L'Artketing, ou l'art au service de la marque
16/07/2016
L’artketing ou la preuve que « marque et art » n’est pas un oxymore.
Par Bertrand Chovet,
Expert Marque & Business
Pour Andy Warhol, « Being good in business is the most fascinating kind of art. Making money is art and working is art and good business is the best art (1) ». C’est avec un pragmatisme tout américain que celui qui a popularisé mondialement la relation entre l’art et les marques avec Campbell’s Soup Cans, en 1962, résume les enjeux de ce que l’on définit aujourd’hui comme « artketing ».
Comment l’artketing se définit-il ?
Le marketing se définit comme l’ensemble des actions qui analysent et influencent les besoins et comportements des consommateurs pour adapter en permanence l’offre (produits ou services), les canaux (online et offline), la tactique commerciale (prix et promotion) en fonction des besoins et comportements identifiés et de l’expérience client attendue. Utilisation de l’art par une marque à des fins marketing, l’artketing s’illustre comme l’appropriation par la marque de l’art et réciproquement. L’artketing est ainsi appliqué par toutes les marques, quel que soit leur secteur d’activité : des produits de grande consommation à ceux du luxe. Il peut prendre plusieurs formes. Il peut participer au positionnement de l’offre – l’eau Courmayeur et la Venus de Botticelli pour célébrer la beauté – comme à son animation – Swatch et Keith Haring. Il peut aussi être une composante de la marque – Volcom et ses collaborations, collections ou capsules régulières avec des artistes tels que John Baldessari, Ozzie Wright, Don Pendleton... Il joue un rôle de plus en plus croissant dans l’expérience de marque – des vitrines aux produits de Takashi Murakami pour Louis Vuitton. Il peut se connecter directement à l’acte d’achat, notamment par sa présence au sein des canaux de distribution – Agnès b. et ses collections de la galerie du jour, à Paris, ou du 50 Howard Street, à New York, relayées au sein du réseau de boutiques et en ligne. Enfin, il peut avoir un rôle plus institutionnel, avec la création de fondations de marque – telle la fondation Cartier pour l’art contemporain. À noter que les actions trop promotionnelles ou événementielles peuvent affaiblir les démarches d’artketing, car elles ne s’inscrivent pas dans une pérennité de l’expérience client, allant jusqu’à brouiller le rôle de la marque et celui de l’artiste. Les artistes contemporains étant aussi des marques, l’utilisation de la marque par un artiste est un outil d’universalisation du point de vue sur le monde de l’artiste. L’artketing représente pour l’artiste tout à la fois une opportunité d’accroître sa notoriété et une façon de descendre dans la rue au-delà des cercles fermés des galeries et expositions, de s’assurer une plus grande visibilité, parfois au risque d’entamer son authenticité.
De l’utilité de l’artketing
On peut considérer que depuis le commissionnement au XVIe siècle de Michel-Ange par l’église catholique pour promouvoir celle-ci à travers le plafond de la chapelle Sixtine, la relation entre art et expérience des publics n’a jamais cessé d’être entretenue et développée sous différentes formes et attitudes, de la part des marques comme des artistes. Il y a toujours eu une grande porosité entre ces deux univers : celui de la création de valeur et celui de la création artistique. Déjà dans la Rome antique, le mécénat se rapprochait de ceux qui créaient. Au tout début du XXe siècle, la marque de papier à cigarette Job a collaboré régulièrement avec des artistes comme Alphonse Mucha, Jane Atché ou encore Edgard Maxence. On attribuait alors à ces partenariats artistiques une étiquette de réclame plutôt que d’artketing. Le management de la marque ayant désormais basculé de la communication à l’expérience, la gestion de la relation du monde artistique avec celui du business a évolué pour être désormais plus profondément en phase avec les objectifs économiques de l’entreprise commanditaire. Les difficultés rencontrées par les artistes à vivre comme à émerger pèsent sur l’équilibre de l’art contemporain, dominé par les happy fews, et amène de nombreux questionnements. Comme durant la Renaissance, âge d’or du mécénat, notre époque est grandement favorable au rétablissement du lien entre la puissance créative des artistes et la puissance des acteurs économiques, c’est-à-dire les marques. L’art représente un moyen pour les marques de gagner en expérience comme en engagement avec ses publics. Il permet de répondre en les renforçant aux trois missions d’une marque forte – constituer un repère sur son marché, justifier la supériorité de ses prix et engendrer la fidélité des consommateurs. Il a une empreinte appuyée sur la vie de chacun. Quelle que soit sa forme – contemporain, musical, digital ... –, il a les capacités de surprendre, de marquer les mémoires et d’engager un dialogue avec celui qui y est confronté. À l’heure d’une désintermédiation croissante (digital, sharing...), l’art, par ses dimensions stratégique comme tactique, est un médium extrêmement efficace pour les marques, notamment par sa capacité à provoquer l’engagement des publics, enrichir le contenu de la relation et assurer la revitalisation du vécu.
Ce potentiel doit néanmoins être travaillé avec une précision grandissante afin d’asseoir l’authenticité de la marque, comme de l’artiste, et de s’assurer de la plus grande cohé- rence possible lors de l’expérience client. De multiples interactions sont alors nécessaires, pour remettre en question, nourrir, enrichir, étendre les actions marketing. L’artketing peut ainsi juguler les logiques commerciales, les dimensions de savoir-faire et de produits, tout en travaillant à différents degrés la conversation et l’engagement des publics. Il devient dès lors un démultiplicateur pour répondre aux enjeux de mondialisation des marques, de démocratisation ou d’universalisation des offres. Il peut également s’avérer un outil pertinent face aux défis de l’élargissement de l’offre ou de la diversification. Ce n’est pas un hasard si les marques des maisons de luxe ont préempté puis intensifié les collaborations avec les artistes, que celles-ci soient extrê- mement visibles comme chez Louis Vuitton, Gucci ou plus discrètes comme pour Hermès. Aidées par leurs actions de mécénat et la sensibilité de leurs publics à l’art, en quête permanente de créativité, elles étaient davantage préparées à l’artketing devant, plus que les autres, justifier de la supériorité de leurs prix. On comprend pourquoi l’artketing doit avant tout constituer une relation gagnantgagnant. La marque ne doit pas écraser l’artiste et tomber dans une logique consumériste. L’art doit être totalement au service de l’expérience client avant, pendant et après l’achat (présentation, offre, exclusivité, événement...). Inversement, le message de l’artiste doit être en cohé- rence avec la stratégie business de la marque et/ou son positionnement. Lorsque Louis Vuitton et Marc Jacobs ont collaboré avec Stephen Sprouse, la culture de rue (le graffiti) est venue percuter la culture élitiste (le luxe, la haute couture). Par sa dimension spontanée, en créant une expression directe, pleine d’humanité, éloquente, le geste est venu apporter à point nommé une nouvelle jeunesse au sac Vuitton. Au-delà du luxe, toutes les marques peuvent utiliser les leviers de croissance issus de l’artketing. Par sa forte capacité à susciter un inté- rêt et un engagement additionnels au contenu proposé, l’artketing délivre un retour sur investissement qui dépasse celui des blogs ou des actions traditionnelles de médias sociaux, en plus de renforcer sa contribution aux ventes additionnelles ou à des offres plus valorisées.
L’enjeu de la pertinence de l’artketing
Les marques sont de puissants moteurs du comportement des individus. Tout partenariat entre marque et artiste doit aujourd’hui se bâtir autour du client, permettre de répondre à ce qui va amorcer la conversation, ce qui va le séduire, renouveler son adhésion et son engagement, ce qui va lui faire fréquenter les points de ventes – digitaux ou physiques –, ce qui va le fidéliser... Ici, on peut notamment évoquer la marque Ricard : fortement ancrée dans l’art contemporain avec sa fondation d’entreprise, c’est par sa collaboration avec des artistes comme Élisabeth Garouste et Mattia Bonetti qu’elle a pu accroître la pertinence de ses actions, notamment pour créer verres, plateaux et carafes. On est bien dans une dimension « servicielle » de la marque qui va toucher, attirer par sa dimension artistique et au même titre s’adresser à tous, à chaque instant de l’expérience utilisateur, que ce soit en circuit CHD ou à la maison. D’autre part, la création d’un écosystème autorisant une plus grande porosité entre l’activité économique et l’attractivité artistique est une priorité, à l’instar de la plateforme digitale Behance, acquise et soutenue par Adobe et qui pourrait illustrer un modèle utile de collaboration entre artistes et marque, tout en supportant le leadership de cette dernière sur les outils de création graphiques et digitaux. Pour atteindre cette pertinence, il est primordial que la relation soit équilibrée. Le partenariat doit permettre à l’artiste de rayonner et à la marque de vivifier ou d’enrichir sa connexion avec ses audiences. Il faut que le bon artiste soit au service de la bonne marque pour sublimer son message. En quelque sorte, le mariage doit être réfléchi et c’est pourquoi l’artketing doit s’inscrire dans une relative pérennité plutôt que de privilégier le tactique ou le court terme.
Le futur de l’artketing
L’artketing définit une pratique ancienne de ce qui est devenue une préoccupation majeure pour le business de toute entreprise. L’artketing est une démarche ROIste où la marque cherche un réel retour sur investissement se traduisant en un impact tangible auprès de ses consommateurs. Selon Gartner, d’ici 2020, le consommateur gérera 85 % de sa relation avec une entreprise sans interaction avec une personne physique. Malgré cette évolution liée au numérique, l’artketing devra défendre et conserver sa sensorialité, sa créativité, son humanité au sein du mix marketing. Cette part émotionnelle sera d’autant plus renforcée qu’elle sera partagée avec ses publics. En 2013, Starbucks a lancé le #whitecupcontest, encourageant ses clients à customiser artistiquement son gobelet blanc en postant sur les médias sociaux (Instagram ou Twitter) leurs œuvres. En trois semaines, près de 4 000 réalisations furent partagées. Et la gagnante, Brita Lynn Thompson, âgée de 21 ans, a vu sa création éditée en un gobelet réutilisable... mais cela lui a surtout permis de créer sa boutique sur Etsy et de lancer son activité. Si pour Karl Lagerfeld le shopping est « la grande activité culturelle de notre temps », à l’avenir l’artketing devra davantage être présent sur l’ensemble de l’expérience client et délivrer de la croissance pour le business en faisant émerger la marque de son univers concurrentiel. C’est en s’appuyant sur les nouvelles technologies et leurs plateformes, la personnalisation et le partage, que les marques pourront recréer une certaine magie consumériste, via l’artketing, en invitant les artistes connus ou inconnus dans une création commune. En générant plus d’envie, les marques permettront à chacun de s’immerger dans un contenu riche, stimulant, surprenant… à même de le faire voyager au sein d’une offre à consommer avec la tête et le cœur.
(1) Faire de bonnes affaires est le plus remarquable art qui soit.Gagner de l’argent est un art et le travail est un art, mais faire de bonnes affaires est le meilleur des arts.
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