Bulletins de l'Ilec

Editorial

Je séduis donc je suis - Numéro 428

01/06/2012

Séduire ? La belle affaire ! L’origine latine du mot, seducere, facilite déjà la tâche. Il séduit par sa seule sonorité chantante. Pour autant, son sens originel éloignerait du sens commun, celui de plaire, puisqu’il signifie « mener à part, séparer ». Et Le Robert ajoute à la perplexité qui donne comme première définition : « détourner (qqn) du droit chemin, détourner du bien, faire tomber en faute, détourner du vrai, faire tomber dans l’erreur… » Séduire serait donc tromper, abuser, égarer… Don Juan ne l’a-t-il pas prouvé !

Peut-on en dire autant du marketing ? Naomie Klein le prétend. Lui accoler le mot séduction relève-t-il de l’oxymore ou du pléonasme ? Par essence, la marque est séduction quand, par sa médiation, on est passé, au début du xixe siècle, du produit vendu en vrac au produit emballé. Plus tard, Raymond Loewy confirmera que « la laideur se vend mal ». La marque est outil de séduction, encore, quand, sur fond de laïcisation progressive de la société, Pierre-François Guerlain sort le parfum des ténèbres, Paul Poiret libère la femme du corset, Eugène Schueller l’embellit en la rajeunissant… La marque est outil de séduction toujours, de par son seul nom, certains créateurs évitant de donner le leur à leur produit : Estelle Courtecuisse choisira Wonder (« miracle »), Paul Couillard aura la bonne idée de créer la laiterie Saint Hubert…

Pas de séduction sans forme attirante : hier Nescafé était vendu dans une boîte en aluminium, aujourd’hui dans un flacon s’inspirant des codes du luxe avec une taille féminine. Au reste, séduction est un mot féminin. Depuis 1915, la bouteille Coca-Cola a une silhouette de « Dame au fourreau ». Tous les sens sont sollicités, l’ouïe qui mémorise la ritournelle Dim, le toucher qui singularise Nivea, l’odorat stimulé par le Petit Marseillais, le goût émoustillé par Nutella, la vue satisfaite d’une Alfa Romeo ou d’un bel homme…  Nespresso, analyse Katja Rausch, avec George Clooney a redonné au café « son éclat d’antan, [de] produit de luxe qu’il était au Grand Siècle ». Si tous les sens sont sollicités, ce ne sont pas forcément ceux de tout le monde. Selon Patrick Mathieu, il existerait un profil de clients prioritaires pour chaque marque, qui séduirait surtout selon sa propre identité : « un noyau identitaire susceptible d’être fortement mobilisé, et générateur de pérennité ». Cette pérennité, dit Franck Cochoy, conditionne autant la démarche mercatique que l’obsession de plaire : « Les marques sont historiquement des opérateurs de confiance : une marque suppose un investissement sur le long terme qui est incompatible avec la fraude sur la qualité. »

De la séduction, la marque fait aussi une arme quand, employeur, elle veut attirer les jeunes talents, comme l’affirme l’enseigne McDonald’s dans une récente publicité. Le commerce n’est pas en reste. L’atteste l’évolution architecturale des hangars à vendre d’hier, aujourd’hui lieux de vie. Les gares retrouvent leur lustre d’antant en s’ouvrant au commerce. La séduction irrigue l’activité marchande : « L’heure est à l’hybridation de l’économie et de l’esthétique », annonce Gilles Lipovetsky.

Jean Watin-Augouard

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