Innovation
Vrac, les raisons d’y être
18/06/2021
La vente en vrac se développe fortement sous l’impulsion d’une offre qui se multiplie – plus de quinze mille points de vente proposent des produits à la vente en vrac –, de consommateurs en recherche d’achats qui limitent les emballages – attentifs en particulier au phénomène de suremballage – et d’un contexte législatif qui a non seulement défini la vente en vrac (article L. 120-1 de la loi Agec du 10 février 2020), mais qui a surtout l’objectif d’engager, d’ici 2030, tous les magasins de plus de 400 m² à accorder 20 % de leur surface à la vente en vrac de produits de grande consommation (article 11 du projet de loi Climat et résilience).
Cette tendance mobilise tous les acteurs, et notamment les grandes marques de ce secteur. Nombre d’entre elles avaient commencé à travailler sur de nouvelles offres afin de satisfaire cette demande, et le vrac s’est imposé comme une réponse parmi d’autres. Déjà en relation avec l’Ademe pour deux études [1] portant sur le vrac, l’Ilec a fédéré plusieurs de ses adhérents – des entreprises qui ont chacune leur organisation et leurs modes de décision – autour d’une expérimentation commune. Objectif : lever les obstacles et chercher un modèle viable pour toutes les marques et pour les distributeurs, et désirable pour les consommateurs.
Un partenariat s’est mis en place entre l’Ilec, FM Logistic, acteur de référence dans l’entreposage, le transport et le conditionnement, et Ultéria, spécialiste de l’installation de rayons vrac en magasins, dans le projet collaboratif All4Bulk, un modèle logistique et industriel au service de l’économie circulaire. Un projet de pilote a été proposé à Franprix, qui y a aussitôt répondu favorablement. Ainsi, un nouveau rayon vrac a été lancé entre fin 2020 et début 2021 dans quatre magasins Franprix, reposant sur vingt-cinq références de douze grandes marques : Ancel, Bénénuts, Carambar, Carte Noire, Ebly, Kellogg’s, Lutti, Panzani, Taureau Ailé, Uncle Ben’s, Verival et Vichy, ainsi que des références Franprix dans cinq catégories – bonbons, apéritifs, petit-déjeuner, féculents et légumineuses. Plusieurs études ont été lancées autour de cette expérimentation, notamment une étude consommateurs menée avec Citéo pour mesurer leur intérêt, mais aussi un suivi des ventes et une analyse du modèle économique avec Bartle [2].
Les leviers des achats en vrac
D’un point de vue consommateur, cette étude [3] a révélé que la motivation première pour acheter des produits en vrac est spontanément, pour 47 % des réponses, la juste dose (« J’aime prendre la quantité dont j’ai juste besoin, on peut choisir la quantité »), devant des raisons écologiques (« Il y a moins d’emballages », 25 % ; « C’est plus écologique », 8 %). D’autres raisons sont également énoncées, telles que la réduction du gaspillage (8 %), l’aspect économique (7 %), la possibilité de varier les achats (4 %) ou encore de tester un produit (3 %).
Finalement, la vente en vrac permet au consommateur de reprendre la main sur sa consommation en quantité et en diversité, de réduire le stockage et le gaspillage. et par conséquent de mieux contrôler son budget. Et d’ailleurs, plus il pratique cet achat, plus l’image prix de l’offre vrac s’améliore (passant de 20 % à 29 % d’appréciation « très bonne » du prix pour une appréciation positive globale de 90 %), ce qui le conforte dans cette dimension économique.
En achetant en quantité choisie, le consommateur a le sentiment de mieux maîtriser son budget. Mais s’il y a une adhésion massive au principe (99 % des consommateurs pensent que c’est une bonne idée de présenter des produits en vrac, 85 % déclarent avoir déjà acheté du vrac), la pratique n’est pas encore régulière, car le consommateur a besoin d’être accompagné et que son parcours soit facilité. Les raisons du non-achat tiennent surtout à un manque de présence à l’esprit : « Pas de réel besoin » (22 %) ; « Ce n’est pas prévu » (12 %) ; « Je découvre [ou] je ne connais pas » (8 %) ; « Je ne trouve pas mes produits [ou] mon produit est absent », (11 %) ; « Ce n’est pas dans mes habitudes » (8 %)...
Pour lever ces freins, plusieurs facteurs sont importants. Le positionnement du rayon vrac dans le magasin – essentiel – et la signalétique qui en explique l’organisation (les catégories, les marques), la manière de se servir, de peser, de conserver le produit au domicile permettent de lever les freins lors des premiers achats, puis d’ancrer la pratique. Les acteurs peuvent également proposer aux consommateurs divers types de contenants qu’ils pourront rapporter, ce qui limite les emballages intermédiaires. Les contenants, surtout s’ils sont spécifiques, peuvent être un moyen de fidéliser les consommateurs de vrac à la marque et au magasin.
Les marques sont légitimes au rayon vrac : 75 % des acheteurs (et même des non-acheteurs) plébiscitent leur implantation. Les raisons énoncées spontanément sont la confiance et la qualité (20 %), le fait qu’elle permet de conserver les habitudes de marques (19 %), que les marques rassurent sur la provenance (16 %) ou encore qu’elles offrent plus de choix (13 %). Et le choix est un facteur important, car 84 % des consommateurs préfèrent une variété de grandes marques et la marque du magasin dans ce rayon, plutôt qu’un seul de ces deux types de marques – ou qu’aucune marque. Enfin, dans chaque unité de besoin ou catégorie, ils réclament un assortiment large.
Le choix de la juste quantité et la présence des marques seront vraisemblablement les leviers de croissance et de démocratisation du vrac, car ils permettent d’attirer les consommateurs, notamment les moins engagés dans des pratiques écologiques, de rassurer les réfractaires pour des raisons de qualité et les occasionnels encore peu convaincus par la pratique.
Préserver la relation à la marque
Pour les marques, les contenants réutilisables sont sans doute un moyen essentiel de recréer la communication avec le consommateur, quand l’achat du produit prend le pas sur la marque. Même si le logo est présent sur la trémie (ou le bac à pelle), l’étude consommateurs a montré qu’il est nécessaire de renforcer tous les attributs de la marque sur les contenants en magasin. Car lorsque le consommateur s’est servi, que le produit est dans un sachet kraft ou dans un contenant sans indication, le lien avec la marque est rompu. Plus encore, lorsque le produit arrive en caisse, la marque a disparu, et la caissière, si la pesée s’opère en caisse, peut facilement confondre un produit avec un autre. C’est le cas pour nombre de produits dits bruts comme les féculents (riz, lentilles…), les graines, les céréales…
Si dans les circuits spécialisés et bio, la relation marchande est étroitement liée à une relation sociale (échanges entre le gérant ou le personnel du magasin, voire entre les acheteurs), dans les grandes surfaces l’espace de vente est beaucoup plus impersonnel, le « face à face client-vendeur » est remplacé par un « face à facing » [4]. L’obligation d’information aux consommateurs est moins stricte sur la vente de produits alimentaires en vrac que sur la vente de produits emballés. Les mentions obligatoires se limitent à une dénomination, la présence d’allergènes, l’état physique du produit (décongelé ou autres), son prix. Cet affichage est plus complet pour les produits bio. Or l’emballage des marques, outre le logo, communique différentes informations supplémentaires comme des labels, une origine, un lieu de production, un numéro vert, une date de péremption, des précautions ou un mode d’emploi, des conseils, des recettes ou encore les engagements RSE de la marque. Cette relation à la marque favorise la confiance, la fidélisation... Il est impératif pour les marques de la recréer dans la vente en vrac, sur le lieu de vente au moment du choix et au domicile lors de la consommation.
Logistique, une nécessaire adaptation
Pour les entreprises de marques, le vrac est une nouvelle manière de proposer leurs produits qui bouleverse leurs organisations, de la production à la logistique jusqu’à la relation avec le consommateur (marketing) et le distributeur (commercial). D’un point de vue industriel, les produits emballés sont mis au point par les services recherche-développement et packaging, pour une adéquation précise entre le contenu et le contenant. L’emballage a été soigneusement conçu pour protéger le produit tout au long de la chaîne d’approvisionnement, de la sortie de l’usine jusqu’au domicile du consommateur, et généralement selon une démarche d’écoconception.
La vente en vrac abolit cet emballage unique. Elle nécessite, selon les modèles, d’emballer les produits dans de gros conditionnements, qui seront ensuite soit livrés aux magasins pour être vidés dans des trémies plastique sur le point de vente, soit dans des trémies (en carton généralement) qui seront installées directement en rayon avec un système de bec verseur. Cet emballage de première intention doit donc être conçu pour conserver et transporter les produits dans les étapes amont de la distribution. À l’ouverture en magasin, le produit, en contact avec l’extérieur, doit conserver ses qualités sanitaires et organoleptiques. Enfin, lorsque le consommateur se sert, il utilise soit les contenants proposés en magasin, souvent des sachets kraft, soit ses propres contenants (pratique surtout développée dans les points de vente spécialisés ou bio). Le produit est alors conditionné dans un emballage intermédiaire, avant d’être transvasé dans un contenant disponible au domicile du consommateur – ou conservé dans le sachet.
Les produits initialement conçus selon un modèle de distribution doivent s’adapter à ces nouveaux modes de conservation. De plus, lorsque les usines ne sont pas encore adaptées au conditionnement en trémies, les volumes étant encore trop faibles, il est nécessaire d’ajouter à la chaîne logistique une étape de reconditionnement spécifique au vrac, ce qui génère des surcoûts. Dans le cas du pilote mené chez Franprix, les industriels livrent en gros conditionnements (souvent ceux en usage pour la restauration collective ou aux cafés, hôtels et restaurants) la plateforme FM Logistic de Mormant, qui reconditionne les produits en trémies ou en bacs à pelle en carton recyclable, puis les livre aux magasins. Lesquels les mettent en rayon sans manipulation directe des produits, dans un meuble spécialement conçu.
Références et contenants
Les industriels ont plusieurs options pour l’offre à proposer en vrac : soit leurs références phares à fortes rotations, qui peuvent garantir le volume nécessaire pour amortir les surcoûts du vrac, soit des références secondaires (achetées moins souvent ou en plus petits formats), qui peuvent permettre l’essai et limitent les comparaisons de prix avec les références majeures, soit des références bio ou spécifiques au vrac. Si le choix s’oriente sur les références phares, il est nécessaire d’expliquer au consommateur la double présence en magasin de l’emballé et du vrac. La motivation de la juste quantité paraît un argument majeur, le vrac devenant un nouveau service apporté au consommateur qui souhaite maîtriser sa consommation et son budget. Les attentes des consommateurs vis-à-vis de l’offre en vrac des marques s’orientent à 67 % vers les références phares, plutôt que vers une version bio (17 %) ou une référence secondaire de la marque (17 %).
Les sachets kraft proposés sont majoritairement acceptés (89 % des acheteurs de vrac les apprécient), même si pour des achats de féculents l’évaluation est plus contrastée (34 % d’appréciation négative). Le caractère peu écologique de ces « emballages à usage unique » n’apparaît pas aux consommateurs interrogés comme contradictoire avec la vente en vrac. Mais un consommateur sur deux identifie d’autres contenants possibles, comme les sacs en tissu ou les bocaux en verre, et cette attente grandit avec la pratique. Les sachets en plastique réutilisables et les boîtes en plastique sont également retenus (à raison de 30 % et 22 % respectivement) par les acheteurs interrogés. Le bocal en verre est choisi pour son image écologique, mais son encombrement et sa lourdeur sont soulignés.
Dans tous les cas, pour les marques l’expérimentation de la vente en vrac est essentielle, car toutes ne seront pas retenues dans ce rayon, qui devra sélectionner quelques références par catégorie.
Quels bénéfices pour les enseignes ?
Le vrac s’étant initialement développé dans des circuits spécialisés vrac ou bio, les enseignes de la grande distribution s’interrogent sur la meilleure transposition de cette offre dans leurs magasins. Les premiers sont généralement des magasins de proximité, de taille réduite, avec un personnel au service du consommateur qui va non seulement renseigner, mais aussi servir tout ou partie des produits ; les offres vont de l’alimentaire au non-alimentaire, en passant quelquefois par des ustensiles pour la conservation ou la cuisine… En circuits spécialisés, les produits en vrac peuvent être proposés plus cher que des produits comparables en emballé, la différence pouvant se justifier par ce service.
Dans les enseignes de la grande distribution à dominante alimentaire, le modèle est en revanche le libre-service, avec une comparaison directe du vrac et de l’emballé. Ces distributeurs recherchent la meilleure solution technique qui leur permette d’avoir un rayon pratique pour le consommateur, avec des contenants faciles à stocker, à manipuler, et nécessitant le moins de nettoyage possible, tout en limitant la démarque. Les trémies et bacs en carton, livrés remplis en magasin, se présentent comme des solutions pratiques et avec un impact environnemental intéressant, car ils sont recyclables. De plus, différents systèmes de « vrac connecté » développés par plusieurs start-up [5] permettent d’améliorer le parcours consommateur et la gestion pour le magasin. SmartVrac propose un boîtier électronique qui permet au consommateur de se servir avec n’importe quel contenant et de visualiser au fur et à mesure la quantité et le prix correspondant. Le système édite une étiquette à apposer sur le contenant, comportant non seulement le prix, mais aussi un QR code pouvant contenir différentes informations sur le produit. Le système développé par Miwa intègre cette mesure électronique, mais aussi des trémies réemployables qui sont livrées remplies puis récupérées, lavées, et remplies à nouveau.
Pour les enseignes de la grande distribution, le vrac peut être un moyen de regagner des achats, car 85 % des consommateurs de vrac dans leurs rayons sont déjà acheteurs de vrac, et pour 60 % d’entre eux dans des magasins bio. C’est aussi un moyen de se différencier en fonction du comportement du consommateur, qui ne va pas aller chercher la même offre dans un magasin de proximité, où il achète en plus petite quantité et plus souvent, que dans un super ou un hypermarché, où il s’approvisionne avec un panier moyen plus élevé, mais à fréquence moindre. L’étude a révélé que l’offre de vrac développe une image très positive de l’enseigne, notamment sur les axes de modernité, de proximité et d’écologie. De plus, elle favorise une fidélisation qui s’accentue avec le temps et la pratique du vrac. Enfin, le regroupement de l’offre en vrac en un lieu unique dans le magasin est plébiscité par les consommateurs, à proximité du rayon fruits et légumes ou de l’entrée du magasin, avec un mélange de grandes marques et la marque du magasin. Les enseignes de la grande distribution ont majoritairement mis en place une offre en vrac de produits d’épicerie secs, mais il reste de nombreuses catégories de produits à proposer, à la fois dans l’alimentaire (frais, produits liquides) et dans le non-alimentaire (entretien, hygiène), pour lesquelles des solutions techniques sont en développement.
Comme pour l’arrivée des produits biologiques en grande distribution, la vente en vrac va être expérimentée selon différents modèles, pour mieux comprendre l’offre à y développer et la valeur ajoutée de ce circuit par rapport aux circuits spécialisés. Les enseignes et les marques vont tester diverses propositions, en matière d’offre de produits, d’implantation merchandising, d’accompagnement des consommateurs et de modèle économique. La vente en vrac va également évoluer dans le temps, en fonction de la maturité des consommateurs, au regard de cette manière nouvelle d’acheter et de consommer. Les grandes marques se préparent à ce défi.