Éditorial
L’œcuménisme industriel - Numéro 416
30/12/2010
À en croire Yvon Jacob, la France n’aurait pas l’âme industrielle. Il assène sans fioriture : « C’est au reste une différence essentielle avec l’Allemagne, où la question de l’image de l’industriene se pose pas, puisque celle-ci est considérée comme centrale dans l’organisation économique. En France, depuis de nombreuses années, l’industrie souffre d’un déficit d’image, car les Français n’ont pas encore compris son importance dans l’économie. » Et d’ajouter qu’elle est, dans les médias, l’objet d’ « images à la Zola », en sorte que les jeunes s’en détournent « particulièrement dans les écoles d’ingénieurs, qui ne sont plus un vivier pour l’industrie ».
Les jeunes, il faut en convenir, délaissent les classes scientifiques, trop difficiles, mais aussi les classes littéraires, en voie de disparition. Ils sont également moins nombreux à se présenter aux grands concours de l’Education nationale, agrégation et CAPES. Jacqueline de Romilly nous a quittés à l’heure où la statistique venait de sortir. Elle a en vain défendu l’étude de la langue grecque qui menace de disparaître du programme de l’agrégation en lettres classiques. Il se pourrait ainsi que ne soit pas en cause, parmi la génération i grec, le désamour pour l’industrie, mais plutôt l’effet d’un alanguissement culturel général, qui frappe les belles lettres tout autant que les mathématiques. Au demeurant, les meilleurs de nos ingénieurs donnent le mauvais exemple. Non contents d’être formés dans une école militaire, ils émigrent en quantité à Londres, dès leurs études achevées, où ils prospèrent dans l’industrie, hélas financière.
La France aurait ainsi l’industrie qu’elle mérite. Pour immédiate qu’elle soit, la comparaison avec l’Allemagne, opérée par Yvon Jacob, ne va pas sans périls. Même paré par La Fontaine de plumes de paon, le geai ne fait pas illusion :
« Puis parmi d’autres paons tout fier se panada
Croyant être un beau personnage.
Quelqu’un le reconnut : il se vit bafoué,
Berné, sifflé, moqué, joué… »
Au demeurant, l’Europe dans son ensemble n’est guère mieux lotie que notre pays, à en croire Jacques Myard qui - faut-il le rappeler ? - ne peut être taxé d’eurolâtrie. Pour lui, le diagnostic est simple : « On va droit dans le mur ! » Le député à la langue hardie de dénoncer : d’une part la politique de concurrence menée à Bruxelles (les désastreuses affaires Legrand-Schneider et Péchiney ont laissé des traces), et d’autre part la surévaluation de l’euro, en l’absence de toute action publique volontariste. Une lueur d’espoir apparaît cependant, petite luciole allumée par Antonio Tajani, le Commissaire européen à l’industrie, selon qui « l’Europe a besoin de l’industrie et l’industrie a besoin de l’Europe ». Forte de cette inspiration, la Commission a publié le 28 octobre une communication intitulée « Une politique industrielle intégrée à l’heure de la mondialisation », entendue comme une initiative phare de la « Stratégie Europe 2020 ». Il ne faudrait donc pas désespérer. Il y existerait une chatière dans le mur. Encore que, si un rapport suffisait à changer l’ordre des choses, l’industrie européenne taillerait des croupières à la chinoise…
De foi en l’avenir de nos fabriques, la CGT n’en manque pas, à entendre Mohamed Oussedik. Selon lui, son syndicat n’est rien de moins qu’ « à l’origine de la prise de conscience que sans industrie il n’y a pas de développement économique durable, bien avant que la crise financière vienne nous rappeler le décalage terrible entre l’économie réelle et la financiarisation virtuelle de l’économie ». Or Jacques Myard ne s’est-il pas écrié : « La financiarisation de l’économie est excessive » ? Splendide convergence ! Elle aurait sans nul doute arraché à Lautréamont cette exclamation prémonitoire : « Beau comme la rencontre fortuite sur une table de dissection d’une machine à coudre et d’un parapluie ».
Comme s’il suffisait à notre industrie pour attirer les sympathies d’apparaître fragile, au sein de la mondialisation, et non plus aliénante et polluante, toutes les Bienveillantes se portent vers elle. Elle ne rappelle plus Dickens, mais la merveilleuse Alice de Lewis Carroll. Au grand dam des déclinistes, Mohamed Oussedik souligne pourtant : « la production industrielle n’a pas baissé en France entre 2000 et 2008, elle a augmenté de 4.25%, mais sa part dans le PIB a décliné de 16 à 12% ».
Encore ce dernier chiffre ne doit-il pas désespérer Billancourt car il est en bonne partie dû, Gilles Leblanc l’indiquait dans une précédente édition, à une baisse relative du prix des produits manufacturés.
Nous pouvons ainsi comprendre pourquoi les Etats généraux de l’industrie (EGI) ont abouti, non pas à des cahiers de doléances, mais à un véritable programme d’action dont le ministre Eric Besson nous livre la synthèse. Constat liminaire : « ces dernières années ont été l’occasion d’un retour à la politique en France ». Les principales réalisations ont tenu à la suppression de la taxe professionnelle très longtemps différée, à la réforme du crédit impôt-recherche ayant permis le triplement de son ampleur, à la mise en place de nouveaux instruments financiers, tel le Fonds stratégique d’investissement, à quoi le ministre aurait pu ajouter les exonérations fiscales pour investissement dans les PME et les coups de pouce donnés à Oséo.
Il faut aussi rappeler deux initiatives d’ordre structurel, l’une remontant à quelques années déjà et l’autre produit direct des EGI. C’est en 2005 qu’on été lancés les pôles de compétitivité, conçus comme une mobilisation de l’espace au service de l’industrie, mais aussi comme l’instrument du rapprochement entre partenaires trop longtemps indifférents, en particulier entre le public et le privé. Il est à souhaiter que les universités devenues autonomes et ayant, selon l’expression de Louis Vogel, trouvé leur bonheur dans le PRES, s’associent au processus, en sorte que la FSU et le SNES rejoignent la CGT et Jacques Myard au service de la bonne cause ! La seconde initiative tient à la politique des filières, dont huit sur les onze programmées déjà en place, orchestrée par Jean-Claude Volot. La stratégie consiste à essayer de démentir l’idée chère à notre fabuliste que, dans la relation verticale, « la raison du plus fort est toujours la meilleure », en mettant en place des procédures pacifiques de solution des conflits qui sont autant de pertes d’efficience pour les parties en cause.
Si tout ne va pas pour autant pour le mieux dans le meilleur des mondes, il faut reconnaître qu’en quelques années beaucoup a été fait pour notre industrie qui, tout comme l’équipe du PUC, n’est pas morte, car elle chante encore.
Aux esprits chagrins qui annoncent son inéluctable délocalisation avec armes, bagages et même laboratoires de recherche, nous opposerons l’optimisme de déconstruction-reconstruction de Schumpeter ou la parabole connue sous les termes « si le grain ne meurt ». S’ils persistent, nous les convierons à un caricatural enterrement de carnaval, plus empli de joie encore que celui chanté par Brassens, en compagnie de Georges Fourest :
« Que mon enterrement soit superbe et farouche,
Que les bourgeois glaireux bâillent d’étonnement
Et que Sadi Carnot, ouvrant sa large bouche,
Se dise : Nom de Dieu ! le bel enterrement. »
Et puisqu’il est question, même de façon très irrévérencieuse, de Dieu et de porte ouverte au siècle à venir, votre éditorialiste peut vous souhaiter, l’âme sereine, un joyeux Noël et une très industrieuse année 2011.