La Vache qui rit, partout chez elle
27/04/2022
La Vache qui rit a cent ans cette année. Pour quelles raisons est-elle patrimoniale, iconique, emblématique [1] ?
Pauline Prin Dumeste : La Vache qui rit est née il y a cent ans dans le Jura, et son histoire est directement liée à celle de la famille Bel, dont Antoine Fiévet, PDG du groupe, est le cinquième dirigeant familial. Depuis ses origines, elle n’a jamais cessé d’afficher des valeurs positives et d’innover, pour être toujours au plus proche des consommateurs et de leurs attentes. Elle est aujourd’hui la septième marque mondiale du marché du fromage, toutes catégories confondues [2], présente dans un foyer français sur trois.
Commercialisée dans cent trente pays, et cent dix recettes avec des tailles de portions diverses, fabriquées dans treize usines de production… Reste-t-il pour La Vache qui rit des aires de conquête ?
P. P. D. : Cent vingt-cinq portions de La Vache qui rit sont fabriquées chaque seconde dans les treize usines à travers le monde. C’est une marque audacieuse qui, par son format en portion, a su se faire adopter partout. En parallèle, elle n’a cessé de se réinventer, qu’il s’agisse du format, avec les barquettes Pik & Croq’ et leurs biscuits croustillants à tremper, ou de son goût : version nature évidemment, mais aussi jambon en France, ail et fines herbes, cheddar, bacon ou poivron aux États-Unis, yuzu en Corée, chili au Maroc, fruits de mer au Japon, ou encore en version sucrée (vanille, banane, myrtilles ou fraises) en Asie. Depuis 2020, elle se décline aussi en bio. Aujourd’hui, elle continuer d’accompagner les consommateurs dans la diversification de leur alimentation en proposant des portions associant fromage et légumineuses dans les pays anglosaxons, et bientôt une version 100 % végétale pour la France et les États-Unis.
Locale partout
À l’étranger, La Vache qui rit est une de rares marques à être traduites [3]. Y est-elle connue comme une marque française ?
P. P. D. : La Vache qui rit est en effet traduite dans une vingtaine de langues, ce qui renforce le lien de proximité et d’appropriation des consommateurs avec la marque. Avec nos nombreuses usines implantées localement employant des citoyens locaux, nous prônons la production au plus près des consommateurs, et les approvisionnements locaux. La référence à la France est essentiellement faite en France, où sont produites les boîtes de Vache qui rit pour le marché français.
L’étiquette a évoluée une vingtaine de fois en France depuis un siècle, sans que les consommateurs en soient perturbés. Comment expliquer leur fidélité, alors qu’eux-mêmes ont tant changé ?
P. P. D. : En 2020, à la veille des cent ans de La Vache qui rit, nous avons retravaillé l’identité graphique de notre icône pour la moderniser et nous assurer une image cohérente partout dans le monde. Cela faisait trente-cinq ans qu’elle n’avait pas connu de changement majeur. Avant le lancement, des tests ont été menés auprès des consommateurs dans trois territoires clés, l’Hexagone, le Maroc et les États-Unis, pour nous assurer de maintenir l’iconicité, la familiarité et la connexion émotionnelle avec les consommateurs. Une marque iconique doit suivre les changements des époques, mais doit garder ses fondations, les éléments visuels essentiels qui la caractérisent et qui sont des repères pour le consommateur (la tête de vache rouge en majeur, ses boucles d’oreilles ou les stries sur le côté de la boîte ronde par exemple). Nous avons retravaillé l’étiquette, mais nous adaptons nos messages (nutrition, naturalité ou marketing) aux besoins des consommateurs locaux, et à l’évolution de leurs attentes et habitudes.
Adaptée aux variantes de besoins nutritionnels
Par quelles innovations et dans quels domaines La Vache qui rit est-elle pionnière ?
P. P. D. : Marque iconique de notre groupe, elle incarne notre mission d’entreprise : offrir une alimentation saine, responsable et accessible à tous. Dès son origine, dans l’entre-deux-guerres, elle est une petite révolution, en proposant du fromage fondu, un produit riche et goûteux. Toujours ancrée dans son époque, elle est militante et de tous les combats. Pour une alimentation plus saine, avec des recettes adaptées aux besoins nutritionnels des populations, dans les territoires où elle est vendue ; elle est réduite en sel et matières grasses aux États-Unis et en Europe, enrichie en fer, zinc, iode et vitamine A ou D en Algérie, au Maroc, en Égypte et dans certains pays d’Afrique subsaharienne. Autre combat, l’accessibilité, en étant disponible dans tous les canaux de distribution, de l’hypermarché aux vendeurs de rue, et cela dans cent vingt pays. Et dans la lutte contre le gaspillage alimentaire, en étant une pionnière du Pacte sur les dates de consommation de Too Good To Go [4] dans cinq pays. Celui de la diversité alimentaire, en se déclinant en recettes végétales…
La Vache qui rit est également pionnière dans l’art de communiquer. Dès 1923, à une époque où la réclame semblait suffire à promouvoir un produit, La Vache qui rit descend dans la rue avec des affiches publicitaires à l’humour omniprésent et tisse une relation affective avec les consommateurs, grâce à une présence originale sur les objets de la vie courante. Dès 1950, elle s’invite dans les foyers grâce à des films publicitaires à la télévision, à la radio, comme au cinéma, avant de rassembler sur internet une communauté de fans qui cherchent inlassablement à savoir pourquoi La Vache qui rit… rit. En 2021, la marque s’est lancée sur Tik Tok et propose aux internautes un filtre événementiel aux couleurs de ses cent ans. Elle a ainsi généré 1,7 milliard de vues.
Nouvelle recette pour l’Europe
Comment La Vache qui rit, qui incarne le fromage industriel, répond-elle à la demande de naturalité et de produits locaux ?
P. P. D. : Parce qu’elle est une marque iconique et populaire qui accompagne des générations de Français depuis cent ans ; sa recette évolue avec eux et se simplifie pour répondre à leurs attentes, tout en répondant à notre mission : offrir une alimentation plus saine et responsable pour tous. Toujours fabriquée au cœur de son Jura natal, sa nouvelle recette lancée en 2021 est disponible dans la plupart des pays d’Europe. Elle se compose simplement de quatre ingrédients laitiers : des fromages sélectionnés avec soin pour le goût, du beurre pour la texture, du bon lait, et des minéraux de lait. Elle incarne ainsi pleinement la démarche de Bel en faveur de plus de naturalité.
Et comment répond-elle au défi climatique et à la protection de la biodiversité ?
P. P. D. : Nous avons intégré ces enjeux au modèle du Groupe Bel et avons affirmé notre volonté de contribuer à limiter le réchauffement climatique sous le seuil de + 1,5°C, comme le recommande le GIEC. Cela implique un changement de paradigme à tous les niveaux de notre chaîne de valeur : par l’accompagnement des producteurs laitiers dans la réduction des émissions dans leurs exploitations, par un plan de décarbonation de nos sites de production, par l’écoconception pour atteindre 100 % d’emballages prêts au recyclage ou biodégradables, par notre travail avec l’ONG WWF pour une agriculture régénératrice qui protège la biodiversité. Toutes nos marques sont concernées, dont La Vache qui rit.
Tous un souvenir avec elle
À quoi La Vache qui rit doit-elle le plus d’avoir traversé le temps ? Son accessibilité, son format (portion individuelle), sa longue conservation, la qualité de ses ingrédients, sa communication, son ancrage industriel à Lons-le-Saunier, la transmission d’une expertise, le statut d’entreprise familiale ?
P. P. D. : Je crois que vous avez donné tous les ingrédients, auquel j’ajouterais une dose de rire. La Vache qui rit est une marque proche des gens qui s’est fait une place dans des millions de foyers à travers le monde, et autant de souvenirs, de moments de partage. Nous avons tous un souvenir avec la marque – c’est un des constats que nous avons faits à l’occasion de ses cent ans.
Avoir créé d’autres marques de produits (Apéricube, Pik & Croq, le Fondant) a-t-il contribué à la pérennité de La Vache qui rit ?
P. P. D. : Oui en ce sens qu’en cent ans la Vache qui rit est entrée dans les habitudes de tant de foyers que nous lui avons permis, avec nos innovations de recettes et de formats, d’accompagner les familles dans une multiplicité d’usages.
Nom à défendre
Quelle part a prise la protection juridique de la marque (nom, visuel et boîte ronde) dans sa pérennité, alors que les contrefaçons n’ont pas manqué ?
P. P. D. : Le nom est une part de l’audace de la marque et de son succès à travers le temps. Son créateur, Léon Bel en a eu conscience assez tôt. Dès les années 1920, il a protégé sa marque en déposant des « marques de défense » : La Vache qui grimace, La Vache qui rigole, La Vache qui pleure… Et l’histoire a montré qu’il avait bien fait. En 1927, la fromagerie Grosjean de Lons-le-Saunier a déposé la marque La Vache sérieuse, et les deux marques ont cohabité des années, jusqu’à leur comparaison dans les campagnes publicitaires des années 1950 : « Le rire est le propre de l’homme ; le sérieux, celui de La Vache sérieuse. » La course entre elles a pris fin en 1959, après une opposition de plusieurs années entre La Vache sérieuse de Grosjean et La Vache heureuse déposée par Bel : Bel se voit interdire l’utilisation de la marque La Vache heureuse et fait appel, avec à l’appui huit cents courriers de consommateurs ayant confondu les deux marques et montrant que La Vache sérieuse avait été créée sciemment en opposition à La Vache qui rit. La Vache sérieuse est alors devenue La Vache Grosjean, La Vache qui rit continuant sa route.