Entretiens

Liebig : “Je vous ai compris”

09/11/2020

L’heure de la cocréation marque-consommateur sonne. Elle porte avec Liebig sur la composition des recettes et l’origine France. Destiné à la nouvelle gamme en bouteille, le 100 % français est appelé couvrir la moitié de l’offre d’ici à 2025. Entretien avec Vincent Prolongeau, directeur général de GB Foods France.

Dans sa communication depuis 2019 la marque Liebig remercie ses consommateurs[1] de l’avoir conseillée dans la composition de ses nouvelles recettes (« Merci d’avoir fait grandir nos soupes »). Est-ce un pari audacieux pour une marque ?

Vincent Prolongeau : La genèse de cette campagne repose sur l’ambition de conduire les consommateurs à bien saisir le changement que nous avons réalisé – 100 % s’ingrédients naturels – et à comprendre que les promesses que nous affichons sur nos emballages sont sincères et issues de ce qu’ils nous ont déclaré lors d’entretiens. Nous avons été fidèles à leurs demandes. La campagne est effectivement audacieuse, car elle conduit la marque à se mettre en question. Fini le temps de l’achat d’espace pour se glorifier. Le ton est humoristique, car il ne s’agit pas de dramatiser.

Comment les consommateurs ont-ils été sélectionnés ?

V. P. : Il n’y a pas eu de sélection particulière. Un certain nombre d’études ont été faites auprès d’un échantillon représentatif de la population française.

Comment cette campagne a-t-elle été accueillie ?

V. P. : Les tests ont souligné que notre posture est honnête, authentique. Nous leur avons prouvé que nous les avions compris. En termes d’impact, de clarté du message et de mémorisation, la campagne a été très bien accueillie. Le film a été classé par Kantar comme l’un des trois meilleurs des vingt-cinq dernières années.

Liebig est la marque associée dans l’imaginaire des Français à la soupe depuis 1946 avec un certain nombre d’innovations[2]. De la soupe, rien que de la soupe ?

V. P. : Liebig est une marque historiquement associée à la soupe qui couvre l’essentiel des attentes des Français et elle s’adapte à leur évolution, comme l’attestent aujourd’hui nos 68 recettes conçues dans les ateliers de notre usine du Pontet, près d’Avignon. La variété de la gamme, son attrait, représentent une alternative pour des recettes que l’on n’a pas le temps de faire chez soi. Elles se rapprochent le plus possible du fait-maison, avec des ingrédients sans colorant, sans conservateur, sans exhausteur de goût. Ces recettes sont disponibles toute l’année.

Production insuffisante à un approvisionnement 100 % français

Vos derniers lancements revendiquent des légumes 100 % français. L’origine France concerne-t-elle uniquement vos gammes en bouteille ? Comment comprendre l’indication « 100 % d’ingrédients naturels, fabriqué en France » sur certains de vos produits[3] ?

V. P. : Leur point commun est qu’ils sont fabriqués en France à l’usine du Pontet. Il est exact qu’il n’y a que la gamme bouteille à proposer des légumes 100 % français. C’est une innovation récente, l’appartenance française séduit le consommateur, le rassure sur le plan de la qualité, de la sécurité alimentaire, et le fait participer au développement de l’économie française. L’origine France constitue un avantage comparatif et crée une préférence. Sur l’ensemble de nos approvisionnements, le 100 % français ne représente que 25 %  ; notre objectif est de doubler cette proportion d’ici cinq ans. Le reste : 70 % proviennent d’Europe et 5 % d’Asie (les pouces de bambou de notre soupe chinoise par exemple). Parallèlement à la gamme en bouteille, nous avons lancé récemment deux références à base de légumes français : les veloutés de tomate et de poireaux pomme de terre.

Le 100 % français va s’étendre à d’autres gammes ?

V. P. : Nous avons pour objectif de renforcer les partenariats avec les agriculteurs français. Mais il n’est pas simple de s’approvisionner en France pour un certain nombre de légumes, qui ne sont pas toujours disponibles en quantité. Et les légumes français sont souvent plus chers que certains légumes européens. Il faut donc travailler sur l’optimisation de la filière. Il en est de même pour le bio. Ce sera un long chemin pour atteindre le 100 % français.

De combien de régions proviennent vos légumes français ? De combien d’agriculteurs se composent votre amont agricole ?

V. P. : Nous nous fournissons dans toutes les régions françaises, particulièrement pour les deux principaux légumes, la carotte et le potiron. Nous travaillons avec cent soixante agriculteurs et nous établissions des rotations géographiques en fonction des moments de l’année. Si la tomate est à trente kilomètres de l’usine, cela n’est pas le cas pour bon nombre d’autres légumes.

Usine à énergie circulaire

GB Foods France contribue-t-il à la structuration de filières en amont avec des objectifs de préservation des ressources, réduction des émissions de carbone, etc. ?

V. P. : Plus nous augmenterons notre approvisionnement français, plus nous irons dans cette voie. Pour l’heure, ce n’est pas le cas, nous travaillons avec des agriculteurs partenaires, certains de longue date, comme Priméale[4], l’un de nos fournisseurs de carotte fraîche. Nous tissons avec eux des relations de confiance, nous avons le souci de garantir la meilleure sélection, d’avoir un cahier des charges strictement respecté, de contrôler la volatilité des prix. Le concept de filière est un sujet sur lequel nous allons réfléchir dans les années à venir.

Quels sont vos objectifs environnementaux ?

V. P. : Sur notre site de production, nous avons mis en place en 2018 une récupération de la vapeur produite par les unités d’incinération de la région, à proximité de l’usine. En collaboration avec Engie et Suez, l’énergie récupérée de la combustion de ces déchets est destinée à la fabrication de nos soupes, soit une réduction de 75 % de notre émission de CO2 (7 000 tonnes en moins par an). Sur le plan du recyclage, toutes nos briques (1 litre) et briquettes (30 cl.) sont fabriquées avec du carton certifié FSC qui garantit une gestion responsable des forêts. Elles sont entièrement recyclables ainsi que nos bouteilles plastiques.

Qui achète Liebig ? Et avez-vous un produit incontournable ?

V. P. : 95 % des Français consomment de la soupe au moins une fois par an. Dans le cas de Liebig, un foyer français sur trois en consomme une fois par an. Notre cœur de cible est la famille avec enfant (6-11 ans) et les seniors. Notre objectif est de conquérir les adolescents, les jeunes adultes habitués à la déstructuration des repas et à la disparition de l’entrée, moment privilégié de la soupe. Cette cible est sensible au discours nutritionnel, à l’équilibre alimentaire que porte la soupe. Et la soupe a un fort pouvoir de satiété à un prix abordable. Quant à notre incontournable, je dirai notre velouté de dix légumes.

L’extension vers davantage de soupes à consommer froides pour désaisonnaliser la consommation est-elle au nombre de vos projets ?

V. P. : La dessaisonalisation est au cœur de nos réflexions, car la consommation de la soupe chute d’avril à septembre. C’est un élément structurel en France, il est des pays où la soupe est consommée également l’été. Changer les habitudes sur le long terme est compliqué. Nous négocions avec la distribution pour maintenir un assortiment durant l’été.

Diversifiez-vous vos circuits de commercialisation vers l’e-commerce, la restauration hors foyer ? Le vrac peut-il s’envisager ?

V. P. : Nous sommes principalement commercialisés en grandes surfaces. Durant le confinement, l’e-commerce a explosé et sera une source de croissance essentielle dans les années à venir. Le hors-domicile est un circuit plus compliqué, car très souvent la soupe est faite par la restauration elle-même et l’alternative de la marque distributeur est plus aisée, il n’est pas nécessaire de montrer la marque. Le vrac ? Un jour pourquoi pas !

Les réseaux sociaux entrent-ils dans vos modes de communication ?

V. P. : Nous développons notre communication via Facebook ou Instagram, un canal essentiel pour converser avec les adolescents. Nous devons être présents sur les forums consacrés au « bien manger, manger sain ». Nous ne pouvons plus nous contenter du format TV, qui les concerne peu, ou pas.

Formation de jeunes en alternance

Combien d’emplois représentent Liebig et votre usine du Pontet en direct et indirect ?

V. P. : L’usine emploie deux cents salariés et nous avons des partenariats locaux. Nous sommes ainsi le premier client de l’agence régionale Adecco, nous avons des partenariats avec l’université d’Avignon, l’Ifria[5] Paca pour l’embauche d’apprentis conducteurs, techniciens de maintenance. Nous avons également un partenariat avec un groupement d’employeurs pour partager des emplois.

Menez-vous des actions de formation aux métiers industriels auprès des jeunes au-delà des obligations légales ?

V. P. : Oui, puisque nous avons développé avec l’université d’Avignon un partenariat, et participé à la création d’un diplôme universitaire reconnu RNCP (Répertoire national des certifications professionnelles). Et chaque année nous nous engageons à former des jeunes en alternance : conducteur de système, de production automatisée. Nous avons ainsi durant neuf mois « tutoré » trois étudiants. Nous avons également développé avec l’Ifria une classe de maintenance pour accueillir, en alternance, et à partir de 2021, de jeunes techniciens.

La raison d’être de Liebig est-elle en congruence avec la raison d’en être de ses salariés ?

V. P. : C’est un sujet qui m’est cher. Parler d’une raison d’être pour une entreprise et une marque, c’est parler d’éléments qui transcendent les actionnaires qui la possèdent ; on ne peut oublier son histoire. Liebig a appartenu à Danone[6], puis à Campbell Soup en 1997, au fonds d’investissement CVC Capital Partners en 2013, et à GB Foods[7], un groupe espagnol familial, depuis 2019. Les missions et valeurs changent avec les actionnaires. Aujourd’hui, la mission de l’entreprise estde « célébrer la saveur locale »[8] ; la conviction est que face aux multinationales qui ont tendance à globaliser, il y a une forte attente du consommateur qui est locale, un développement local et des goûts locaux, une proximité dans l’impact sociétal, le respect de l’environnement. GB Foods n’entend pas développer Gallina Blanca dans tous les pays ni exporter Liebig. Le cœur de la stratégie est de coller aux attentes locales et de responsabiliser les salariés, de favoriser les délégations de pouvoir, de développer la prise d’autonomie.

Avec les Restos du cœur

À quoi vous oblige une marque dont le logo a une forme de cœur[9] ?

V. P. : Si nous n’avons pas l’exclusivité du cœur, il est en droite ligne avec une marque patrimoniale qui a conservé sa singularité, malgré les changements d’actionnaires. Liebig est la marque de soupe que les Français consomment le plus. C’est une marque populaire, accessible, qui propose un produit nourrissant. Dans la période actuelle où les plus démunis sont nombreux, elle offre une option alimentaire peu onéreuse. Ce n’est donc pas un hasard si nous avons établi depuis deux ans un partenariat avec les Restos du cœur, qui ont aussi un logo en forme de cœur. Nous valorisons leur action en la faisant apparaître sur l’emballage une partie de l’année. Une action promotionnelle propose pour un produit acheté un produit offert aux Restos du cœur. Nous leur fournissons 60 000 litres de soupe chaque année. Nos salariés sont associés aux journées de collecte.

Qu’apporte Liebig au marché qui en fait une marque incontournable ?

V. P. : Au moment du confinement, nous avons fait partie des marques qui ont été très prisées dans les linéaires, avec une croissance de plus de 70 % des ventes en mars. Au-delà du phénomène de stockage propre à chaque crise, les consommateurs témoignent de leur attachement à une marque qui les rassure. Nous avons donc une place dans leur cœur.

[1] « D’avoir râlé au sujet des soupes toutes prêtes, d’avoir râlé sur leur composition, leur goût. Grâce à vous, les soupes Liebig changent. »
[2] Les bouillons à base de Viandox (ox pour « bœuf » en anglais, 1920), les potages déshydratés en sachets (1946), les potages en boîte (1950), la première soupe en brique Pur Soup’ (1986), la soupe concentrée en minibrique (1995), une gamme de soupes en bouteille aseptique, Soup’Créative (1999), les soupes pour enfant Delisoup’ (2001), soupe ingrédient « Faites en tout un plat » (2009), gamme Bio (2017), soupe en bouteille (2018), « Cup » (2019).
[3] Gammes Bio, Gazpacho, Pastasoup’, Pursoup, Classique et familiale.
[4] Entreprise du groupe coopératif et agro-alimentaire Agrial, Priméale est une marque de légumes frais grand public,
[5] Institut de formation régionale des industries alimentaires.
[6] Liebig a disparu en 1997 au profit de la marque Marie, mais elle renaît la même année, quand Danone décide de la vendre au groupe anglais Campbell Soup.
[7] Qui rachète également Royco.
[8] “Celebrating local flavor”.
[9] En 2012, la marque avait pour signature « Liebig met du cœur dans ses légumes ».

Propos recueillis par Jean Watin-Augouard

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