Éditorial
Vers une construction libératrice - Numéro 461
30/11/2016
Mai 68 voulait libérer la parole dans la rue ; cinq décennies plus tard elle se libère de manière pragmatique dans l’entreprise, longtemps vouée aux gémonies par les soixante-huitards. Qu’ils la baptisent entreprise collaborative, libérée ou participative, ses thuriféraires ont pour bible non un petit livre rouge, mais la démarche de nombreux pères fondateurs et pour berceau la Silicon Valley – née largement des utopies d’hier. Leur objectif n’est pas de créer un homme nouveau, mais comme ne l’aurait pas désavouée Bergson de libérer son énergie créatrice. Non de créer une cité idéale, même si un Google en caresse l’idée, mais de réorienter l’existant. Et de répondre à la quête de sens par le travail. « La grandeur d’un métier, écrivait Saint-Exupéry, est avant tout d’unir les hommes ; il n’est qu’un luxe véritable et c’est celui des relations humaines. »
L’ère du « collaboratif » s’irrigue de trois sources, trois rythmes lents : la révolution numérique qui permet des modes de communication plus horizontaux ; la démographie avec les générations « Y » et « Z » rétives à l’autorité non justifiée, à la hiérarchie étouffante et à l’organisation en silos ; et le courant humaniste qui n’entend pas voir juger l’homme à la seule aune de son comportement utilitariste et égoïste.
Mode ou révolution ? Le second terme prend le pas, car sur fond de robotisation et d’intelligence artificielle, qui posent la question de la place de l’homme dans l’entreprise, l’économie collaborative réveille le goût pour l’entrepreneuriat, réinvente la vraie vocation de l’entreprise : donner aux salariés la faculté d’entreprendre en son sein par l’affirmation de leurs talents multiples. Avec à la clé une performance durable et une meilleure empreinte sociétale. Mais cette révolution ne se fera pas du jour au lendemain, elle requiert acculturation et appropriation par les salariés.
Grâce à des plates-formes collaboratives, l’entreprise associe de surcroît les consommateurs au partage des idées, à la conception et à l’essai de nouveaux produits. Les frontières ne sont plus étanches, les consommateurs deviennent producteurs. Autre aspect d’une nouvelle ère qui sera exploré dans la prochaine livraison de ce Bulletin.
Jean Watin-Augouard