L’“Adjudicator”, un droit mou pas si mou - Numéro 472
25/04/2018
Du marché britannique des produits de grande consommation (alimentaire, entretien, hygiène-beauté, réunis outre-Manche sous le vocable grocery), les cinq premiers distributeurs détiennent 77 %. En cas de litige, leurs fournisseurs de toutes tailles évitent d’aller en justice, par crainte des conséquences commerciales ; la cour de justice est un remède de dernier recours. Mais l’introduction du Groceries Supply Code of Practice ou GSCOP et d’un Adjudicator a permis de transformer le marché dans le bon sens pour les relations industrie-commerce, sans léser les consommateurs.
À l’origine du GSCOP sont deux enquêtes de l’Autorité de concurrence britannique, en 2001 et 2008. La première avait identifié des pratiques préjudiciables à l’intérêt public quand elles sont le fait de distributeurs détenant une part de marché supérieure à 8 %, car susceptibles de conduire les fournisseurs à investir moins, au détriment de l’innovation, de la qualité, du choix des consommateurs, et de fermer l’entrée sur le marché à de nouveaux fournisseurs, ou de réduire la concurrence entre enseignes. Il était résulté de ce diagnostic un code de pratiques visant les relations entre les distributeurs et leurs fournisseurs directs, quelles que soient la taille ou la nationalité de ceux-ci.
Une seconde enquête ayant dressé sept ans plus tard un constat d’inefficacité du code, l’Autorité de concurrence adopta un code renforcé, le GSCOP, assorti de la nomination d’un régulateur chargé de le faire respecter, l’Adjudicator.
Vrais pouvoir de sanction et efficacité discrète
L’Adjudicator a des pouvoirs d’obtention d’informations de la part des distributeurs et des fournisseurs, d’examen et d’arbitrage des conflits. Il peut faire des recommandations, exiger que le distributeur publie des informations, et infliger des amendes à hauteur de 1 % du chiffre d’affaires national du contrevenant au Code.
Compte tenu de ces pouvoirs, l’impact de son action peut sembler limité. L’actuelle détentrice du poste, Christine Tacon2, n’est en fonctions que trois jours par semaine avec des ressources modestes, limitant son potentiel d’enquêtes à deux par an, alors qu’elle scrute les transactions quotidiennes de dix distributeurs avec sept mille fournisseurs directs. Depuis 2013 il n’y a eu qu’une enquête aboutie, sur Tesco, et une autre en cours, sur Co-op, et quatre arbitrages.
Pourtant, le GSCOP et l’Adjudicator ont changé les relations industrie-commerce. L’Adjudicator rencontre chaque trimestre les responsables de la conformité au Code chez les distributeurs. Elle a utilement défini ses priorités – qui incluent actuellement les délais de paiements, les ventes prévisionnelles et les promotions. Là où elle estime que le GSCOP appelle une clarification, elle publie bonnes pratiques et études de cas. Quand elle prend un distributeur en contravention avec le Code, elle l’en avertit et en avertit ses neuf concurrents.
Sur les délais de paiement, elle ne se limite pas aux retards, mais vise aussi les déductions sur factures et promeut la mise en place d’instances de résolution distinctes des acheteurs. Elle consulte régulièrement les comités d’audit des distributeurs pour encourager une culture forte de conformité. Elle se déplace dans tout le pays à la rencontre des fournisseurs ; elle mène une enquête annuelle auprès d’eux qui l’éclaire sur la performance des dix distributeurs au regard de quatorze pratiques visées par le GSCOP, ce qui lui permet d’aborder et d’illustrer chaque sujet avec chaque dirigeant d’enseigne par catégorie et type de fournisseur.
L’Adjudicator a fait du GSCOP un outil influent et respecté qui facilite la résolution des litiges. Une résolution négociée entre les parties est la meilleure approche ; la différence est qu’avec le GSCOP et la menace d’une intervention da l’Adjudicator, la motivation est plus forte chez des distributeurs de parvenir à un arrangement équitable. Quand apparaît à des fournisseurs que se profile une mauvaise pratique, l’adroite mention du GSCOP peut leur suffire à en dissiper le risque, sans préjudice pour la relation d’affaires.
Ces dernières années au Royaume-Uni, le déséquilibre des parties comme obstacle à la résolution amiable des litiges est moins souvent un sujet de préoccupation, même si la négociation sur le prix reste aussi dure que jamais. Dans l’enquête 2017 de l’Adjudicator, 56 % des fournisseurs ont fait état d’une question relevant du code, au lieu de 79 % en 2014. Une telle réduction en quatre ans, touchant des négociations commerciales sur un marché hautement concurrentiel, est à porter au crédit de l’Adjudicator.