Bulletins de l'Ilec

Objectif un mois - Numéro 472

25/04/2018

Les instances de médiation instituées par l’État sont propres à la France. Leur efficacité et leur célérité devraient être bientôt plus grandes, du fait des mesures législatives inspirées par les ÉGA. Entretien avec Francis Amand, Médiateur des relations commerciales agricoles

Combien de temps prend une médiation dans les relations commerciales agricoles ?

Francis Amand : Tout dépend de l’objet du litige, de la volonté des parties et de la complexité du dossier. Certains dossiers sont traités rapidement par simples échanges téléphoniques avec l’une et l’autre partie, d’autres nécessitent des réunions physiques individuelles, avec différents acteurs d’une filière, des producteurs aux industriels de la transformation jusqu’à la grande distribution, et plusieurs confrontations en séance plénière. Dans ce cas, la durée totale de la procédure peut atteindre quatre mois. De manière générale, nous préférions jusqu’à présent ne pas nous enfermer dans des délais fixés à l’avance au risque que la partie la plus réticente aux concessions en profite pour jouer la montre.

Nous commençons à anticiper la future donne législative, qui imposera au Médiateur des relations commerciales agricoles d’aller au bout de sa mission en un mois. Ce délai très exigeant – demandé par les opérateurs – sera d’autant plus soutenable que le médiateur se verra doté de la possibilité de faire des recommandations – qui le rapprochent en pratique du conciliateur –, de les rendre publiques, et de se faire communiquer tout élément utile à la solution du différend. En tout état de cause, la qualité de l’instruction préalable menée de manière séparée avec chaque partie est décisive pour obtenir une solution dans les temps.

Les litiges sont-ils davantage traités par la médiation sur les autres marchés européens ?

F. A. : Les pays anglo-saxons sont réputés avoir une meilleure culture de la médiation et y recourir plus fréquemment, dans un cadre privé. Les débats des États généraux de l’alimentation ont fait ressortir que les opérateurs français s’acculturent progressivement à ce mode de résolution des litiges. La médiation institutionnelle – instituée par l’État – semble en revanche une spécificité française. La médiation des relations commerciales agricoles a été créée en 2010 par la loi de modernisation agricole pour servir les intérêts de l’ensemble des acteurs de la chaîne alimentaire et agroalimentaire, du producteur au consommateur. À côté d’elle existent d’autres médiations institutionnelles, telle que la Médiation interentreprises, avec laquelle nous sommes coordonnés. Ces médiations sont à la disposition des parties, gratuites, indépendantes, impartiales, neutres et confidentielles. Il n’existe pas à notre connaissance de système comparable en Europe, même si certains États regardent l’expérience française avec intérêt.

En matière de litiges, les entreprises ont-elles à redouter surtout les lenteurs de la justice consulaire ou la non-exécution des décisions de justice ?

F. A. : Une décision de justice non exécutée est pire qu’une décision qui tarde. C’est ajouter l’insulte à l’injure à celui que la décision devait réparer et lui faire perdre tout espoir d’une juste réparation. Mais l’éventualité de l’une ou l’autre des deux situations montre en creux l’intérêt d’une médiation : elle tire les partenaires commerciaux de leur logique conflictuelle, les libère de la logique d’honneur qui peut les conduire à refuser une décision de justice, et se fonde sur ce que chacun est en mesure de faire concrètement, ce qui doit les conduire à mettre en œuvre le compromis obtenu.

Les logiques de médiation et judiciaire sont ainsi très différentes. Le médiateur intervient auprès de parties qui ont la volonté de poursuivre leurs relations commerciales, le différend sera réglé en équité. Le règlement judiciaire constate davantage un échec de la relation contractuelle, le différend sera réglé avant tout en droit.

En quoi le projet de loi Travert va-t-il renforcer les moyens de la médiation ?

F. A. : Il est difficile de savoir comment la discussion parlementaire va modifier le projet, s’agissant du renforcement des pouvoirs de la médiation, mais on observe une forte demande en ce sens. À ce stade, le projet de loi, en plus de lui donner un droit de communication, autorise le Médiateur, à sa seule initiative, à rendre publiques ses conclusions et ses recommandations au terme d’une médiation (sans enfreindre l’obligation de confidentialité résultant de la loi n° 95-125 du 8 février 1995), et à transmettre le dossier à la DGCCRF pour sanctionner l’absence d’accord-cadre. Des amendements ont été proposés pour interdire aux cocontractants d’écarter le recours à la médiation en cas de litige relatif à un contrat imposé par la loi, comme c’est possible aujourd’hui.

Propos recueillis par J. W.-A.

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