Entretiens

Pour un recours responsable aux influenceurs

09/04/2025

Encadrée par la loi, la relation des « annonceurs » avec des acteurs des réseaux sociaux ne l’est pas depuis longtemps. Ce texte et son respect par les parties ne répondent toutefois pas à toutes les questions qu’appellent les intérêts de chacune. C’est ce à quoi une agence a voulu répondre avec un livre blanc. Entretien avec Pascale Azria, administratrice et présidente de la commission influence au Syndicat du conseil en relations publiques, directrice générale associée de l’agence Kingcom.

Vous venez de publier un livre blanc sur « l’influence commerciale responsable » ; quel est le rôle d’une agence conseil en influence, dénicher des influenceurs pour les marques ?

Pascale Azria : Notre rôle est à la fois stratégique et opérationnel. Nous sommes là pour que chaque campagne devienne un cas d’école de bonnes pratiques : imaginer des activations créatives et performantes, sélectionner avec rigueur les influenceurs les plus cohérents avec la marque, élaborer des briefs qui sécurisent et qui inspirent, briefer les influenceurs pour qu’ils créent en confiance et en conformité, garantir une création de contenu authentique et responsable, assurer la conformité légale et réglementaire de chaque campagne, prévenir les risques. Surtout, éviter les écueils qui peuvent coûter cher, très cher. Notre livre blanc propose des aperçus de nos méthodes.

Notre rôle est aussi de mesurer l’efficacité des campagnes, d’analyser les résultats pour affiner les campagnes futures : taux d’engagement, conversions, qualité des commentaires… rien ne doit être laissé au hasard. Parce que chaque campagne est un investissement, chaque résultat doit être analysé et optimisé. Chez Kingcom, cette approche data driven est au cœur de l’accompagnement. Notre livre blanc détaille des méthodes de mesure et d’optimisation essentielles au pilotage de campagnes performantes.

Qu’est-ce que serait un usage irresponsable du recours à des influenceurs ?

P. A. : L’usage irresponsable de l’influence, c’est franchir la ligne rouge de l’éthique et de la loi. Pénales ou financières, les sanctions, elles, ne font pas dans la nuance. Oublier les mentions légales ou le contrat obligatoire ? C’est une faute grave. S’associer à des influenceurs aux pratiques douteuses ? C’est jouer avec le feu, et la réputation d’une marque. Cibler des audiences vulnérables avec des messages inappropriés ? C’est s’exposer à des retours de flamme immédiats. Chez Kingcom, nous disons : pas de zone grise. La transparence et l’alignement des valeurs sont les meilleurs alliés d’une marque pour bâtir une confiance durable. Nous recommandons aux entreprises de définir leur politique d’influence responsable. Comme le souligne notre livre blanc, poser des règles claires, c’est sécuriser vos actions et protéger votre image.

40 % d’irrégularités lors de contrôles

La loi « visant à encadrer l’influence commerciale et à lutter contre les dérives des influenceurs » (loi n° 2023-451 du 9 juin 2023) étend aux influenceurs le régime de « responsabilité solidaire » habituel aux relations marques-agences. Quel est le bilan de son application un an après sa promulgation ?

P. A. : En 2024, la DGCCRF a intensifié ses contrôles avec 260 vérifications auprès d’influenceurs. Résultat : 40 % des contrôles ont révélé des irrégularités. Les sanctions financières augmentent, et les médias relaient les dérives les plus marquantes. Le secteur est mieux structuré, mais les risques demeurent, surtout avec les micro-influenceurs. Cette loi a permis d’assainir le secteur et de valoriser les marques et influenceurs respectueux des règles. Elle a également favorisé l’émergence de pratiques plus authentiques et responsables. Pour approfondir ces enjeux et sécuriser les pratiques, nous avons élaboré dans notre livre blanc une « checklist de l’influence responsable ».

En dehors des infractions visées par cette loi, quels sont les risques (réputationnels, commerciaux…) auxquels exposent les marques des pratiques irresponsables ?

P. A. : Bad buzz sur les réseaux sociaux : un post mal encadré et c’est la tempête virale. Et enquêtes médiatiques, campagnes de boycottage, plaintes d’associations : l’effet domino peut être dévastateur. Et encore des sanctions financières et une réputation durablement écornée. Un simple manquement peut vite déclencher une crise, d’où l’importance d’une approche rigoureuse et anticipée. Une influence responsable, c’est aussi un investissement dans la protection de la réputation de la marque. Le message est simple : mieux vaut anticiper qu’éteindre des incendies.

La charte qui l’a précédée est-elle caduque du fait qu’il y a une loi  ?

P. A. : La charte, les certificats ARPP (Autorité de la régulation professionnelle de la publicité) et la labellisation Afnor accompagnent la mise en pratique de la loi. Ils incitent les acteurs à se former, à s’engager. Ces chartes restent des références pour développer les bonnes pratiques et garantir une influence responsable en favorisant une approche basée sur la transparence et l’authenticité. Kingcom est l’une des premières agences reconnues pour leur engagement responsable. Nous n’attendons pas que la loi dicte les règles, nous les anticipons.

Les influenceurs doivent-ils toujours recevoir, comme les agences, un brief contraignant ?

P. A. : Comme le souligne notre livre blanc, « la contrainte crée de la valeur ». La contrainte libère la créativité ; parce qu’un cadre bien posé offre aux influenceurs un espace de confiance pour s’exprimer librement. Un brief clair, c’est dire : « Voici les règles du jeu. Maintenant, surprenez-nous !  » Cette confiance, c’est le carburant d’une création authentique, engageante, et surtout légale.

Contrat de principe, attitude responsable

Un influenceur est juridiquement, vis-à-vis d’une marque, un prestataire de service ; y a-t-il toujours contrat et quel est le seuil de la rémunération qui rend un contrat obligatoire ?

P. A. : Oui, il y a toujours contrat, même en cas de rémunération en nature, car le contrat sécurise les engagements et prévient les litiges. Le contrat est obligatoire au-dessus d’un certain montant qui doit encore être défini par décret (il ne devrait pas tarder) et devrait se situer autour de 1 000 euros HT. Le contrat sécurise les engagements et prévient les litiges. À partir du moment où vous avez rédigé un contrat type, il suffit ensuite de le décliner à chaque collaboration. La meilleure protection, c’est l’anticipation. Chez Kingcom, aucune collaboration commerciale ne se fait sans un contrat clair et précis : pas de contrat, pas de campagne. Cela protège nos clients. Ce contrat intègre les éléments clés de la politique d’influence responsable de l’entreprise ou de la marque, un rappel des obligations légales, le brief et les livrables, la rémunération prévue, les obligations de chaque partie.

Y a-t-il dans la pratique du recours aux influenceurs des usages en termes de « profils recommandables », en dehors du nombre de leurs abonnés ? Quelque chose qu’un influenceur ne doit pas faire pour être choisi ?

P. A. : Le critère n’est pas uniquement le nombre d’abonnés. Il faut éviter les influenceurs surexposés, qui enchaînent les collaborations au mépris de la cohérence, et privilégier ceux qui partagent les valeurs de la marque et font montre de pratiques exemplaires (transparence, respect des réglementations, etc.).

Comment se borde la « responsabilité solidaire »¹ entre les parties ? En pratique, qui vise les productions d’un influenceur rémunéré avant diffusion ?

P. A. : Au vu d’une proposition de contenu, l’agence a le rôle de premier filtre. Puis la marque annonceur, son service marketing ou juridique, se prononce. La responsabilité solidaire se borde par la formalisation contractuelle détaillant les obligations et engagements, par la validation en amont des contenus sensibles, par un suivi rigoureux de la conformité jusqu’à la dernière publication. C’est ce qui garantit des campagnes sans mauvaises surprises et des collaborations durables. Au-delà de ce que prévoient les règles de la certification Afnor, nous tenons, chez Kingcom, à assurer un suivi constant de l’élaboration des contenus par les influenceurs, de façon à les alerter aussitôt en cas d’écart par rapport aux engagements contractés.

L’actualité de l’été 2024 a fait émerger la question des prises de position politiques des influenceurs : où commence le risque pour une marque ?

P. A. : Le passé militant d’un influenceur peut devenir une bombe à retardement. Alors, avant de s’engager, mieux vaut évaluer son historique d’opinion et son alignement avec les valeurs de la marque, dans le respect du RGPD. Ce sont les premières assurances contre les mauvaises surprises. Cela nécessite une bonne connaissance des influenceurs et des outils pour les sélectionner, le choix des influenceurs étant stratégique. Cette vigilance est essentielle pour préserver la cohérence et l’intégrité des campagnes.

Connaissance en amont des historiques d’opinion

Est-ce qu’une marque ou une agence d’influence sont fondées à limiter la liberté d’expression d’un influenceur en dehors du domaine où elles le sollicitent ?

P. A. : Non. La liberté d’expression reste un droit fondamental. Cependant, une marque peut protéger son image en choisissant des influenceurs alignés avec ses valeurs. La clé ? Anticiper, c’est-à-dire bien analyser les historiques d’opinion, clarifier les attentes dès le brief initial, construire la relation sur la confiance et l’alignement. Pas question d’imposer des règles après coup. Il faut choisir les bons partenaires dès le départ.

Les influenceurs s’adressent-ils plus à des « communautés » qu’au grand public indifférencié des chaînes de télé ? À des tranches d’âges (on imagine une sur-représentation des 15-25 ans, est-ce le cas ?) De grandes marques à diffusion universelle courent-elles un risque à se « communautariser » ?

P. A. : L’influence est communautaire par essence, c’est sa force. Mais il serait drôle de parler de communautarisme pour l’influence, alors qu’il en a rarement été question pour des médias qui s’adressent, pour certains, à des publics très spécifiques. Pourquoi serait-ce le cas avec les influenceurs ? Reste que, oui, l’influence commerciale permet de cibler très finement les publics, bien mieux que de nombreux autres médias. Mais le piège, c’est le repli sur une seule niche. Pour éviter de tomber dans le « ghetto marketing », il faut diversifiez les profils et surtout veiller à ce que les messages restent ouverts et inclusifs.

Concernant les tranches d’âge, il est vrai que les 15-25 ans sont sur-représentés sur des plateformes comme Instagram, TikTok ou Twitch, mais l’influence s’étend aujourd’hui à des audiences plus larges, incluant des parents, des professionnels et des seniors, sur des réseaux comme YouTube ou LinkedIn.

Souci de transparence hors rémunération

Quelle est l’importance de « l’influence non rémunérée » ? Est-elle un moyen de contourner la loi de 2023 ?

P. A. : L’influence non rémunérée est puissante, car elle incarne l’authenticité. Mais elle n’est pas un échappatoire à la loi. Elle garantit par contre la liberté d’expression : il n’y a pas de demande explicite de la marque, pas de contrepartie et aucune obligation de l’influenceur. Ni non plus bien sûr de brief, ni de contrat, ni de rémunération. Une marque peut inviter un tel influenceur à un événement de l’entreprise ou de la marque, ou lui faire tester un produit. Mais elle ne lui demande ni n’impose rien : l’influenceur agit avec sa liberté d’expression, son envie, son avis. Par souci de transparence, il doit indiquer qu’il a été invité ou qu’il a reçu le produit de la marque.

Alors, quel intérêt ? Une véritable authenticité dans la forme, le fond, et dans le choix même de diffuser un contenu ou non. Les communautés sont encore plus engagées lorsqu’elles savent qu’elles ont affaire à un contenu spontané d’influenceur. En ce sens la loi du 9 juin 2023 a renforcé sa force et son intérêt : en imposant la visibilité de l’influence commerciale, elle a fait, en écho, que l’influence non rémunéré soit différenciée ! Chez Kingcom, nous recommandons toujours à nos clients de clarifier leur posture vis-à-vis de l’influence commerciale.

Y a-t-il beaucoup d’influenceurs qui se mettent à parler spontanément d’une marque, sans y avoir été engagés par elle ? Et beaucoup qui parlent spontanément de marques pour les décrier ?

P. A. : Est-ce que vous parlez vous même de marques avec vos collègues, avec vos amis, votre entourage ? J’imagine que oui. Or je ne pense pas que vous ayez été rémunéré pour cela. Et vous en parlez, soit parce que vous les adorez, soit parce que vous les détestez ! C’est exactement la même chose pour les influenceurs.

Quelle est la part de la comparaison de produits dans le discours des influenceurs ? Si un influenceur cite deux marques pour dire « elle ont chacune leurs qualités », alors qu’il a été payé par une seule des deux, ça passe pour la marque payeuse ? Est-ce que sa responsabilité n’est pas justement de prendre ce risque ?

P. A. : Dans le cadre d’une collaboration rémunérée, les contrats imposent souvent des clauses d’exclusivité : pas de mention d’un concurrent pendant la durée du partenariat. Si ce n’était pas le cas, l’influenceur pourrait prendre le risque de la comparaison, car cela renforcerait sa crédibilité. Attention toutefois, car la publicité comparative est très encadrée en France. Le secret ? La transparence. Tant que la relation commerciale est claire, un message comparatif peut gagner en force. Mais ce choix doit être stratégique et assumé.

Votre livre blanc a-t-il vocation à être partagé avec les autres agences membres du Syndicat du conseil en relations publiques (SCRP) et porté par lui ?

P. A. : C’est ce que je souhaite, il constitue une base de travail dont notre commission débattra.

1. « L’annonceur, son mandataire le cas échéant, et la personne exerçant l’activité (l’influenceur) définie à l’article 1er et, le cas échéant, l’activité définie à l’article 7 (l’agent) sont solidairement responsables des dommages causés aux tiers dans l’exécution du contrat d’influence commerciale qui les lie » (art 8 III de la loi de 2023).

Propos recueillis par François Ehrard

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