, et à identifier des mécanismes régulateurs qui pourraient mettre un coup de frein à la surchauffe promotionnelle, voire enclencher la marche arrière. Il existe à mon sens au moins trois de ces mécanismes potentiels de régulation qui correspondent à des enjeux de nature économique, d’image de marque et d’impact sociétal.
Les enjeux économiques
Ils découlent naturellement des premiers chiffres cités plus haut. Ceux-ci, attestant de la progression des volumes sous promotion et du renforcement des taux de discount, s’inscrivent dans un contexte général doublement préjudiciable, marqué à la fois par une dégradation des tarifs nets des fournisseurs depuis plusieurs années et par une faible élasticité des volumes. Du point de vue du fournisseur, la vérité statistique oblige à reconnaître que très peu de promotions sont rentables. Selon Kantar, 75 % des volumes promus sont achetés par des fidèles de la marque et les ventes additionnelles compensent donc rarement le différentiel entre le tarif du fond de rayon et celui de la promotion ; audelà des ventes, le bénéfice tangible que la promotion peut apporter à une marque (notoriété, pénétration) pourrait souvent être obtenu par des moyens plus économiques.
Dans ces conditions, pourquoi les promotions progressent elles autant ?
Il faut bien admettre que de nombreuses promotions sont subies par les fournisseurs.
Elles sont parfois la conséquence perverse des négociations annuelles et s’inscrivent dans un face à face entre distributeur et fournisseur d’où le consommateur est absent : le distributeur prélève des cartouches dans l’arsenal de l’industriel, qu’il n’ira pas brûler chez son concurrent ; le fournisseur obtient une contrepartie à la dégradation de son tarif… moyennant quoi il subit une double peine, la dégradation de son tarif puis celle de son mix, souvent sans apport de volume additionnel.
Parfois aussi, la mise en oeuvre d’une promotion relève d’une forme de déséquilibre, quand le fournisseur l’accepte par crainte de mesures de rétorsion en cas de refus.
La raison économique le plus souvent avancée pour justifier le développement des promotions est le maintien d’un minimum de croissance volume. Intuitivement, on peut le penser ; mais on peut aussi considérer que, dans une certaine mesure, il y a confusion entre la cause et l’effet et que plus on promeut de volumes, plus les promotions pèsent en retour sur la croissance des marchés. Il n’existe aucune corrélation au niveau global PGC entre surenchère promotionnelle et croissance volume ; l’hypothèse admise est que cette surenchère est la cause de la croissance volume, mais qui peut affirmer que cette faible croissance, alimentée avant tout par une évolution démographique favorable, n’aurait pas été du même ordre si volumes promus et taux de discount étaient restés stables ?
En tout état de cause, il me semble audacieux de trancher de manière péremptoire, et le célèbre « what if ? » a certainement toute sa place en la circonstance. J’oserais même une question subsidiaire : n’y aurait-il pas un usage davantage générateur de croissance à faire d’une partie des sommes phénoménales englouties dans des opérations promotionnelles qui appauvrissent les fournisseurs plus qu’elles ne développent les marques et les marchés ? Des sommes consacrées par exemple au développement de l’offre et au soutien des innovations. En définitive, sur ce chapitre de la dimension économique, il me semble que les bonnes raisons de recourir à la promotion deviennent souvent insuffisantes pour que l’équation soit viable longtemps si la surenchère se poursuit sur les mêmes bases.
Deuxième enjeu : la valeur et l’image des marques
Ce deuxième enjeu est plus fondamental encore, en tout cas pour les industriels.
Ce qui fait la valeur et in fine le prix d’une entreprise de PGC, c’est avant tout la valorisation de son portefeuille de marques et de brevets – qui feront ses innovations de demain. De ce point de vue, plus une marque est promodépendante, plus elle est vulnérable dès lors qu’une partie importante de ses acheteurs est plus sensible au phénomène promotionnel qu’à la marque elle-même ; dans le même esprit, plus une marque est promo-dépendante, moins elle a de valeur, parce que le prix moyen auquel un consommateur est prêt à l’acheter baisse. Il est souvent question des « chasseurs de promotions » pour expliquer l’obligation inéluctable de promouvoir toujours plus de volumes et à des taux de discount de plus en plus élevés pour les inciter à passer à l’acte d’achat. Mais ces chasseurs de promotions, c’est nous qui en avons favorisé le développement ! Le consommateur exige moins qu’il ne prend ce que nous lui donnons ; il est humain d’aimer la sensation de faire une bonne affaire, d’« acheter malin » !
Nous avons créé et nous développons une addiction à la promotion, laquelle est en passe de devenir une forme de dopage pour les marques, avec les mêmes effets dévastateurs.
De l’avis des spécialistes, certaines catégories sont aujourd’hui « sponsorisées » ; c’est un risque majeur pour les marques qui les constituent, car elles sont menacées de banalisation, courant le risque de devenir des « commodities » au sens anglo-saxon : des marchandises sans âme, sans valeur affective et au fi nal à faible valeur marchande. Une marque de plus en plus promue s’affaiblit et perd de sa valeur : c’est une motivation puissante à poser un regard plus critique sur la promo-dépendance et à l’inscrire dans un horizon moins « court-termiste ».
Troisième enjeu : l’impact sociétal
Le troisième enjeu susceptible d’exercer un rôle de régulation concerne distributeurs et fournisseurs. Il est de nature sociétale et touche tout particulièrement les catégories alimentaires. Il se joue à la fois vis-à-vis de l’amont, constitué notamment par les producteurs agricoles, et de l’aval, les consommateurs. À une époque où plusieurs fi lières agricoles sont en crise et où bon nombre de producteurs désespèrent de vendre à un prix qui leur permettrait de couvrir leurs coûts de production, l’agressivité grandissante des promotions est perçue comme une provocation : la gratuité est ressentie comme une scandaleuse absence de reconnaissance de la valeur travail et le phénomène promotionnel cristallise rancoeur et colère. Les députés ne s’y sont pas trompés, qui viennent de voter dans le cadre de la loi Sapin un plafond promotionnel de 30 % du « prix unitaire » des produits alimentaires frais issus de la première transformation. Certes, le champ d’application est limité ; certes, il est permis de douter de la capacité d’un tel amendement à aller au bout du processus législatif, car il semble se heurter à des principes généraux du droit, comme la liberté des prix. Mais à ce stade, la question est ailleurs, et ce qui doit interpeller, c’est le fait que des députés de tous bords politiques se mobilisent et puissent s’accorder sur une telle disposition. Il est là encore possible de considérer ces initiatives parlementaires comme des gestes politiques sans lendemain, déconnectés d’une réalité économique et légale qui rappellera bien vite leurs auteurs à la raison… Ou les interpréter comme des signaux plus ou moins forts d’une incitation à changer certaines de nos pratiques commerciales. Cette seconde option n’est pas sans valeur si l’on considère aussi la dimension aval.Les pouvoirs publics et les associations de consommateurs notamment portent un regard de plus en plus critique sur les incidences négatives pour le consommateur des exagérations promotionnelles, sujet alimenté par un nombre grandissant d’études et une abondante littérature. Selon les situations et les catégories, les promotions sont accusées de favoriser le gaspillage alimentaire, une consommation immodérée pouvant se traduire par le développement de l’obésité dans certains cas, l’addiction à l’alcool dans d’autres, etc. Ces considérations pourraient, elles aussi, être une puissante incitation à faire évoluer notre approche de la promotion, d’autant que ces enjeux sociétaux rejoignent les enjeux économiques, notamment la question du pouvoir d’achat. La promotion est présentée à juste titre comme un vecteur d’amélioration du pouvoir d’achat des consommateurs ; à l’inverse, même si la fourchette est large, les estimations du coût du gaspillage alimentaire au foyer, par les ménages, varient entre huit et vingt milliards d’euros, quand la « guerre des prix » a restitué un milliard d’euros l’an passé. Et nombreux sont ceux qui considèrent que les promotions jouent un rôle majeur dans ce gaspillage, pointant du doigt la responsabilité des distributeurs et des industriels. Il est aujourd’hui beaucoup question de répartition de la valeur ; le sujet des promotions nous offre le cadre d’un travail conjoint qui viserait à détruire moins de valeur, en ciblant de plus en plus fi nement les opérations et les mécanismes promotionnels, pour des raisons d’effi - cacité consommateur et d’effi cience budgétaire.
Redonner à la promotion sa finalité
Du point de vue économique, notre métier et celui des distributeurs, c’est de donner envie d’acheter, pas de brader à des prix qui finissent par biaiser le comportement des consommateurs, détruire la confi ance dans les marques et dégrader leur valeur. Du point de vue éthique, notre métier et celui des distributeurs, c’est de vendre des produits qui seront utilisés et consommés raisonnablement, pas jetés ni ingérés de manière immodérée : c’est le seul modèle qui soit compatible avec l’objectif de croissance durable affi ché par toutes les entreprises de PGC et les enseignes de distribution. Que la guerre des prix soit considérée comme un phénomène normal et inéluctable ou un fléau économique et social, elle échappe par nature totalement aux fournisseurs. Il en va différemment de la guerre des promotions, dont la responsabilité est partagée entre distributeurs et fournisseurs, quoique dans des proportions inégales. Seules des initiatives conjointes, inspirées par une prise de conscience de ce qui se joue réellement au niveau du consommateur et des conséquences à moyen terme du prolongement des tendances actuelles, peuvent conduire vers davantage de discernement et in fine de modération dans l’usage de la panoplie promotionnelle. Une telle proposition peut sembler pécher par sa naïveté ; mais réalisme et cynisme constituent-ils en l’occurrence des postures réellement plus pragmatiques et responsables ? Le doute est permis.
« Promotion » vient du latin promovere : faire avancer. Tandis que le Larousse définit la promotion des ventes comme l’ensemble des techniques commerciales propres à accroître le chiffre d’affaires d’une entreprise, celles-ci sont en réalité de deux types, selon l’initiateur de l’opération. La promotion distributeur vise à différencier les enseignes les unes des autres, et la promotion de marque a pour objectif de la faire connaître et de fidéliser sa clientèle. |
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