St Hubert, chasseur d’innovations
21/06/2024
Depuis quand la société St Hubert fait-elle de la transition alimentaire une priorité ?
Jean-Christophe Sibileau : Sans vouloir réécrire l’histoire de St Hubert au vu des vertus qu’on attend des entreprises alimentaires aujourd’hui, son fondateur, Paul Couillard, eut pour ambition dès la création, il y a cent vingt ans, de proposer dans des magasins de laiterie des produits laitiers sains et accessibles au plus grand nombre. Le souci de « mieux manger » était déjà là : le lait était pasteurisé et conditionné avec une hygiène d’autant plus contrôlée que, derrière le comptoir des laiteries, des vitres donnaient la possibilité aux clients de voir l’atelier de conditionnement.
La transparence est au cœur de notre société, installée en Lorraine depuis 1904. L’alimentation doit être saine pour l’homme et responsable sur le plan social et environnemental. Bien avant que la RSE ne devienne un contrat de base, St Hubert était très engagée dans des démarches de gestion des déchets, d’économies d’énergie, d’amélioration des recettes sur le plan nutritionnel.
Quelles initiatives récentes a-t-elle prise dans le domaine environnemental ?
J.-C. S. : St Hubert réalise des bilans carbone depuis quinze ans et est engagée depuis 2010 dans des processus d’investissement pour économiser l’énergie (– 56 % ) et diminuer l’empreinte carbone (– 26 % ), afin d’avoir une activité la plus sobre possible sur le plan environnemental. Nous recyclons 99 % de nos déchets dans notre usine de Ludres (Meurthe-et-Moselle). Nos palettes ne sont pas filmées, ce qui conduit à une économie significative de plastique. Le plastique de nos emballages a lui aussi été réduit de 25 % et nous cherchons des alternatives avec nos fournisseurs pour diminuer encore son utilisation.
Nous avons un plan d’investissement de 50 millions d’euros sur une dizaine d’années qui doit nous apporter des nouvelles capacités technologiques pour l’innovation, davantage de flexibilité, et nous aider à poursuivre notre transition énergétique. Notre objectif est de réduire de 77 % l’empreinte carbone de notre outil industriel d’ici huit ans.
Pionnier des probiotiques
Quelles innovations avez-vous lancées pour faire évoluer les usages vers une alimentation plus saine et vers la « crémerie végétale » ?
J.-C. S. : Durant ses quatre-vingts premières années, l’activité de St Hubert était centrée sur la crémerie. Au nombre de ses innovations avant-gardistes, le lait pasteurisé en bouteille de verre, les yaourts en pot carton, le premier lait stérilisé en bouteille plastique, la brique UHT Tetra Pak à la marque Lactel, l’introduction des probiotiques en France avec le lancement des yaourts BA’.
Depuis 1981 et son recentrage progressif vers la crémerie végétale, St Hubert a innové en proposant, en 1981 donc, la première matière grasse légère et pratique à tartiner en barquette, avec St Hubert 41, l’aide culinaire légère avec Le Fleurier, en 1989, et St Hubert Omega 3, en 2002, qui a créé le segment des margarines santé qui représente aujourd’hui 60 % du marché. Nous avons lancé en 2016 les premières margarines sans huile de palme. Et St Hubert a été en 2008 la première entreprise alimentaire française à signer la charte PNNS.
Dernier lancement, cette année : St Hubert L’original. Original dans le double sens du terme, par sa recette « au bon goût de beurre » et une texture identique à celle du beurre à tartiner, par le retour aux sources du savoir-faire de l’entreprise, qui associe les bénéfices de la margarine et du beurre.
Filière colza origine France
Votre savoir-faire à la fois laitier et végétal vous a-t-il conduits à privilégier des filières spécifiques ? Comment vous assurez-vous de la traçabilité et de leur transparence, avec quelles certifications ?
J.-C. S. : Ce double savoir-faire fonde notre singularité et nous confère un positionnement unique sur le marché. La marque St Hubert a une notoriété et une image exceptionnelles qui dépassent le clivage entre produit laitier et produit végétal. Elle peut s’autoriser à lancer des produits issus des deux secteurs en utilisant le meilleur des deux, par exemple des matières grasses moins saturées, plus saines du point de vue environnemental associées à des ingrédients laitiers pour le goût. Nous avons développé des filières, comme celle du colza origine France. Notre objectif est d’avoir un approvisionnement français qui nous garantisse régularité et qualité.
Nous ne travaillons pas en direct avec les cultivateurs, nous achetons l’huile à des raffineurs qui ont notre profil, des ETI, et travaillons avec eux à façon, de manière durable avec un approvisionnement tracé. St Hubert entend rendre à son environnement proche ce qu’il lui a donné. Aussi nos fournisseurs sont majoritairement locaux. Lors de la crise des huiles déclenchée par la guerre en Ukraine, avec pour conséquence une rupture d’approvisionnement, nos fournisseurs nous ont préservés du risque.
Sur le plan des certifications, outre celles, classiques, que sont l’IFS[1] et la BRC[2], nous sommes, dans le domaine environnemental, certifiés Iso 14001 depuis 2009, Iso 50001 (normes énergétiques), et PME +.
Projet d’agroforesterie
Quelle est la part de la France dans la fabrication de vos gammes, les ingrédients utilisés ?
J.-C. S. : L’intégralité de notre production est fabriquée à Ludres. Nous utilisons principalement des huiles et des matières grasses. Nous avons des huiles liquides à température ambiante produites dans des régions à climat tempéré (tournesol, colza, lin). Pour fabriquer la margarine, nous devons aussi utiliser d’autres types de matières grasses, solides, issues de contrées exotiques (karité, coco, palme). Nous privilégions chaque fois que possible les filières françaises, filières qualitatives, en acceptant leur surcoût. Nous portons beaucoup d’attention à la sélection des autres ingrédients, pour limiter notre empreinte. Nous contribuons à financer, au sein de l’Alliance pour la préservation des forêts, un projet d’agroforesterie en culture de palmiers, et notre R&D travaille sur des projets d’alternatives qui contribueront à réduire encore notre bilan carbone scope 3.
Comment intégrez-vous les technologies avancées (IA) et l’automatisation dans vos processus de production ? Devez-vous arbitrer entre robotisation et embauche ?
J.-C. S. : L’arbitrage conditionne la stratégie industrielle et ses modalités depuis l’apparition de la première machine. Dans tout marché concurrentiel, la pérennité de toute entreprise est en particulier déterminée par la maîtrise de ses coûts, donc par le recours à l’automatisation. Pour l’heure, nous sommes très engagés dans les technologies avancées. Nos employés utilisent ChatGPT 4.0 et Copilot. Nos équipes de marketing ont développé un applicatif spécifique pour générer des concepts en s’appuyant sur l’intelligence artificielle. Un salarié est depuis peu affecté à la transformation digitale et à l’IA, pour chercher les cas d’usage les plus appropriés à une entreprise telle que la nôtre et les déployer dans tous les domaines, administratif, R&D, industrie…
Des raisons d’attirer les talents
Quels sont les défis majeurs auxquels St Hubert est confrontée ?
J.-C. S. : La principale richesse d’une entreprise, ce sont ses salariés. L’enjeu porte aussi bien sur le renouvellement des compétences que sur la pérennité du savoir-faire. Une ETI comme la nôtre n’a pas les mêmes atouts qu’un grand groupe pour attirer des candidats, même si les nouvelles générations ont parfois tendance à ne pas les choisir. Un des défis de St Hubert est de faire savoir son plan de croissance, ses investissements industriels, ceux pour soutenir ses marques (+ 25 % en 2023, + 30 % en 2024).
Nous entrons dans une phase de transformation très importante, soutenue par nos actionnaires, qui va demander beaucoup d’exigence et d’engagements de la part de tous les salariés : ils vont avoir la chance de jouer un rôle fort en réinventant notre activité. Nous devons le faire savoir, le faire comprendre, pour attirer les talents qui vont nous permettre de concrétiser nos plans à la hauteur de nos ambitions. Notre décision de déménager, début juillet, notre siège social de Rungis à la Porte d’Orléans, alors que bon nombre d’entreprises ont plutôt tendance à réduire les mètres carrés par souci d’économie, participe de la volonté d’améliorer l’attractivité de l’entreprise et l’épanouissement de ses employés.