Bulletins de l'Ilec

Le nouvel impératif industriel - Numéro 416

30/12/2010

La naïveté en matière de concurrence a fait son temps. L’heure est à la création de grands champions industriels, français et européens, points de passage obligés de la réindustrialisation. Entretien avec Jacques Myard, député des Yvelines

Le rapport que vous avez consacré à l’industrie est-il un rapport de plus après les EGI ?

Jacques Myard : Jérôme Lambert et moi-même rédigeons à nouveau un rapport sur la politique industrielle qui fait suite à un premier rapport publié en 2007, consacré à la politique industrielle européenne. Nous partons prochainement en Chine et en Corée pour étudier comment ces pays défendent leurs intérêts, de manière moins naïve que nous avec leur politique industrielle. Ce n’est pas un rapport de plus, il est élaboré pour le compte de la commission des Affaires européennes et il s’inscrit dans la problématique nationale et européenne. Je vais par ailleurs publier un livre, Atout France, aux éditions de L’Harmattan, dans lequel j’en appelle à la nécessité de retrouver le sens de nos intérêts nationaux, y compris industriels.

Qu’entendez-vous par « politique industrielle » ?

J. M. : On peut distinguer deux conceptions de la politique industrielle. La première, qui est celle de la Commission européenne, refuse l’idée même de politique industrielle, l’Etat devant seulement faciliter l’action des entreprise. La deuxième conception, plus française, partagée aussi par les Américains et les Chinois, souligne le rôle bénéfique de l’Etat quand il protège et aide de manière active certains secteurs vitaux pour le pays. Aujourd’hui, le crédit impôt recherche participe de cette conception, la suppression de la taxe professionnelle également.

En période de disette budgétaire, la part du grand emprunt consacrée à l’industrie est-elle à la hauteur des enjeux ?

J. M. : Cette part ne l’est jamais assez. Pour autant, le grand emprunt est une bonne initiative, qui va soutenir aussi bien la recherche, l’université et l’entreprise. Il est vrai qu’en ces temps de disette budgétaire se pose la question du financement des investissements. Nous commettons une erreur tragique en voulant réduire les déficits par des coupes sombres qui touchent les dépenses d’investissement. Je ne suis pas hostile, tant s’en faut, aux économies structurelles, et nous pouvons continuer à en réaliser. Pour autant, la politique déflationniste aujourd’hui retenue va nous conduire à des catastrophes. Nous ne pourrons réduire la dette que par sa monétisation, comme cela se fait actuellement aux Etats-Unis avec les avances directes de la Réserve fédérale à l’Etat. Il est vrai que la politique que je préconise est contraire à la loi de 1973 sur la Banque de France et aux dispositions du traité de Maastricht, mais la politique de déflation nous conduit dans le mur. Ma méthode n’a pas pour objectif de financer les salaires des fonctionnaires mais les grands projets industriels.

Cette autre politique présenterait-elle un risque d’inflation ?

J. M. : Un peu d’inflation ne nuit pas, comme les Trente Glorieuses l’ont montré. Les investissements pourraient être financés par des avances remboursables de la Banque de France, à des taux identiques à ceux pratiqués aux Etats-Unis, soit 0,25 % . Il n’y aurait pas d’inflation, car notre appareil productif est en sous-production. L’injection de monnaie pour favoriser l’investissement aboutirait à créer de la richesse. Il y a urgence, car l’une des grandes faiblesses de la France depuis au moins vingt ans est le manque d’investissements.

Pour quelles raisons ?

J. M. : Dès 1993, la France a choisi la politique du franc fort, aligné sur le deutschemark, et nos exportations en ont souffert. Notre politique du franc fort, défendue par Edouard Balladur et Jean-Claude Trichet, fut une grave erreur. Deuxième raison : l’entrée de la Chine dans l’OMC sans qu’elle ait été obligée de laisser flotter sa monnaie et d’accepter le principe de réciprocité. Ajoutons l’ISF, les 35 heures, et vous avez un cocktail explosif. Tous nos choix macroéconomiques ont été de mauvais choix.

Les EGI ont-ils fait avancer le débat ?

J. M. : Si la politique fiscale va dans le bon sens, la politique industrielle mériterait d’aller plus loin, comme cela se fait aux Etats-Unis, en Chine, et même au Canada, où les aides directes de l’Etat à l’industrie sont nombreuses. Alstom a-t-il les mêmes droits au Canada, pour avoir accès aux marchés publics, que Bombardier en France ? La politique de concurrence menée à Bruxelles est en décalage total avec la réalité du monde. Quand nous jouons aux vertueux du tout-concurrence, les autres cadenassent de tous côtés. Il ne s’agit pas de revenir à un protectionnisme bête et méchant, mais d’ouvrir les yeux sur la réalité. Qu’en est-il, par exemple, du contrôle des investissements étrangers, alors que le décret du 30 décembre 2005 fait toujours l’objet d’un examen précontentieux à Bruxelles ? Il faut surtout construire des champions industriels français et européens, et ne pas agir comme on l’a fait avec Legrand-Schneider ou Pechiney.

Que faire, au niveau européen ?

J. M. : Il faut modifier les traités. Les mentalités évoluent. Il y a encore peu de temps, la notion de politique industrielle était un gros mot à Bruxelles. Aujourd’hui, on commence à s’y intéresser, comme l’atteste la récente déclaration du commissaire à l’Industrie Antonio Tajani consacrée aux dix actions clés pour la compétitivité industrielle européenne1. Reste que certains ténors du Cac 40 qui font leur beurre en Chine et exportent vers l’Europe ne sont pas toujours ouverts aux réformes. Le patronat français joue un double rôle, il est dans les deux camps. Sur le plan monétaire, l’euro est une monnaie inadaptée à des économies divergentes, comme le prouvent la Grèce, l’Irlande, demain le Portugal. La guerre monétaire attisée par les Etats-Unis, qui ouvrent les vannes, avec les avances de la Fed à l’économie pour près de 700 milliards de dollars, ce qui fera chuter le dollar, et par la Chine, qui refuse de dévaluer sa monnaie, va surévaluer encore plus l’euro. On va droit dans le mur !

La création de la Direction générale de la compétitivité, de l’industrie et des services (DGCIS) le 13 janvier 2009 (fusion de la Direction générale des entreprises, de la Direction du tourisme  et de la Direction du commerce, de l’artisanat, des services et des professions libérales) répond-elle d’abord à la volonté de réunir des forces dispersées ou à un souci d’économie budgétaire ? N’est-elle pas trop disparate pour contribuer à la mise en œuvre d’une stratégie industrielle ?

J. M. : Cette création va dans le bon sens, mais il faut sortir le ministère de l’Industrie du diktat financier. Je milite pour qu’existe un vrai ministère de l’Industrie, qui ne soit pas rattaché à Bercy et à ses gnomes comptables. La financiarisation de l’économie est excessive. Ce n’est pas à la finance de commander. Dans cette économie virtuelle où les transactions se font en nanosecondes, comment intégrer une économie réelle qui a besoin de temps ? Il n’y a de politique industrielle que dans le long terme. Elle ne se joue ni à la corbeille, ni à la nanoseconde.

L’organisation des filières va-t-elle favoriser l’émergence d’organismes du type « observatoire des prix et des marges » mis en place dans la filière agroalimentaire ? La politique industrielle pourrait-elle mettre en question la liberté des prix ?

J. M. : L’agroalimentaire est un cas particulier, depuis que la PAC, la seule politique européenne qui fonctionnait bien, a été bouleversée. Il faut, dans ce domaine, retrouver la stabilité des prix. Le marché, c’est un peu Panurge en termes de prix, avec des variations incontrôlables et donc imprévisibles dans la même journée. La machine européenne est aujourd’hui paralysée, car elle n’arrive pas à remettre de l’ordre. Pour la politique industrielle, dans son ensemble, il ne s’agit pas de remettre en question la liberté des prix, mais il de trouver des mécanismes qui jugulent les fluctuations erratiques des prix des matières premières et contrôlent les manipulations spéculatives.

Les mesures proposées par la députée Laure de La Raudière pour simplifier la réglementation qui pèse sur les PME-PMI vous semblent-elles de nature à renforcer la compétitivité industrielle ?

J. M. : Oui, la simplification des formalités est tout à fait nécessaire, ces mesures techniques sont bonnes, notamment pour les installations classées qui font écho aux normes Reach. Evitons, cependant, de nous barder de trop de normes. Sainte procédure, paralysez-nous, sainte norme, veillez à ce que le ciel ne nous tombe pas sur la tête !

Le crédit impôt recherche (CIR) bénéficie-t-il surtout aux PMI françaises ?

J. M. : Le CIR est une très bonne initiative qui doit bénéficier à tous, mais Jean Arthuis, vice-président de la commission des Finances au Sénat, donne un coup de rabot pour réduire le déficit. Je suis scandalisé par ces économies de bout de chandelle qui ne font que casser la croissance. L’industrie et les investissements sont trop importants pour être laissés aux seuls comptables.

D’un côté, on réduit la niche fiscale « jeune entreprise innovante » (projet de loi de finances 2011, article 78), dont le périmètre recoupe celui du CIR, de l’autre on crée un taux d’imposition réduit pour les produits d’exploitation des brevets par les entreprises déposantes (article 64 du même projet de loi, mesure 19 des EGI). Où est la logique ? L’article 64 de loi de finances 2011 résistera-t-il à la prochaine chasse aux niches fiscales ?

J. M. : Créer une entreprise relève d’une démarche dynamique. Pour autant, il ne s’agit pas de se lancer dans l’aventure sans une bonne étude de marché. Les jeunes créateurs doivent agir en connaissance de cause. Reste que, pour obtenir douze milliards d’euros d’économies, on fait la chasse aux niches fiscales, et la suppression de certaines risque d’avoir un effet pervers sur la croissance, qui reposera, on le sait, de plus en plus, sur notre capacité d’innover.

Propos recueillis par J. W.-A.

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