Entretiens

Consommation

Quelles promotions dans la crise ?

18/05/2020

Avec le confinement sanitaire, la fermeture des commerces « non essentiels », le quasi-monopole de la distribution alimentaire et l’arrêt des prospectus, la promotion a pu sembler hors sujet. Mais en sortie de crise, elle va tenir un rôle essentiel pour relancer la concurrence entre enseignes, stimuler la consommation, mais aussi accompagner les comportements d’achat. Entre ventes agressives sur prospectus ou opérations solidaires. Entretien avec Philippe Ingold, PromoResearch*

Quelle est l’évolution du nombre d’opérations promotionnelles en GMS depuis le début de l’année (PGC alimentaires et non alimentaires) ?

Philippe Ingold : Ce n’est pas tant le nombre d’opérations qui a baissé que leur visibilité, avec des situations très contrastées : Carrefour, Leclerc, Intermarché, Casino, Cora et Lidl ont maintenu des programmes d’actions véhiculés dans des prospectus en ligne. Super U et Aldi ont arrêté toute forme de communication prospectus. Auchan s’est limité à des mini-prospectus avec quelques dizaines de produits de grande consommation. Mais la distribution physique des prospectus papier a totalement cessé et ne devrait reprendre que le 26 mai. Or l’efficacité des actions est liée à leur visibilité. Les mises en avant ont aussi été très perturbées par la pénurie de personnel interne ou externe. Enfin les motivations d’achat des consommateurs ont plus suivi leurs besoins réels ou supposés que l’offre promotionnelle.

Certains outils promotionnels sont-ils plus adaptés aux contraintes liées à la crise sanitaire que d’autres ?

P. I. : Ce sont les techniques simples et maîtrisées par les enseignes qui ont été privilégiées, avec un bénéfice économique pour les consommateurs, essentiellement des réductions de prix et des « NIP » (lot virtuel, bon d’achat, cagnotte). Cela n’a pas été sans poser un problème majeur aux marques, qui ont vu leurs possibilités d’action très réduites.

Qu’est-ce qui a le plus contraint voire empêché les opérations promotionnelles pendant la période de confinement : la limitation de l’accès des marchandiseurs aux points de vente ? La réduction de certaines gammes aux produits réputés essentiels ? La limitation du trafic et les réaménagements de sécurité dans les magasins ?

P. I. : C’est surtout l’arrêt de la distribution des prospectus qui a, sinon empêché, du moins fortement réduit la visibilité, donc l’efficacité des actions prix et « NIP ». Mais il est vrai que les conditions sanitaires ont empêché le déploiement des opérations consommateurs et trade marketing habituelles, notamment quand elles impliquent l’installation de matériel spécifique (jeux sur borne), des manipulations de supports (primes, « collectors », vignettes, bons de réduction…), l’intervention de personnel extérieur (merchandising, installation PLV, animations, etc.). Enfin si les références majeures (les « 20-80 ») ont continué à être soutenues, les petites références, en lancement ou en développement, souvent plus rentables, ont été sacrifiées.

Sélection des genres et déplacement des lieux

Les outils promotionnels sont-ils adaptés aux contraintes qui pourraient peser durablement sur le « parcours client » en magasin ?

P. I. : Les constats faits dans le confinement vont perdurer avec la prolongation de mesures sanitaires sur une période assez longue. Les techniques de vente agressive, faciles à mettre en œuvre, vont être privilégiées. Les techniques « stratégiques » et relationnelles, plus difficiles à mettre en œuvre et moins urgentes, vont souffrir : bons de réduction, offres de remboursement, animations, primes, jeux et concours, etc. Cela va toutefois accélérer la numérisation de certaines techniques, par exemple le bon de réduction en téléchargement sur la carte de fidélité.

Les outils promotionnels sont-ils adaptés aux reports d’achat entre circuits physiques et vente en ligne ? Entre hypermarchés et supers ou proximité ? Entre la restauration hors foyer et la grande distribution (par exemple pour les produits festifs) ?

P. I : C’est un vrai problème. La promotion trouve en effet sa pleine efficacité dans les gros hypermarchés : part de ventes sous promotion souvent double de la part en supermarchés, plus fortes ventes incrémentales, impact des ventes d’impulsion, meilleures possibilités de théâtralisation et d’opérations spéciales, lancement de nouveaux produits… Les promotions en drive, en supermarchés ou en proximité ont moins d’effet sur les comportements de consommateurs, et ne génèrent souvent que des effets d’aubaine. Les marques vont peut-être devoir développer les lieux d’expression de leurs promotions stratégiques, notamment hors magasins : lieux à forte concentration de population, réseaux partenaires, voire ventes directes.

Vous attendez-vous à ce que les baisses de pouvoir d’achat attendues avec la crise économique née de la crise sanitaire relancent l’activité promotionnelle ? Ou plutôt la guerre des prix sur le fond de rayon ?

P. I : La promotion va être un moyen tactique majeur pour restimuler la consommation en sortie de crise et reconquérir des parts de marché. Ou peut d’ailleurs prévoir des actions gouvernementales de nature promotionnelle pour stimuler la consommation dans certains secteurs ou auprès de certaines populations (primes à la casse, bons d’achat alimentaires, etc.). Selon nous, les enseignes vont d’abord accentuer leur pression promotionnelle avec des objectifs de création de trafic, de restockage et de « repremiumisation ». La guerre des prix en fond de rayon, moins facile à communiquer, n’adviendra que dans un second temps, probablement sur fond de restructuration du paysage commercial.

La coopération industrie-commerce doit-elle et peut-elle être plus étroite en matière promotionnelle ?

P. I : Cette supposée coopération va d’abord être mise à rude épreuve en fin d’année, compte-tenu de l’impossibilité de respecter les plans d’affaires élaborés avant la crise. L’émergence de relations commerciales apaisées et coopératives nous semble malheureusement un vœu pieu, pourtant cette coopération serait la bonne méthode pour concilier les intérêts des acteurs. On peut en revanche imaginer des initiatives fortes des marques adressées directement aux consommateurs, pour faire pièce à une distribution qui, en raison de la crise, a grignoté leurs dernières possibilités d’expression. On peut penser à des opérations multimarques un peu comparables au fameux « Bingo des marques » de 1993, des opérations fortement communiquées et utilisant des supports numériques.

Les conditions de commercialisation « post-Covid » vont-elles rendre plus pesant, pour les produits festifs ou saisonniers, le plafond des opérations promotionnelles à 25 % des volumes ?

P. I : Crise ou pas, ce plafond de 25 % est invérifiable et intenable. Il devrait être rapidement mis en question, soit par une décision réglementaire, soit par une grande tolérance. Mais le mal est déjà fait, par exemple avec les chocolats de Pâques, qui sont massivement restés sur les bras des enseignes.

On a parlé de « promo-bashing » : les promotions ont-elles besoin de redorer leur image ?

P. I. : Le « promo-bashing » est limité à un cercle de législateurs ou de hauts fonctionnaires hors sol. La promotion a été accusée à tort de tous les maux lors des ÉGA, notamment de générer du gaspillage et de peser sur les prix d’achat. De vrais problèmes, mais avec des solutions simplistes qui n’ont pas démontré leur efficacité et ont même eu des effets contre-productifs. Ce n’est en tout cas pas l’avis des consommateurs, qui ont toujours de la promotion une image positive liée à l’amélioration de leur pouvoir d’achat. La promotion constitue une forte incitation à l’achat et on peut imaginer que le signal du redémarrage de la consommation va être donné par des opérations thématiques puissantes, avec la reprise de la distribution de prospectus. Il n’en reste pas moins que la promotion doit sortir structurellement d’une approche purement économique et retrouver des dimensions hédonistes. Elle peut et doit redonner du sens à la consommation, avec des dimensions responsables.

Vers des stratégies promotionnelles solidaires

Par quels moyens le faire ? En se mettant au service d’actions solidaires en faveur de populations fragilisées ?

P. I : C’est en effet une voie intéressante, qui réconcilie désir d’achat et déculpabilisation vis-à-vis d’achats de plaisir, souvent superflus. Mais sont concernées également de nombreuses actions en faveur du développement durable, avec des techniques éprouvées mais une générosité accrue : reversements automatiques, collectes alimentaires, recyclages, ventes solidaires, etc. Si les marques et les enseignes le décident dans le cadre de leurs stratégies RSE ou RSM, la promotion peut tenir rapidement un rôle déterminant dans le soutien à des populations précaires ou fragiles.

Comment éviter une forme de surenchère promotionnelle « solidaire » qui irait à l’encontre des objectifs de revalorisation de l’amont agricole portés par la loi Égalim ?

P. I : On n’en est pas encore à une phase de surenchère, et de telles actions peuvent parfaitement favoriser la revalorisation des revenus agricoles avec des thématiques de soutien au « produit en France », au local, au bio, etc.

D’un autre côté, les promotions peuvent-elles accompagner des changements de comportement des consommateurs vers plus de qualité socialement responsable ? Quels outils s’y prêtent ?

P. I : L’essence de la promotion est de générer des changements de comportements d’achat. Il suffit de fixer des objectifs de nature responsable, de définir les techniques adaptées et surtout de communiquer un objectif concret. Ainsi, une technique très simple de prix coûtant (combinée à un prix d’achat juste) a été beaucoup utilisée pour favoriser la vente de produits alimentaires français, dans la période de confinement. Dans cet esprit, toutes les techniques peuvent être utilisées, mais bien sûr avant tout les techniques « solidaires » (reversements automatiques, collectes alimentaires, recyclages, ventes solidaires, etc.)

Irait-on vers une bipolarisation accentuée des marchés, entre d’une part des produits standard promus par une forme ou une autre de réduction, d’autre part des produits premiums promus par un engagement de reversement solidaire associé ?

P. I : Nous ne le pensons pas. L’observation des opérations solidaires passées montre qu’elles s’appliquent le plus souvent à des produits standards à forte rotation. C’est là que le potentiel de participation est le plus fort, avec souvent une augmentation de la fréquence d’achat ou des quantités achetées. Mais il est vrai aussi que certains produits prémium (filières, bio, local, etc.), moins soumis aux contraintes de prix, pourraient être promus de façon efficace avec une combinaison de bénéfice économique pour les bénéficiaires et de bénéfice hédonique (gratification personnelle) pour les acheteurs. C’est une voie encore peu exploitée mais très intéressante.

*https:// cles-promo.fr

Propos recueillis par Jean Watin-Augouard

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