Biodiversité
La nature positive, inspiration de L’Occitane
14/12/2021
Qu’entend L’Occitane par un monde « nature positive », concept que vous avez évoqué lors d’un récent Congrès mondial de l’ONG Union internationale pour la conservation de la nature (UICN) ?
Denis Geffroy : Cette notion, qui a émergé depuis quelques mois, rappelle que, à côté de la crise climatique, il faut compter avec la crise de la biodiversité, caractérisée par une perte très importante au niveau planétaire. Un monde « nature positive » nous ferait passer d’une trajectoire marquée par une perte de biodiversité à une autre où on la reconstituerait grâce à des pratiques de protection et de régénération.
Cette notion s’apparente-elle à celle du « bien commun » ?
D. G. : Oui, car la nature au sens large est un bien commun qui fournit à l’humanité l’oxygène, l’eau potable, le sol cultivable ou les ressources naturelles. L’ambition « nature positive » part du principe que ce bien commun nécessite une régulation collective. Les entreprises ont un rôle à jouer dans cette régulation : en commençant par réduire drastiquement leur impact, et en collaborant avec les communautés locales, les organisations publiques, les ONG.
Depuis quand la biodiversité est-elle au centre de la stratégie de votre groupe ?
D. G. : L’Occitane est née en 1976 avec le projet de valoriser la nature provençale par les produits cosmétiques. Le lien avec la nature est consubstantiel à la marque, aussi bien pour les ingrédients que pour l’inspiration, ou biomimétisme. En 2008 a été créé le service filières durables, pour protéger des matières premières iconiques comme la lavande, l’amande ou la verveine, en mettant en place des modes de production durables avec les producteurs. D’autres actions ont ensuite concerné l’emballage, le recyclage, la fourniture en énergie renouvelable de nos usines à Manosque, en Haute-Provence, et à Lagorce, en Ardèche. En 2016, nous avons réalisé un diagnostic de biodiversité avec le comité français de l’UICN pour déterminer nos impacts les plus forts et définir des actions pour les réduire tout au long de la chaîne de valeur : approvisionnements en matières premières, écoconception des produits, formules, emballages, fonctionnement des usines et distribution. Ce travail a abouti en 2021 à la formalisation d’une stratégie de biodiversité à l’échelle du groupe, qui a été présentée lors du congrès de l’UICN à Marseille en septembre dernier. Cette stratégie est l’un des trois piliers de notre stratégie RSE, les deux autres étant le climat et le pilier social portant sur la diversité et l’inclusion. Pour que cette stratégie s’appuie sur des données scientifiques et réponde aux bons enjeux, nous nous appuyons sur les travaux du Science Based Target Network, qui définit des méthodes pratiques à l’intention des entreprises qui s’engager dans cette voie.
Quarante-deux filières végétales
Avez-vous des exemples concrets de réduction de vos impacts ?
D. G. : Pour les matières premières végétales, nous travaillons avec quarante-deux filières où nous avons une traçabilité totale. Nous cherchons constamment à améliorer la traçabilité de nos approvisionnements, afin de limiter les risques ou d’engager des actions correctrices lorsque la culture de ces matières premières ne correspond pas à nos attentes en matière de pratiques agricoles ou de droits sociaux.
Pour les emballages, nous faisons partie de la coalition Sustainable Packaging Inititiative for Cosmetics, qui a défini une méthode commune d’analyse des impacts de l’emballage sur l’environnement. Nous sommes également signataires de l’engagement pour une économie circulaire de la fondation Ellen MacArthur, auprès de laquelle nous rapportons chaque année nos progrès. Nous avons pris comme engagement de réduire à l’horizon 2025 de 10 % la quantité totale de plastique que nous utilisons dans nos emballages, même en croissance de notre activité : suppression des emballages non nécessaires, diminution de leur poids, développement des écorecharges, de la vente en vrac et des savons et shampoings solides, utilisation du PET recyclé et développement de la recyclabilité pour entrer dans une logique d’économie circulaire.
En quoi la protection de la biodiversité constitue-t-elle une source d’innovation pour le groupe ?
D. G. : Nous avons deux clients, les consommatrices et la planète. Quand nous concevons des produits, nous nous interrogeons pour savoir dans quelle mesure ils peuvent avoir un impact positif pour elles. La biodiversité nous guide pour développer de nouvelles techniques, des produits solides, biodégradables, des écorecharges, des fontaines en boutique pour recharger des flacons. Nous croyons beaucoup au développement de l’offre en vrac, que nous avons lancée récemment dans trente boutiques, ainsi qu’à l’offre de produits « solides ». Les premiers résultats sont très encourageants.
De la Provence à l’Afrique
Entre l’exploitation des sols et des mers, celle des ressources, la pollution, les espèces invasives et le changement climatique, tous facteurs clés de la perte de biodiversité, dans lesquels vous engagez-vous particulièrement ?
D. G. : Dans le cadre d’une logique systémique, nous regardons l’ensemble des impacts. Un sujet clé où nous pouvons avoir l’action la plus forte est la surexploitation des ressources, notamment du sol, et la transformation des terres. Pour régénérer les sols, nous développons des pratiques d’agro-écologie comme les couverts végétaux avec une quinzaine de producteurs d’amandes, de lavande et de verveine dans le sud de la France et en Corse. Nous favorisons l’agroforesterie en replantant des arbres et des haies dans les champs, nous favorisons la rotation des cultures. Pour le reboisement nous nommes membres du troisième Fonds Carbone Livelihoods, lancé en juin 2021 pour soutenir les communautés rurales. Au Burkina Faso, nous agissons avec les coopératives de productrices de beurre de karité et l’ONG Nitidae pour lutter contre la déforestation de deux manières. D’une part, la certification équitable et la rémunération du beurre de karité à un prix plus de deux fois supérieur au prix du marché contribuent à donner de la valeur à cette activité et incitent les communautés locales à préserver les zones où pousse l’arbre à karité. D’autre part, nous avons contribué à créer de petites usines de transformation qui vont utiliser les coques d’amandes et non le bois comme source d’énergie.
Tous les métiers et salariés du groupe sont-ils sensibilisés à la biodiversité ?
D. G. : L’Occitane dispose d’une équipe d’ingénieurs agronomes qui se consacre à la biodiversité. Par ailleurs, de nombreuses équipes participent à l’élaboration et à la mise en œuvre de notre stratégie : R&D, emballage, achat, production, marketing et communication. Et tous les salariés sont sensibilisés aux projets de reboisement de nos filiales de distribution en Chine, au Brésil, en Amérique et en Europe.
“Cultiver la beauté naturelle”
Contribuez-vous à des travaux de recherche et d’expertise collectifs ?
D. G. : Nous avons contribué au livre blanc de la Fébea consacré aux bonnes pratiques en matière de biodiversité. Ce livre blanc montre que la filière cosmétique est très engagée sur le sujet et a déjà mis en place de nombreuses actions. Le groupe L’Occitane est également membre de One Planet Business for Biodiversity, qui regroupe vingt-cinq grandes entreprises autour de l’agriculture régénératrice. Ainsi que de la Global Shea Alliance, qui regroupe l’ensemble de la filière beurre de karité en Afrique. Nous échangeons également avec des entreprises de manière bilatérale quand nous avons des problématiques communes.
Engagez-vous des actions pour sensibiliser les consommatrices ?
D. G. : La sensibilisation passe par l’offre de produits et de services contribuant au développement de l’économie circulaire. Outre l’emploi de matières recyclées dans nos emballages, nous proposons dans plus de 65 % de nos boutiques en propre à travers le monde un service de collecte d’emballages non pris en charge par les filières traditionnelles, afin de les valoriser.
Visez-vous une certification ?
D. G. : Nous souhaitons être certifiés B Corp en 2023, objectif qui permet au groupe d’évaluer sa performance globale et de s’engager dans des programmes d’amélioration. Cela nous conduit à hausser l’exigence vis-à-vis de nous-mêmes. C’est dans ce cadre que nous avons défini la raison d’être du groupe : « Nous accompagnons les entrepreneurs et les communautés pour cultiver la beauté naturelle et le bien-être tout en régénérant la nature. »
Propos recueillis par Jean Watin-Augouard