Éditorial
Darwiniennes évolutions - Numéro 476
25/09/2018
Nul robot anthropomorphe n’a accaparé les métiers d’analystes, de créatifs, de planneurs, etc., mais entre eux, jusqu’en eux, partout se développent des réseaux d’intelligence artificielle (IA), qui servent les uns et les autres, et précipitent leur transformation. Le flux infini des données et la puissance sans frein du calcul imposent la question : en dépit des nouveaux métiers qui se créent autour de lui, l’algorithme finira-t-il par sonner la fin du marketing ? « Le développement d’une intelligence artificielle complète pourrait mettre fin à l’humanité, s’alarmait Stephen Hawkin en 2014. Une fois que les hommes l’auraient développée, elle décollerait seule et se redéfinirait de plus en plus vite. Les humains, limités par une lente évolution biologique, ne pourraient pas rivaliser. »
La perspective d’une telle « IA forte » semble lointaine, mais il n’est pas nécessaire qu’elle soit forte pour affecter les métiers. Les machines font déjà mieux que nous ce qui est répétitif. Oui, mais seulement ça, entend-on, certitude qui conduit un peu vite à n’en faire les fossoyeuses que des seules fonctions d’exécution du bas de l’échelle des prestiges professionnels. Or, selon le « paradoxe » du roboticien Hans Moravec, le plus difficile pour elles est souvent le plus facile pour l’homme. A contrario, elles sont plus susceptibles de nous surpasser dans ce qui est plus complexe mais plus récent dans la chaîne darwinienne de l’évolution, où le temps long des métiers de nos entreprises représente un chaînon infinitésimal. La « lente évolution biologique » garantit mieux l’homme de la concurrence des machines dans le saut d’obstacles que dans le calcul ou la modélisation. À cette aune, les métiers du marketing seraient plus menacés que celui de chasseur-cueilleur.
Ce n’est pas tout. L’IA conduirait aussi d’un marketing de l’offre à un marketing de la demande, fondé sur la personnalisation, et à cette évolution, les marques ont beaucoup à gagner. Mais éventuellement autant à perdre, si grandit le risque d’assistants personnels déterminant les achats des consommateurs, en réduisant le choix offert. Déjà, ils ont accès aux données de calendrier et de messagerie des utilisateurs de PC ou de téléphones, et le public s’accommode avec une placide indolence de « recommandations » résultant d’exercices algorythmiques qui favorisent par trop les médiocres moyennes. Drôle de personnalisation, surtout sur un marché (celui de la recommandation) promis à une concentration accélérée. Bref, si les assistants de tout nanométal en viennent à imposer le choix de la marque, définir le moment de l’achat ou encadrer les impulsions consommatoires, le marketing des fournisseurs peut-il faire face ?
Eh bien, il trouverait à s’occuper encore, à en croire la plupart des intervenants du présent Bulletin : tout dans le marketing, l’étude de marché ou la publicité ne serait pas promis au « Mechanical Turk » malgache d’Amazon, où un travail humain a été décomposé en actes assez répétitifs pour constituer la base de données dont se nourrira la machine apprenante, avant de le frapper d’obsolescence. Ouf. Pas plus que l’IA n’a forme humaine, le marketing ne donnerait de nouveaux luddites.
François Ehrard