Trop de promotions tue la promotion - Numéro 356
01/09/2004
Des trois types de promotions, marchande (réduction de prix, lot, girafe…), stratégique (échantillons, bon de réduction…) et relationnelle (cadeau, club consommateur…), qu’elle est, selon vous, celui qui, aujourd’hui, domine ?
Philippe Ingold : La promotion marchande est largement majoritaire, particulièrement dans l’univers des produits de grande consommation. Elle l’est peut-être un peu moins dans ceux des services et de la distribution spécialisée. Il demeure que le prix reste l’argument clé pour séduire le consommateur, même si on observe, depuis une dizaine d’années, une montée de la promotion de type relationnelle qui ajoute au caractère utilitaire de la prime, l’aspect plaisir. Celle de type stratégique, née avec les échantillons au début des années cinquante par l’initiative des lessiviers, n’est pas nouvelle. Soulignons qu’elle s’est améliorée en termes de qualité de diffusion.
Comment évolue le paysage promotionnel ?
P. I. : On assiste, dans le secteur de la promotion marchande, à un basculement de la promotion de marque vers la promotion d’enseigne. Et les groupes de distribution ont l’intention d’investir les territoires de la promotion stratégique et relationnelle. Si l’objectif premier des NIP (nouveaux instruments promotionnels) est d’accroître les ventes, les systèmes de cartes cagnottes relèvent davantage du territoire de la fidélisation, même si celle-ci a comme principale fonction, pour la distribution, l’augmentation du « taux de nourriture (1) ». On est loin de l’attachement affectif des consommateurs à l’enseigne.
Les enseignes ont-elles autant de légitimité que les marques à développer des actions promotionnelles ?
P. I. : Les enseignes ont autant de légitimité pour des offres promotionnelles mais celles-ci ne sont pas de même nature que celles des marques : les promotions d’enseigne sont faites pour que le consommateur paie moins, elles ont une vocation plutôt marchande. Les promotions de marques ont une vocation plus stratégique et relationnelle : une marque doit rendre son produit indispensable, proche du consommateur, se faire connaître (stratégique), se faire aimer (relationnel). La question est de savoir si les outils promotionnels d’enseigne vont contribuer à un développement stratégique et relationnel. Or ce n’est pas dans la culture des enseignes, même s’il existe des exceptions comme Système U, dont la stratégie de fidélisation ne se cantonne pas à la seule promotion. La carte cagnotte de Carrefour se veut fidélisante mais l’enseigne privilégie l’augmentation du taux de nourriture, non les valeurs d’adhésion à la marque. Dans un contexte de stagnation des parts de marché, la stratégie des enseignes demeure défensive, fondée sur des outils plus marchands que stratégiques et relationnels. Un positionnement d’enseigne est long à mettre en place, comme l’atteste celui de Monoprix, passé du magasin populaire au « Citymarché » en deux décennies.
Pourquoi assiste-t-on à une surenchère promotionnelle ? Pour compenser la dérive des prix, on observe une inflation des techniques promotionnelles comme l’attestent les NIP. En quoi diffèrent-ils des instruments traditionnels ?
P. I. : La surenchère promotionnelle est la conséquence lointaine mais réelle de la loi Galland. Au cœur des NIP, les tickets et les cartes cagnottes ont été proposés pour trouver de nouveaux moyens de financement et de différenciation par rapport à la concurrence… sans pour autant mieux satisfaire les consommateurs. Ce qui est contestable, ce n’est pas les NIP en tant que tels mais le fait que, s’ajoutant aux anciens instruments promotionnels, ils conduisent à des aberrations budgétaires et à des pertes de repères pour le consommateur. On assiste à un basculement de la promotion vers l’enseigne et à son bénéfice, financé par les marques. Ce détournement des moyens financiers reste néanmoins marginal, au regard du montant des marges arrière.
Trop de promotions ne conduit-il pas à tuer la promotion ? A vouloir fidéliser à tout prix le consommateur, ne risque-t-on pas de le lasser, avec des techniques trop complexes ?
P. I. : Beaucoup de systèmes sont contraignants : le consommateur doit utiliser sa règle à calcul pour comparer le prix au kilo ! Où est le bénéfice pour lui ? Le système ajoute une contrainte d’achat supplémentaire, avec une complexité telle que les offres ne peuvent pas se comparer. En contrepartie, le maxidiscompte non seulement est compétitif sur le plan des prix, mais il simplifie l’acte d’achat : le consommateur n’est pas constamment sollicité par de multiples offres. Même s’il existe une frange de consommateurs à l’affût des bonnes affaires, donc infidèles à l’enseigne puisqu’ils vont au plus offrant, les consommateurs fidèles se sentiront frustrés. Avec l’objectif de compétitivité des prix, on a oublié les autres motifs d’achat, comme l’achat pratique, le confort, l’agrément.
Quel est l’avenir de la promotion de marque face à la promotion d’enseigne ?
P. I. : La promotion n’appartient pas à la marque, même si depuis plusieurs décennies on le prétend. Les enseignes ont le droit de faire de la promotion et sont même à l’origine de certains systèmes promotionnels. Reste que les moyens consacrés ne servent pas toujours les stratégies d’enseigne. On investit à fonds perdus dans des systèmes très lourds, comme celui de Carrefour, fondé sur des réductions libres qui d’ailleurs ne sont pas vraiment des réductions (elles se cumulent en cagnotte) et qui ne sont pas libres (il faut les choisir dans une liste). A-t-on vraiment évalué le système ? Son objectif est d’augmenter le taux de nourriture, mais dans la pratique il peut être un repoussoir, car les consommateurs doivent faire des efforts de calcul. Or la fidélisation se doit d’être généreuse mais non contraignante. La promotion semble être toujours une opération de masse, alors que la mercatique est de plus en plus relationnelle et situationnelle.
Les nouvelles techniques (internet, couponnage électronique, SMS, écran plasma…) peuvent-elles personnaliser la promotion ?
P. I. : Si la promotion demeure de masse, c’est pour une question de coûts. Les nouvelles techniques ne sont opérationnelles que sur des marchés de niches ou dans des situations stratégiques particulières, comme les lancements de produits. Au reste, le ticket Leclerc, la carte cagnotte de Carrefour et le système Waaoh d’Auchan ne sont pas ciblés. De manière générale, les opportunités de ciblage restent peu et mal exploitées par les enseignes. Dans l’univers des produits de grande consommation, le ciblage a montré ses limites : il ne permet pas de repérer l’individu, aujourd’hui polymorphe, avec une structure de consommation qui ne correspond plus à la catégorie socioprofessionnelle. Ce qui explique l’émergence du concept de marketing situationnel.
Comment mesurer l’efficacité d’une bonne promotion ?
P. I. : La bonne promotion a un caractère événementiel, spectaculaire, soutenue par une forte médiatisation pour cibler les bonnes personnes dans les situations adaptées. Un bon marketing stratégique dépasse le simple échantillonnage. Pour bien toucher la cible, il faut un contexte, une situation. C’est souvent l’événement qui crée la situation, comme l’atteste l’opération des relais bébés de Nestlé. De manière générale, les services mercatiques et les agences de communication n’ont pas pris suffisamment en compte cette notion de relation qui existe entre le consommateur, la marque et l’enseigne. Elle doit se manifester à travers des nouveaux outils qui ne sont plus obligatoirement les médias classiques.
Pour quelles catégories de produits les promotions sont-elles les plus pertinentes ?
P. I. : Il n’y a pas de secteur fermé à la promotion. Si le luxe échappe au critère impulsion (tête de gondole) ou à l’achat planifié (prospectus), il peut, comme le parfum, recourir à l’échantillon. Que sont les soldes chez Hermès si ce n’est de l’achat malin ? Le secteur des services, lui non plus, n’échappe pas aux promotions, comme l’attestent les nombreuses opérations dans la téléphonie mobile.
Existe-t-il dans les autres pays européens des exemples de promotions créatives ?
P. I. : Sans doute, mais elles sont fonction de la culture du pays. Ainsi, en Hollande, Mitsubishi a mis en jeu des voitures placées sur un camion qui circulait en ville. Un prétirage avait sélectionné les numéros de rue gagnants et les habitants collaient une affichette trouvée dans un journal sur leur porte. On avait ainsi plus de deux millions d’affiches dans les rues sur la marque ! Voilà l’exemple d’une idée forte promue par une médiatisation puissante. Toujours aux Pays-Bas, des magasins d’optique ont proposé des remises équivalentes à l’âge (50 ans, 50 % de remise). Une agence de voyage espagnole offrait un voyage à qui acceptait d’être un mannequin vivant pendant quelques jours. En Allemagne, il y a eu l’offre d’un vêtement aux clients qui se présentaient nus lors de l’ouverture de magasins d’habillement. Reconnaissons que, pour nous Français, ce genre d’opération frise le mauvais goût.
Quel est l’avenir de la promotion de marque ?
P. I. : La promotion de marque a un avenir si elle n’est pas seulement utilisée comme un outil commercial ponctuel, mais comme un des éléments de la communication de la marque. Il ne faut pas être seulement polarisé par le coût unitaire de distribution (échantillonnage), car c’est oublier l’opportunité de créer, grâce à la promotion événementielle, de l’interactivité et de l’affectif avec le consommateur. Citons comme exemples l’engagement Actimel et le défi Bio de Danone, les relais bébés de Nestlé, les promotions interactives de Coca-Cola. Preuve que l’on peut ne plus segmenter en termes budgétaire et fonctionnel la promotion et la publicité. La marque doit développer une autre forme de communication, interactive, avec les consommateurs dans des situations spécifiques et sur une base événementielle.
Le point de vente est-il le lieu unique des promotions ?
P. I. : La distribution est devenue un lieu quasi obligé, concentration oblige (le volume d’achat permet une accumulation de points), mais on s’est trop polarisé sur ce lieu et l’on a oublié d’aller à la rencontre du consommateur ailleurs, pour le faire participer autrement. Pour la marque, le magasin ne représente plus forcément le meilleur lieu et le meilleur moment de rencontre avec le consommateur. L’enseigne aussi peut faire de la promotion en dehors du magasin, comme Champion, présente dans le Tour de France. Nous devons sortir du contexte opérationnel et d’urgence, pour promouvoir un marketing situationnel.