Éditorial
Juste milieu - Numéro 427
01/05/2012
Le Puy du Fou sacré à Los Angeles meilleur parc de loisirs au monde : le Thea Classic Awards 2012, sorte d’Oscar de l’industrie du divertissement mondial, a été décerné pour la première fois, en mars dernier, à un parc français. C’est aussi à Los Angeles, Hollywood, que le cinéma français était récompensé, un mois plus tôt, par cinq oscars décernés au film l’Artiste, pardon, The Artist. Aux Pontepiscopiens, Lexoviens et autres Figeacois de s’adapter.
S’il existait un oscar du déficit commercial, la France l’aurait reçu au même moment : quand les Douanes ont annoncé, début février, qu’il s’était creusé à un niveau sans précédent en 2011, frôlant 70 milliards d’euros, tandis que l’Allemagne affichait un excédent de 158 milliards.
Combien de divisions ? Il y aurait 117 170 entreprises exportatrices en France, mais environ 400 000 en Allemagne. Doit-on, encore une fois, chercher l’erreur dans la stratégie, non pas militaire mais industrielle, commerciale ? Les Français seraient-ils condamnés à tirer des chars romains et à jouer la comédie quand les Allemands font du made in Germany un point de passage obligé de leur singularité ? Quelles sont les causes de notre déconvenue ? Faut-il les chercher dans le seul coût du travail ? Il serait, selon Eurostat, de 34,20 euros chez nous contre 30,10 outre-Rhin, mais ces chiffres concernant indistinctement l’ensemble de « l’économie marchande » ; pour la seule industrie manufacturière (mais il ne s’agit là encore que d’une moyenne), l’écart serait bien moindre : 36,4 euros en France, 35,7 en Allemagne.
Longtemps, les physiocrates ont tenu le haut de pavé. Si la France s’honore de compter, depuis le premier Empire, des écoles d’ingénieurs prestigieuses d’où furent issus de grandes figures d’entrepreneurs, elle est demeurée longtemps agricole : 40 % de la population active dans le secteur primaire au début des années 1950, alors que le Royaume-Uni affichait 3 % depuis 1900, un taux qui ne sera atteint par la France qu’à la fin des années 2000. Pour autant, le Salon de l’agriculture accueille toujours autant de fidèles, alors que celui de l’industrie n’a pas encore ouvert ses portes. A défaut existe une « semaine de l’industrie », lancée par des « états généraux » il y a deux ans et dont la deuxième édition s’est tenue fin mars.
Ce Bulletin de l’Ilec prolonge la réflexion engagée lors des Etats généraux de l’industrie1. France, prends garde de perdre ton industrie, préviennent les Cassandre. Certains affirment que « produire en France, c’est possible »2. D’autres embouchent les trompettes du protectionnisme, confiants qu’il en ira mieux qu’il y a trente ans, où les efforts de Michel Jobert avaient échoué à retenir les magnétoscopes asiatiques à Poitiers comme jadis les Sarrazins. A l’opposé, d’autres voix s’élèvent qui jurent que la production et la distribution de biens matériels ne sont plus les seuls moteurs de l’économie ; la valeur immatérielle et symbolique des produits primerait leur valeur matérielle et fonctionnelle3.
Où est le juste milieu ? A-t-il un sens ? On le sait, les civilisations meurent de n’avoir pas fait le bon choix au bon moment.
Doit-on placer notre oriflamme sur certains produits pour conjurer le mauvais sort ? Gilles Le Blanc, professeur à Mines ParisTech, ne croit guère à l’efficacité de la mesure pour relancer l’industrie en France : « Outre la confusion entre fabriqué et consommé, cette approche entretient une vision trop réductrice de ce que sont les sources de valeur, d’emploi, et les débouchés des activités industrielles. » Si la Conférence nationale de l’industrie (CNI) porte un diagnostic pessimiste sur l’état de l’appareil industriel français, son vice-président, Jean-François Dehecq, souhaite « renforcer les actions autour de la gestion prévisionnelle des emplois et des compétences, pour définir les emplois de demain et les formations adaptées ». C’est illustrer le mot célèbre de Jean Bodin : il n’est effectivement de richesse que d’hommes. Et d’hommes qualifiés. Vincent Moulin Wright, directeur général du Groupe des fédérations industrielles (GFI) salue la Semaine grâce à laquelle l’industrie, l’Education nationale et l’enseignement supérieur « se rapprochent, et le grand public a une occasion régulière de venir à la rencontre des industriels et de découvrir des usines près de chez eux ».
Au moment où un constructeur automobile allemand – encore qu’américain par le capital – utilise en France la langue allemande pour promouvoir ses produits (« Das Auto »), un constructeur français sort ses griffes avec le slogan « Let your body drive ». Condescendance (un peu obligée par la loi) vis-à-vis des non-anglophones, son agence de publicité traduit en bas d’annonce : « Votre corps reprend le pouvoir. » Par l’aplomb tranquille de l’une et l’obscurité saugrenue de l’autre, ces publicités donnent à penser que la réindustrialisation de la France, comme il en va de sa souveraineté linguistique, est aussi affaire d’amour de soi, autant que de moyens.