Bulletins de l'Ilec

L’affirmation d’un retour à la politique industrielle - Numéro 416

30/12/2010

Le chantier des EGI doit se clore fin mars 2011, quand toutes les mesures seront opérationnelles. Certaines sont encore en cours de déploiement, d’autres, comme le livret d’épargne industrie, l’unification des guichets d’information aux PMI ou la facilitation de l’accès des PME à la recherche publique, sont encore à l’étude. Plutôt qu’un tournant, les EGI auront complété un effort déjà engagé en faveur de l’industrie, avec notamment les pôles de compétitivité ou le crédit d’impôt recherche. Un effort dont le ministre de tutelle envisage les effets avec confiance. Entretien avec Eric Besson, ministre de l’Industrie, de l’Energie et de l’Economie numérique

La mise en œuvre des mesures annoncées le 4 mars 2010 rencontre-elle des obstacles ? A-t-elle nécessité des infléchissements par rapport aux annonces ?

Eric Besson : La mise en œuvre des vingt-trois mesures issues des Etats généraux de l’industrie progresse conformément au calendrier initial. Elle veille, autant que possible, à préserver le caractère ouvert et associatif qui a dicté l’organisation des EGI lancés par mon prédécesseur. A ce jour, quatorze mesures sont déjà opérationnelles, et toutes doivent l’être d’ici à la fin du premier trimestre 2011, soit un an après l’annonce des conclusions des EGI par le président de la République.

Il convient de citer en particulier les mesures de soutien direct aux entreprises, mobilisant un milliard d’euros en trois ans dans le cadre des investissements d’avenir. A ce titre, les conventions liant Etat et opérateurs concernés sont signées depuis plusieurs mois, et les dispositifs sont ouverts pour les entreprises. Il s’agit notamment des prêts verts bonifiés (500 millions d’euros en trois ans), du dispositif d’aide à la réindustrialisation (200 millions d’euros d’avances remboursables). Trois entreprises, qui en annoncent beaucoup d’autres, ont déjà pu en bénéficier. A cela, il faut ajouter un appel à projets visant la structuration des filières industrielles françaises.

Le volontarisme public des États-Unis et du Japon est-il un modèle pour la politique industrielle française ?

E. B. : Les Etats généraux ont été l’occasion d’affirmer l’importance de l’industrie pour l’économie française, et en conséquence l’importance d’une politique industrielle ambitieuse.

Ces dernières années ont été l’occasion d’un retour à la politique industrielle en France, à des dispositifs ambitieux de soutien à son développement, comme le font d’autres pays : suppression de la taxe professionnelle, représentant une économie annuelle pour l’industrie de deux milliards d’euros, réforme du crédit impôt recherche en 2008, ayant permis le triplement de son ampleur, mise en place de dispositifs de soutien en fonds propres de l’industrie (fonds stratégique d’investissement notamment), lancement des EGI.

Sur les onze filières retenues par les EGI, combien de comités stratégiques filières ont été créés ? Où en est l’appel à projet des filières industrielles ?

E. B. : Les Etats généraux ont permis l’identification de filières industrielles porteuses de croissance. Pour chacune, un comité stratégique de filière a été créé afin de définir une feuille de route partagée par ses acteurs. En tant que ministre de l’Industrie, je préside les comités stratégiques de filières, dans quelques cas en liaison avec un autre ministre, et les vice-présidents sont tous des acteurs reconnus dans le monde industriel. A ce jour, huit1 des onze comités stratégiques de filière ont été installés ; les trois derniers, biens de consommation, éco-industrie, et mode et luxe, le seront très prochainement.

Par ailleurs, un appel à projets visant la structuration des filières industrielles françaises a été lancé fin septembre. Il est ouvert jusqu’à fin 2011, et dans le cadre de la première vague d’éligibilité, sur vingt-cinq dossiers déposés, neuf ont été déclarés éligibles par le comité de pilotage du dispositif. Ces neuf dossiers vont maintenant être instruits, en vue de premières décisions début 2011.

La stratégie industrielle n’a-t-elle pas été trop longtemps centrée sur les coûts et moins sur la qualité, rendant les entreprises plus sensibles au taux de change euro-dollar ?

E. B. : Diverses enquêtes auprès de clients des industries allemandes et françaises montrent que les critères de compétitivité hors coûts (innovation, ergonomie, qualité de service, délais de livraison, etc.) sont mieux évalués pour les industriels allemands que pour les français.

La politique industrielle française a su tirer les leçons de ce constat, mettant l’innovation industrielle au cœur de sa stratégie. C’est ainsi que la politique des pôles de compétitivité a été lancée en 2005, permettant de mobiliser 4,6 milliards d’euros en faveur de projets collaboratifs de R&D, dont plus d’un milliard financé par l’Etat (« fonds unique interministériel »). De la même façon, la réforme de crédit impôt recherche, en 2008, a permis de tripler le soutien à la R&D privée, le dispositif représentant aujourd’hui un coût annuel de plus de quatre milliards d’euros pour l’Etat. Il s’agit d’un des dispositifs fiscaux de soutien à l’innovation les plus attractifs au monde.

Le gouvernement s’est-il donné des objectifs chiffrés en matière de création d’entreprises de taille intermédiaire (ETI) ? Est-il plus difficile en France qu’ailleurs non seulement de devenir ETI mais de le rester (dans l’indépendance) ?

E. B. : Ce n’est pas le gouvernement ou le ministre qui décident de la création d’ETI ! En effet, ce sont en général des PME qui deviennent ETI, ou parfois des grands groupes qui rendent des filiales indépendantes. La notion d’ETI est nouvelle, et pour l’instant spécifiquement française, il est donc difficile de réaliser des comparaisons internationales.

Où en est la mise en place du « livret industrie » (mesure 21) ? En quoi serait-il plus efficace que les outils précédents du même type ?

E. B. : L’une des mesures issues des EGI consiste à orienter davantage l’épargne des Français vers l’industrie. La mise en place d’un « livret industrie » fait partie des pistes étudiées dans le cadre de cette mesure, de même que l’orientation d’une partie de l’assurance vie ou de l’épargne salariale. Il s’agit d’étudier l’ensemble de ces supports, afin d’identifier les plus opportuns au financement, par définition à long terme, de l’industrie. Plusieurs groupes de travail ont été créés afin d’étudier dans quelle mesure nous pourrons maintenir et augmenter les flux d’épargne des Français vers les entreprises créatrices de valeur et d’emplois.

Le « chèque conseil » PME en matière d’accès à la recherche publique (EGI mesure 15) est-il effectivement envisagé ?

E. B. : Le but est de faciliter l’accès des entreprises à des experts spécialisés. La mise en place d’un chèque conseil est à l’étude. Les premières analyses montrent que la création d’un dispositif similaire aux bons d’échange ou vouchers existant dans certains pays serait complexe. Les modalités d’un tel dispositif doivent être précisées, pour bien le positionner au regard des « prestations technologiques réseau » distribuées par les Réseaux de développement technologique.

Le gouvernement s’est-il donné des objectifs chiffrés en matière de formation professionnelle (part du PIB, élévation des niveaux de qualification, accès des TPE, etc.) et de transmission des savoir-faire ?

E. B. : La part du PIB consacrée à la formation professionnelle est déjà de 2 %, ce qui est élevé. Elle représente plus de 34 milliards d’euros (formation professionnelle initiale hors enseignement supérieur et formation continue). Le président de la République a annoncé un objectif de doublement des contrats en alternance d’ici à 2015. On en dénombre aujourd’hui 600 000, dont 420 000 en apprentissage.

Quelles mesures sont à l’œuvre pour renforcer les liens entre l’industrie, l’éducation nationale et l’enseignement supérieur (mesure 5 des EGI) ?

E. B. : Deux mesures issues des EGI prévoient ce renforcement : les mesures 4 (création d’une semaine de l’industrie) et 5. Dans le cadre de la mesure 5, un groupe de travail a été créé afin d’étudier les pistes d’amélioration possibles. Son objectif est d’élaborer des documents conjoints aux trois ministères concernés, notamment à destination des acteurs locaux (industriels, écoles, professeurs…), leur permettant de faciliter l’organisation d’événements de rapprochement des mondes académiques et de l’entreprise (organisation de visites en entreprises, d’ateliers pédagogiques…). La semaine de l’industrie sera organisée du 4 au 10 avril prochain, fédérant un ensemble de manifestations de nature à valoriser l’industrie et ses métiers, notamment auprès des jeunes.

Où en est le projet de « fonds start up universités grandes écoles » (EGI mesure 17)? Est-il réservé à la seule « innovation » dans la haute technologie ?

E. B. : Ce projet est intégré au montage du Fonds national d’amorçage, financé à partir des investissements d’avenir. Ce sont les entreprises technologiques qui sont principalement visées par ce fonds, car ce sont elles qui ont le plus de difficultés à lever les financements importants dont elles ont besoin.

D’autres outils existent pour soutenir le financement de l’ensemble des entreprises. Il s’agit par exemple des réductions d’ISF ou d’impôt sur le revenu accordées en fonction d’investissements dans les entreprises, ainsi que du Fonds stratégique d’investissement, qui intervient directement ou indirectement pour renforcer la structure financière des entreprises stratégiques.

Où en est l’unification annoncée pour la fin de l’année autour des Direccte (EGI mesure 16) de l’information des PMI sur les aides publiques ? (Sur le site de la Direccte Ile-de-France, le moteur de recherche répond encore que « le mot “PMI” n’a donné aucun résultat »…)

E. B. : Je vous confirme que la mesure 16 des EGI est en cours de déploiement sur l’ensemble du territoire national.

Les EGI ont-ils débouché sur des actions de rapprochement entre recherches publique et privée (mesure 5). Faut-il redouter que des effets d’aubaine n’incitent les entreprises à réduire leurs propres investissements en R&D ?

E. B. : Les actions de rapprochement entre recherches publique et privée sont au cœur de la politique d’innovation que je souhaite mener. La politique des pôles de compétitivité en est l’exemple le plus flagrant. Depuis 2005, plus de 4 milliards d’euros de dépenses de R&D collaborative ont été partiellement financés par l’Etat, avec le Fonds unique interministériel, Oséo et l’ANR – et les collectivités locales. Cela représente 813 projets de R&D menés en partenariat par les recherches publique et privée. Le programme « Investissements d’avenir » donnera les moyens de renforcer encore les rapprochements entre elles.

Par ailleurs, les dépenses de R&D confiées par des entreprises à des organismes publics ou à des universités sont retenues pour le double de leur montant dans le calcul du crédit d’impôt recherche. Ces dépenses ont augmenté de 20 % depuis la mise en place du nouveau CIR, en 2008.

Les effets d’aubaine ne sont bien entendu pas à exclure, mais ils demeurent quantité négligeable. En l’espèce, il convient surtout de retenir qu’un dispositif comme le CIR a également pour objectif de renforcer l’attractivité du territoire : il s’agit de favoriser le maintien ou l’implantation en France des centres de R&D des entreprises. Si quelques entreprises optimisent le soutien qu’elles retirent du CIR, la grande majorité d’entre elles ont besoin de ce coup de pouce pour innover – c’est le cas des PME – ou pour maintenir leurs activités en France. Force est de constater que, dans les deux cas, c’est la compétitivité de notre économie qui y gagne.

1. Les huit comités opérationnels sont : l’automobile ; l’aéronautique ; le ferroviaire ; la construction navale ; les technologies de l’information et de la communication ; la santé ; la chimie et les matériaux ; l’agroalimentaire.

Propos recueillis par Jean Watin-Augouard

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