Bulletins de l'Ilec

Pour l’entente cordiale - Numéro 415

29/12/2010

Mettre fin aux rapports de force entre grands donneurs d’ordres et PME, et créer les conditions d’une coopération constructive sont les deux missions dévolues au médiateur, depuis les Etats généraux de l’industrie. Entretien avec Jean-Claude Volot, médiateur national interentreprises industrielles et de la sous-traitance, président de l’Agence pour la création d’entreprises

En quoi votre rapport sur le « dispositif juridique concernant les relations interentreprises et la sous-traitance », remis le 30 août dernier, est-il novateur pour lutter contre les mauvaises pratiques, les situations abusives ?

Jean-Claude Volot : Pour la première fois, un état des lieux est fait. Ce rapport rappelle que tous les dispositifs existent pour que les relations entre les entreprises se déroulent normalement si la loi est respectée, ce qui n’est pas le cas, car l’Etat n’a jamais voulu s’engager, de peur d’être accusé d’interventionnisme. Le rapport suggère donc qu’une autorité puisse avoir le pouvoir de faire appliquer la loi. Si on n’y arrivait pas malgré le recours à la bonne intelligence des parties, par un organisme qui serait habilité à exiger le respect de la loi, on referait une loi générale des relations interentreprises, avec cette fois des sanctions prévues.

Cette situation est-elle caractéristique du monde industriel français ?

J.-C. V. : Cela existe ailleurs, même si ce n’est pas de manière aussi forte. En 1998, les Italiens, par exemple, ont adopté une loi bien faite qui prévoit des sanctions.

Comment envisagez-vous votre nouvelle fonction, ses enjeux, votre marge de manœuvre ?

J.-C. V. : J’ai posé ma médiation sur un triptyque. Premièrement, humaniser la relation, redonner du lien humain à tous les contacts. Ma mission est de faire en sorte que les relations entre les entreprises soient plus sereines, normales et équilibrées. Il faut mettre fin au diktat des grands donneurs d’ordres sur les petits sous-traitants. Réclamer de la part d’un petit est chose normale, or en France la culture du conflit prime celle de la négociation. Je milite pour le respect de la loi, le bon sens, la bonne intelligence, la bonne volonté. Je suis bien reçu par les grands donneurs d’ordres : les temps ont changé, nous sommes dans une période favorable à l’amélioration des relations, à la prise de conscience que travailler en filière est un impératif pour éviter que ne disparaissent des compétences et des savoir-faire. Deuxième élément du triptyque : faire comprendre aux patrons de PME et d’entreprises de taille intermédiaire (ETI) que l’indépendance économique est primordiale, car ils ne doivent plus réaliser 50 % ou plus parfois de leur chiffre d’affaires avec un seul client, il ne faut pas dépasser 15 %. Troisième élément : faire comprendre aux champions des filières qu’ils ont une grande responsabilité en tant qu’intégrateurs.

Attendez-vous de vos efforts une amélioration de la compétitivité des entreprises ?

J.-C. V. : Le rapport du sénateur Bruno Retailleau1 consacré en février dernier aux ETI s’interrogeait sur les raisons pour lesquelles ces entreprises ne grandissent pas. Il soulignait que les mauvaises relations entre les entreprises nuisent à la croissance des PME. Il proposait de mettre en place un médiateur chargé de les améliorer. Favoriser la croissance des PME et ETI françaises est un impératif.

Quelle est votre définition de la compétitivité industrielle ?

J.-C. V. : Il y a mille manières de définir la compétitivité, car elle se rattache toujours à des éléments comparatifs. On entend beaucoup d’erreurs sur ce sujet, car on compare des choses qui ne sont pas comparables. Si l’on examine les taux horaires dans l’industrie, poste à poste, entre la France et l’Allemagne, notre premier client et fournisseur, on constate que depuis dix ans la France a perdu onze points de compétitivité en termes de salaires, les salaires français augmentant quand les salaires allemands étaient bloqués.

Peut-on pour autant, au regard de ce seul indicateur, en conclure que la France est moins compétitive que l’Allemagne ? Non, bien sûr. Pour preuve, depuis cinq mois, le PIB français par habitant est plus élevé que le PIB allemand. Le PIB est aussi un élément de compétitivité. La France a muté beaucoup plus vite que l’Allemagne dans certains métiers, l’Allemagne conservant une structure industrielle datée. Ce qui est généré par la société de services, sur une longue période, donne aujourd’hui un résultat par habitant supérieur en France. Les pays émergents se développent sur le plan industriel dans les gammes de produits allemands, les voitures, l’électromécanique, l’hydraulique, les pneumatiques, les produits électriques. Ils vont entrer en concurrence directe avec l’Allemagne, davantage qu’avec la France. En matière de productivité, la France a de sérieux atouts pour le futur. 

L’organisation des filières telle qu’elle se met en place doit-elle s’interpréter comme une forme de spécialisation de l’industrie française autour des plus performantes ?

J.-C. V. : Je suis heureux que la douzième filière qui nous manquait, l’énergie, soit aujourd’hui entre les mains d’Eric Besson. Grâce aux filières, nous mettons enfin la France en ordre de marche selon les métiers, pour faire travailler ensemble les grands, les moyens et les petits, et qu’ils imaginent des produits communs. C’est une chance pour la France. Nous finissons en ce moment de constituer les filières, qui ont des niveaux de maturité différents, entre l’aéronautique, totalement constituée historiquement avec le Gifas, l’automobile, en voie de mutation, ou l’agroalimentaire, encore en gésine.

Le partage de l’innovation et du savoir-faire entre donneurs d’ordres et sous-traitants n’est-il pas un vœu pieux ?

J.-C. V. : Ce n’est pas un vœu pieux si nous légiférons, car en ce domaine la législation est très insuffisante, les grands donneurs d’ordres étant persuadés que l’innovation chez leurs fournisseurs leur appartient. Il faut lutter contre l’impunité et l’impudence des grands donneurs d’ordres.

Comment améliorer la collaboration entre les grandes entreprises et les PME pour conquérir les marchés internationaux ?

J.-C. V. : Paradoxalement, ceux qui pillent le savoir-faire de leurs fournisseurs sont très disposés à faire du portage à l’exportation pour ces mêmes fournisseurs. Nous œuvrons avec le comité Richelieu dans le cadre du pacte PME, qui prévoit le portage des PME exportatrices par les grands. C’est un trait de caractère des Français : quand ils sont loin de la France, ils développent un esprit grégaire entre eux, restent ensemble, se soutiennent. Mais dès qu’ils rentrent en France, c’est le chacun pour soi.

1. www.gouvernement.fr/presse/remise-au-premier-ministre-du-rapport-de-bruno-retailleau-sur-les-entreprises-de-taille-inter.

Propos recueillis par J. W.-A.

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