Bulletins de l'Ilec

Lame de fond aux effets vertueux - Numéro 434

01/04/2013

Investir dans le développement durable et la responsabilité sociétale est non seulement une opportunité, mais une nécessité pour toute entreprise. Entretien avec Fabienne de La Chauvinière, consultante en communication et responsabilité sociétale, chargée de cours1 à l’université de Versailles Saint-Quentin-en-Yvelines.

L’ « entreprise responsable » prêche-t-elle par l’exemple ou manifeste-t-elle un souci d’avantage comparatif dans sa catégorie ? Les actions de RSE peuvent-elles être parfois considérées comme des avantages concurrentiels ?

Fabienne de La Chauvinière : L’entreprise qui a un discours responsable prêche par l’exemple et développe des avantages concurrentiels, que ce positionnement date des années 1970 ou de 2013. Même si les obligations légales se sont renforcées ces quinze dernières années (de la loi NRE de 2001 jusqu’aux récents décrets du Grenelle II), touchant désormais des sociétés cotées, des PME (selon certains seuils de CA et d’effectifs), des collectivités locales et des sociétés de gestion, le développement d’une politique de RSE n’est pas encore naturelle, pour de multiples raisons : un concept encore émergent, un manque d’information, des obligations légales récentes et non contraignantes, des dirigeants non formés à la RSE.

Il est certain que lorsqu’en 1972 Antoine Riboud dessinait les contours d’une entreprise d’un type nouveau inscrivant la dimension sociale dans son projet économique, attentive aux attentes de la société civile et à l’équilibre de la planète, il faisait figure de pionnier. Les parties prenantes sont dans l’attente d’une plus grande transparence et d’une meilleure gestion des organisations, d’autant que la première vague de politique extrafinancière menée par les sociétés cotées (que la législation a visées les premières) n’a pas été très convaincante.

Néanmoins, certaines entreprises comme Danone, Schneider, Bonduelle, prêchent par l’exemple, développent de forts avantages concurrentiels sur le plan social comme commercial, et entraînent avec elles une partie de leur secteur, par effet d’imitation ou en raison de leur position dominante. Des salariés informés et impliqués dans la démarche responsable développent une fierté d’appartenance. Les collaborateurs de demain aussi : les étudiants, comme le montrent les études menées sur le sujet, témoignent d’une grande préoccupation de l’engagement des entreprises. Les financiers soucieux des risques courus par l’entreprise et cherchant des placements rentables et responsables investissent dans l’analyse extrafinancière de leur portefeuille. Sur le plan commercial, la RSE implique un nouveau regard sur les produits et leurs impacts sur l’environnement, de la production à la distribution. Elle permet d’innover, de réduire les coûts et d’être plus vertueux. On peut comme Monoprix préférer le transport fluvial pour l’acheminement de certaines matières premières, en réduisant les coûts et l’empreinte carbone du groupe. On peut aussi renforcer sa charte d’approvisionnement, comme Bonduelle, afin de garantir des pratiques d’agriculture raisonnée respectueuses de l’environnement. La RSE est un vivier de richesses durables pour tous. Problématique universelle et transversale, elle fédère les publics de l’entreprise autour de son projet et permet de regagner leur confiance.

La RSE, un nouvel état d’esprit ? Ou n’y a-t-il qu’une mode RSE après la mode « développement durable » ? Que met-on derrière les mots ?

F. de La C. : On trouve des origines à la RSE en France au xxe siècle dans ce qu’on appelle le paternalisme et aux Etats-Unis dans la philanthropie. Pour poursuivre l’industrialisation, certains patrons français prenaient en charge les travailleurs ainsi que leurs familles dans tous les aspects de leur vie professionnelle et privée, finançant leurs dépenses de santé, de logement, de scolarité et de loisir. Aux Etats-Unis, la tradition du give back, le philanthropisme, avec les grandes fondations comme celle d’Andrew Carnegie, témoignent d’une vraie responsabilité sociétale. C’est en 1953 que Howard Bowen pose les bases de la discipline dans son livre Social Responsabilities of the Businessman.

À partir des années 1960, des études tels que le rapport Meadows Halte à la croissance (1972) et les dénonciations des ONG ont mis en lumière les excès du capitalisme – état de la planète, dérapages de certaines grandes entreprises telles que Nike avec le travail des enfants. Des textes ratifiés par la plupart des pays, tels que les Principes directeurs pour les multinationales en 1976 ou la Déclaration de l’OIT relative aux droits et principes fondamentaux au travail en 1998, qui relèvent de la soft law (« droit souple »), ont défini des principes de responsabilité sociétale et montrent qu’elle n’est pas un phénomène de mode mais un mouvement de fond. La France compte parmi les pays pionniers en la matière, car depuis la loi NRE et le Grenelle II, la loi impose aux sociétés cotées, puis à certaines non cotées, aux collectivités locales et aux sociétés de gestion, une communication extrafinancière. Les nouveaux moyens de communication, qui mondialisent les scandales et les catastrophes environnementales en quelques clics, favorisent la prise de conscience de tous les acteurs : politiques, financiers, scientifiques, dirigeants d’entreprises, société civile... Autre preuve que la RSE n’est pas de l’esthétique : la création, dans les grandes écoles et universités, de formations consacrées à la responsabilité sociétale à l’intention des futurs dirigeants.

Un modèle économique construit autour de la notion de « paiement de service environnemental » est-il généralisable à toutes les entreprises ?

F. de La C. : Ce sont les grandes entreprises qui peuvent prendre en charge un tel paiement. Ces groupes imposent à leurs fournisseurs une gouvernance plus responsable, édictée dans des chartes éthiques ou des codes de conduite plus contraignants que la loi. Ils réalisent parfois des audits des fournisseurs, des bilans annuels, des évaluations de leurs performances. Michelin organise depuis 2011 un concours entre ses fournisseurs et récompense les meilleures performances en matière de qualité, d’innovation et de développement durable. Même si tous les acteurs (entreprises, collectivités, financiers, fondations) sont concernés par la RSE, la notion de « paiement de service environnemental » ne peut pas être généralisable, en raison du coût de prise en charge des externalités.

Le manque de sensibilisation en interne n’est-il pas un frein au développement de la RSE ?

F. de La C. : Oui, et pourtant c’est la partie prenante à sensibiliser la première, et à impliquer dans l’organisation. Aussi doit-on saluer le « Danone Way », qui donne la possibilité aux salariés d’évaluer l’engagement de leur filiale puis de déterminer un plan d’action construit en cohérence avec la maturité de celle-ci. C’est une façon pertinente de mobiliser les salariés et de les associer à un vaste projet d’entreprise. L’information, la sensibilisation, la formation et la motivation sont essentielles pour changer les mentalités, renforcer la cohésion et légitimer la démarche.

Si la RSE, comme atout concurrentiel, tend à se généraliser, nécessitant des formations et des fonctions ou postes spécifiques dans l’entreprise, y a-t-il un risque de fracture entre grands groupes et PME ?

F. de La C. : La taille de l’entreprise et ses impacts sociétaux et environnementaux sont corrélés. Une petite entreprise n’a pas les mêmes contraintes et son dirigeant peut se faire accompagner à moindre coût par des consultants externes. Mais si la démarche suit l’esprit de l’Iso 26000, si elle est impulsée par la direction et partagée avec l’ensemble des collaborateurs, ainsi que les parties prenantes prioritaires, elle conduit à une meilleure performance globale, financière et extrafinancière, quelle que soit l’organisation engagée.

La RSE, un phénomène de génération ?

F. de La C. : La RSE est mondiale et touche toutes les catégories d’acteurs et toutes les générations. Les enjeux sont mondiaux. En matière environnementale, selon le rapport Planète vivante de WWF (2012), nous utilisons les ressources d’une planète et demie, et des pays comme le Katar, le Koweït, les Emirats arabes ou les Etats-Unis vivent comme s’ils disposaient de trois ou quatre planètes. Le manque à gagner annuel des pays en développement dû à la fraude fiscale liée au commerce de certaines multinationales est estimée à 125 milliards d’euros dans un rapport Eurodad de 2012.

Les chiffres ne sont pas au vert en matière environnementale, sociale et économique. Les dirigeants actuels n’ont pas reçu de formation à la RSE, il faut donc poursuivre la sensibilisation, rassurer, en montrer les effets vertueux, agir par une politique ancrée dans la stratégie de l’organisation, fédératrice, assortie d’indicateurs et d’objectifs chiffrés sur les plans tant social et environnemental qu’économique. L’heure est à l’engagement.

1. Mastères « Politique de la communication » et « Stratégie de développement durable et RSE ». Fabienne de La Chauvinière est l’auteur de La Responsa-bilité sociétale : oser la vertu, qui paraît chez Editea ce mois d’avril 2013.

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