Commerce en tension, la part du conjoncturel
30/03/2020
Quelles conséquences la crise sanitaire peut-elle avoir sur le commerce ? S’il est prématuré de se lancer dans des prévisions à long terme, le court terme laisse apparaître certains faits saillants. Tant sur l des acteurs, distributeurs et industriels, que sur les consommateurs. Une évidence : la grande distribution, en France, a bien et vite agi pour protéger ses salariés et ses clients, ce qui est lié. Beaucoup de distributeurs ont fait preuve d’une rapidité exemplaire. Ainsi Carrefour a réalisé en quelques jours l’exploit de mettre partout des barrières en plexiglas pour protéger clients et caissières : entre le début du confinement le 17 mars et le 20 en fin de journée, dans plus de mille points de vente !
Agir sur l’offre ?
La question a été posée de savoir si les industriels doivent réduire la largeur de l’offre et privilégier les achats de nécessité ? Si cela se justifie pour des gammes destinées à la restauration hors foyer évidemment au ralenti, cela ne semble pas opportun pour les autres circuits. Nous ne savons pas combien de temps la crise sanitaire va durer ni quelles seront ses conséquences sur le plan sanitaire ou économique. Une réduction des gammes est un pari risqué, car l’industriel ne peut être sûr qu’en sortie de crise il retrouvera toute sa place en linéaire, aussi peut-il préférer se préserver pour la phase de relance, une fois le confinement levé et la crise passée.
Côté distributeurs, on observe qu’à l’étranger la distribution alimentaire applique des restrictions sur les produits les plus demandés (ils sont faciles à identifier au vu des panels et des comportements des consommateurs). En France, les restrictions sont assimilées à du refus de vente. La loi devrait peut-être évoluer pour donner plus de souplesse à la distribution, au moins avec les particuliers. Les distributeurs doivent être en mesure de décider localement ou nationalement de telles restrictions. Ce n’est pas choquant, juste prudent, pour ne pas mettre la santé des clients en danger par des conflits devant les rayons.
En ligne, les sites généralistes comme Amazon – en France, en Italie et aux États-Unis – font face à un afflux inhabituel de commandes et sont conduits à limiter leur offre aux produits essentiels. Ces entreprises qui semblaient infaillibles sont exposées comme les autres distributeurs et ont aussi leurs failles. Des produits disponibles et en stock, et avec un abonnement Amazon Prime, ne peuvent être livrés que sous trois semaines ou un mois. En Angleterre, le site d’Ocado, le référent de l’e-commerce alimentaire, a été inaccessible à cause du surcroît de demandes.
Des hauts et des bas en ligne
Contrairement à ce qui se dit beaucoup, l’e-commerce ne va pas tirer profit des fermetures de magasins. Il faudra vérifier les chiffres à la fin de la crise et les comparer à la hausse de l’an dernier, qui était en France de 11,6 % selon la Fevad ; à chaque crise on s’attend qu’elle profitera au e-commerce, et à la fin de chaque crise il faut nuancer. Dans la crainte sanitaire, l’envie de consommer faiblit, et cela nuit aussi aux ventes en ligne. Lors de la récente grève SNCF-RATP, l’e-commerce n’a progressé que très peu.
Dans cette crise du Covid-19, inédite par son ampleur, les commandes ont d’abord explosé pour le drive alimentaire : il a bénéficié du contexte « gestes barrières », puisqu’il permet d’éviter le magasin. Autre hausse prévisible : la livraison à domicile, d’autant que le click and collect (hors le drive alimentaire et le bricolage de première nécessité) est à l’arrêt. Il y aura donc des reports spectaculaires. Pour le reste du commerce en ligne, beaucoup d’enseignes ont décidé de fermer, comme Intersport ou Chaussea, pourtant parmi les leaders dans leurs catégories. Là aussi, l’effet devrait être limité.
Demain va se jouer la survie du tissu de petits commerçants, une question déjà cruciale avant la crise. Elle dépendra de plusieurs facteurs, un soutien national, le soutien à l’échelon des mairies, et le soutien des consommateurs qui adopteront ou non un comportement civique en phase de relance pour rétablir les équilibres. Chacun est acteur.
La crise pourra, espérons-le, conduire à une relocalisation de certaines activités, pour moins dépendre de fournisseurs étrangers. En 2018, on pouvait encore fabriquer 200 millions de masques par an en Bretagne ; des usines de masques ont été fermées, notamment Honeywell à Plaintain. La production locale est une tendance lourde qui, faisons le pari, va se renforcer. Parce qu’il faudra en sortie de crise soutenir les producteurs, maintenir ou créer des emplois industriels, mais aussi parce que le local est plus rassurant pour les consommateurs.
Questions de confiance
Quel sera leur comportement ? Si dans la crise ils ont voulu consacrer le minimum de temps à faire le maximum d’achat, en sortie de crise ils voudront peut-être reprendre leurs habitudes : regarder de nouveau les étiquettes, vérifier la composition des produits et chercher le meilleur choix : est-ce que cela vaut bien le prix qu’on me demande ? Les premiers prix, déjà en difficulté avant la crise, vont souffrir encore plus. Aussi faudra-t-il des gammes larges, pour que chacun fasse son choix. Il y a beaucoup de ruptures en magasin, réduire les gammes accentuerait un sentiment de magasins vides qui en rajouterait aux effets négatifs de la crise.
Le confinement ne conduit pas les consommateurs au « fait-maison », car s’ils disposent de plus de temps chez eux, le fait maison est chronophage. Les produits frais subissent d’ailleurs une désaffection dans la grande distribution, due sans doute à un problème de confiance. La fermeture des marchés forains va autant à l’encontre d’un essor du fait-maison. En revanche l’origine, la composition ou les qualités nutritionnelles des produits vont être toujours plus essentiels. Avec 87 % de Français inquiets de la crise sanitaire (sondage Élabe-Berger-Levrault pour BFMTV diffusé le 25 mars), il est probable que nous allons faire plus attention à notre santé et à notre alimentation.
Se pose aussi la question de arbitrages entre l’utile contre le futile. Près d’un Français sur deux arbitre son budget en fin de mois à 10 euros près, il dans l’utile à 100 % . Pour les autres, une consommation un peu futile sera… utile en période de relance. Pour l’heure, l’urgence est de garder le lien, à l’instar de Leroy-Merlin qui a tout de suite affiché sur son site « Même fermé, Leroy Merlin reste à vos côtés ». Si la crise peut renforcer les liens entre les Français et leurs commerçants, ce sera une bonne chose.