Bulletins de l'Ilec

Quatre pistes pour reconquérir les jeunes dimplômés

Comment pouvez-vous, 
entreprises de grande consommation, 
reconquérir les jeunes diplômés que nous sommes ? - Numéro 475

09/07/2018

Il y a vingt-cinq ans, la grande consommation faisait rêver les jeunes diplômés sortant tout juste d’école. On entrait chez Procter comme on entre en religion, le cœur plein d’étoiles, sûr d’y faire une carrière excitante, pleine de promesses et de belles perspectives. On ne passait alors pas inaperçu lorsqu’on annonçait que l’on travaillait chez Coca, et on rendait jaloux au passage les amis qui évoluaient dans des boîtes moins attractives et désirables La grande consommation avait alors le vent en poupe. Le marché, pas encore saturé, était prêt à offrir toujours plus de possibilités aux consommateurs, et à recevoir toutes les innovations qui l’aideraient à grandir. Mais voilà, aujourd’hui, le vent a tourné : selon une étude récente d’Accenture Strategy, seuls 25 % des sortants de la promotion 2017 souhaitent avoir leur première expérience professionnelle dans un grand groupe, type L’Oréal, Auchan ou Total.

Mais pourquoi ? Sans doute parce que nous sommes attirés par d’autres formats, d’autres styles de carrière, plus de flexibilité. Depuis une quinzaine d’années, les startups prolifèrent, se développent, se professionnalisent, et nous donnent à voir un certain nombre de success stories enviables. En travaillant dans une startup, ou encore mieux en la fondant, nous avons le sentiment d’avoir de l’impact, d’évoluer dans une structure plus agile et plus innovation-driven que les lourds paquebots de la grande consommation,

Comment les entreprises de grande conso peuvent-elles rivaliser avec de tels adversaires ?

La croissance économique ralentit, et le marché paraît aujourd’hui quasi saturé. Pour assurer un pourcentage infime de croissance, il faut pousser l’Homo comsumptor à poursuivre sa quête effrénée d’achats. Du moins c’est l’impression que nous avons lorsqu’en stage nous comparons les ventes de chocolats de Pâques 2018 à celles de 2017. Les nombreux scandales sanitaires des dernières années, Lactalis, les lasagnes à la viande de cheval, la polémique 60 Millions de consommateurs sur les couches toxiques, n’incitent pas non plus les jeunes diplômés à travailler pour des entreprises dont ils partagent peu les valeurs et dont ils ont du mal à se sentir fiers.

Etudiants de la chaire Grande Consommation de l’Essec, nous avons eu la chance de rencontrer nombre d’intervenants de Seb, Essity, Procter, Unilever, Nestlé, et d’ainsi toucher du doigt certes les paradoxes et les limites de cet écosystème passionnant, mais aussi les grandes richesses et les solides tentatives de ces entreprises pour construire une croissance plus durable et plus respectueuse.

Forts de ces échanges et de nos expériences personnelles dans le secteur de la grande consommation, nous vous proposons quatre pistes pour reconquérir les jeunes diplômés que nous sommes, à partir des belles initiatives d’acteurs de ce secteur.

1. Mieux mettre en valeur vos spécificités d’entreprises de grande conso

Pour reconquérir les jeunes diplômés, il faut que vous, entreprises de grande consommation, reveniez aux sources de votre attractivité, et mettiez en valeur les éléments qui font l’unicité et l’intérêt de ce secteur.

Tout d’abord, la grande consommation est attirante, car elle a un impact direct sur la quasi-totalité de la population. Qu’on soit smicard ou riche à millions, on utilise quotidiennement des produits issus de la grande consommation. La promesse d’avoir un impact réel nous motive, alors veillez à donner plus de liberté à vos jeunes cadres ! Si nous manquons encore d’expérience, nous avons un regard neuf et sans doute plus acéré, notamment sur les grandes mutations qu’entraîne la digitalisation, et nous portons en nous l’envie de nous dépasser, de faire de grandes choses : allégez les lourds procédures de l’entreprise, et faites-nous confiance !

La compréhension fine du terrain et des consommateurs est une facette de la grande consommation qui passionne les étudiants qui souhaitent commencer leur carrière dans ce secteur. Certes, les entreprises proposent souvent de passer par deux ans de terrain afin de se former au mieux aux problématiques qu’ils devront aborder en tant que marketeurs. S’il paraît effectivement indispensable (et surtout passionnant !) d’avoir une expérience de terrain, il serait beaucoup plus intéressant de l’inclure dans un poste marketing, plutôt que de la compartimenter en deux années préparatoires qui dégoûtent nombre de candidats. Ainsi, le collaborateur consacrerait une journée de la semaine à visiter des magasins, en tant que commercial, et à rencontrer des consommateurs, pour que jamais les équipes marketing ne perdent contact avec la réalité du terrain. Procter nous semble particulièrement intéressant et attractif, car la connaissance du marché et du consommateur est au cœur de sa stratégie.

Soyez fiers de ce que vous, entreprises de grande conso, faites au quotidien, et ayez à cœur de le transmettre non seulement à vos stagiaires et salariés, mais aussi et surtout à vos consommateurs ! En 2017, Nestlé a mis en place « C’est moi qui fabrique », une opération fabuleuse qui a permis à cent consommateurs de visiter plusieurs usines, dont l’usine Nescafé, Mousline, Vittel, et d’ainsi de faire état en toute transparence de l’exigence de qualité et du quotidien des équipes de l’usine. La connaissance concrète des processus de production d’un produit est essentielle pour bien travailler sur ce produit et en être un ambassadeur convaincu. Alors n’hésitez pas à créer des événements réguliers qui permettent aux salariés comme aux consommateurs d’aller à la rencontre des produits, en toute sincérité.

Travaillant chez Mondelez en Belgique sur les produits Milka, j’avais eu l’opportunité de visiter l’usine qui fabriquait les barres chocolatées Leo, cela avait encore développé mon intérêt pour le produit, et m’avait permis de me rendre compte de la faisabilité – ou non – d’innovations que nous envisagions. J’étais très heureuse que Mondelez me fasse découvrir concrètement et en profondeur l’ensemble de la chaîne de valeur du produit, depuis sa production en usine jusqu’à sa commercialisation. À mon sens, les entreprises de grande conso devraient davantage offrir aux stagiaires et aux salariés une vision à 360 degrés de l’entreprise car c’est cela qui suscite réellement des vocations. (Charlotte Chaniot, Essec)

2. Adopter un processus de recrutement plus attractif, plus efficace et plus humain

Comme dans une histoire d’amour, les prémices sont capitales. D’où l’importance de soigner le processus de recrutement, premier contact du jeune diplômé avec une entreprise qui aura sans doute beaucoup d’influence dans son parcours. Dès lors, comment réenchanter le processus de recrutement ?

Premier axe qui paraît banal mais a son importance, soignez l’offre d’emploi ! Nous sommes souvent confrontés à des offres sans aucune aspérité, banales, faussement attirantes. « Vous êtes enthousiaste, autonome, rigoureux(se), et aimez travailler au sein d’une équipe jeune et dynamique dans une ambiance conviviale », « Une rémunération attractive », autant de publicités souvent mensongères ou excessives auxquelles on ne croit plus.

Finies les tournures de phrases génériques et sans saveur, nous voulons lire des offres avec une touche de personnalité, des détails qui permettent de se projeter davantage, de la sincérité et de l’authenticité : « Vous travaillerez avec Marc, votre manager, qui est à ce poste depuis trois ans, après un passage en distribution chez Carrefour. L’équipe se compose de six personnes avec qui vous serez amené à travailler régulièrement. […] Vous aurez accès aux machines et aux différents cours de la salle de sport de l’entreprise pour vous défouler en fin de journée ou à la pause déjeuner. […] Dans un premier temps, vous serez chargé entre autres du déploiement d’un nouveau produit, en collaboration étroite avec les KAM. […] Votre rémunération annuelle sera de 40 K€, avec des augmentations régulières prévues en fonction de votre performance. »

Comment provoquer le coup de foudre ? En étant direct, rythmé et sincère. Lors d’une recherche de stage ou de travail, nous nous heurtons souvent à l’opacité du processus de recrutement. Nous avons postulé à telle offre d’emploi, mais nous ne savons pas à combien d’étapes nous devrons faire face, et la date à laquelle nous serons sûrs d’avoir une réponse, qu’elle soit positive ou non. Respectez le candidat et gagnez en transparence, en indiquant clairement quelles sont les étapes que comporte le recrutement, quelle est la date de clôture des candidatures, et quelle sera la date maximale de réponse, à l’image de Kronenbourg, qui entreprend cette démarche vertueuse dans certaines de ses offres d’emploi :

  • 1. Préentretien vidéo,
  • 2. Court échange téléphonique avec un chargé de recrutement,
  • 3. Entretien physique avec le futur manager,
  • Et pour les heureux élus : bienvenue chez Kronenbourg.

3. Offrir à vos collaborateurs 
un équilibre de vie

Nous avons parfois l’impression qu’en acceptant une proposition dans un grand groupe, vous attendez de nous que nous nous consacrions tout entier, telle une vestale, à la cause de l’entreprise…

Rappelez-vous que l’emploi que vous nous proposez, même s’il est intéressant, sera certes une part importante de notre vie, mais pas un projet de vie ou une vocation. Si notre génération est travailleuse, ambitieuse et volontaire, elle est aussi en recherche d’une vie plus équilibrée que celle qu’a pu connaître la génération de nos parents.

C’est pourquoi nous attendons de vous, entreprises de grande consommation, que vous développiez une vraie politique de flexibilité et d’accompagnement de notre vie personnelle.

Ainsi, L’Oréal a beaucoup œuvré dans les dernières années à ouvrir des crèches interentreprises à proximité des sites, lorsqu’il est possible de nouer des partenariats avec d’autres entreprises et avec des organismes publics. L’ouverture de ces crèches aide les parents à concilier leurs responsabilités familiales et leur épanouissement professionnel, dans un climat serein propice à l’efficacité.

À partir d’un certain nombre de salariés dans l’entreprise, l’installation d’une crèche interentreprises devrait être vivement encouragée, et une place devrait être réservée aux jeunes parents, s’ils le souhaitent bien sûr, afin d’éviter le stress de la sortie de crèche en fin de journée.

De la même manière, nous attendons de vous, entreprises de grande consommation, que vous permettiez une vraie flexibilité dans notre travail. Fini le présentéisme français absurde, nous voulons plus de souplesse et d’efficacité dans notre travail, notamment grâce au télétravail. Chez Mondelez Belgique, une journée de télétravail par semaine est systématiquement prévue pour tous les employés. Loin d’être réservée aux femmes enceintes fatiguées ou aux pères un peu bobos, la quasi-totalité des employés en profite. Les journées de télétravail sont souvent plus productives, car on peut s’atteler à de gros dossiers, à d’importantes présentations, sans être sans cesse dérangé par ses voisins d’open-space.

Enfin, même si l’on tend vers une répartition plus homogène des tâches dans le foyer, ce sont majoritairement les femmes qui doivent adapter leur emploi du temps à l’arrivée d’un enfant. Les crèches interentreprises couplées à un télétravail plus institutionnalisé permettraient donc de valoriser les talents féminins parfois mis sur le banc de touche, d’avancer de façon tangible vers l’égalité homme-femme, et d’ainsi renforcer la marque employeur de manière concrète et tangible.

4. Porter haut vos valeurs : plus que jamais, nous avons besoin de sens dans notre travail !

C’est incontestable, notre génération accorde énormément d’importance à l’impact positif que nous pouvons avoir sur le monde. Si nous sommes souvent pleins d’idéaux, nous ne sommes pas pour autant idéalistes. Nous savons qu’une grande entreprise n’est pas une association humanitaire, et que ce n’est pas chez Unilever, Nestlé ou Bel que nous, les Superman des temps modernes, allons sauver la planète.

Néanmoins, nous voulons trouver un certain sens à notre travail, ou du moins ne pas avoir l’impression de suivre un objectif auquel nous n’adhérons pas.

À l’heure actuelle, Danone attire nombre de jeunes diplômés pour la mission qu’il affiche en grand, notamment dans ses offres d’emploi : « Notre mission ? Apporter la santé par l’alimentation au plus grand nombre ! […] Danone s’engage à mener une révolution visant à favoriser des habitudes de consommation et de production plus saines et plus durables. Avec son double projet économique et social, et sa mission, l’entreprise a pour ambition de créer de la valeur partagée pour l’ensemble de ses parties prenantes. » Ce discours, les produits sains et gourmands de Danone, le charisme et l’authenticité d’Emmanuel Faber, font rêver les étudiants et jeunes diplômés que nous sommes. Néanmoins, si une entreprise se fixe une haute mission sociale, alimentaire, elle doit être vécue par toute l’entreprise, depuis le petit stagiaire jusqu’au grand PDG. La RSE pour la RSE ne nous intéresse pas, nous voulons une mission concrète qui ne soit pas du greenwashing.

Vous, entreprises de grande conso, ayez à cœur de faire vivre vos valeurs et d’impliquer quotidiennement toutes les parties prenantes de vos écosystèmes dans cette aventure. Impliquez-nous concrètement dans les actions que vous menez, comme Carrefour et Danone, qui s’engagent ensemble en faveur des Restos du cœur chaque année au mois de mars, lors d’une opération de produit partage à l’occasion de leur collecte nationale : pour deux produits Danone achetés chez Carrefour, Carrefour et Danone offrent un repas aux Restos du cœur. En leur proposant de participer à cette opération, Carrefour et Danone développent chez leurs salariés un sentiment de fierté et d’altruisme profitable à toute l’entreprise.

D’autres belles initiatives voient le jour à l’heure actuelle : les bouteilles de gel douche Head & Shoulders réalisées à 25 % à partir de déchets collectés sur les plages, l’introduction du lait C’est Qui le Patron dans un grand nombre d’enseignes, le nombre croissant d’entreprises avec lesquelles Phénix travaille pour réduire le gaspillage… La route ne fait que commencer !

Nous avons besoin d’idéal. Nous avons besoin d’être challengés. Pas seulement par la prime liée aux résultats, ou par la poursuite d’objectifs très ambitieux. Nous avons besoin d’être convaincus par ce que nous faisons, par l’entreprise dans laquelle nous travaillons. Ce changement d’attitude affectera durablement la mentalité des salariés des grands groupes et vous rendra plus attractifs, au même niveau que les grands groupes technologiques qui font aujourd’hui tant rêver les étudiants. Soyez réalistes, inspirants et authentiques. Soyez GRANDS. C’est ce que nous attendons de vous.

Chaire Grande Conso Essec

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