Bulletins de l'Ilec

Labelliser les comportements - Numéro 446

01/02/2015

Les pratiques commerciales entre distributeurs et fournisseurs sont aujourd’hui lourdes de destruction de valeur préjudiciable à l’économie française. Le « Label Relations fournisseur responsables » vise à y parer. Entretien avec Pierre Pelouzet, Médiateur interentreprises

Le label « Relations fournisseur responsables » sur la sous-traitance et l’approvisionnement1 est-il en train d’élargir son périmètre aux biens de grande consommation, aux relations commerciales entre grands groupes ?

Pierre Pelouzet : Ce label a vocation à labéliser tout type d’entreprise, quel que soit son domaine, son secteur. Pour l’heure sont aujourd’hui accueillis plutôt les grands groupes et les ETI. Soulignons que la filière agroalimentaire qui couvre la grande distribution, les industriels jusqu’aux coopératives, s’est appropriée ce label, non pas en le changeant, mais en précisant les bonnes et les mauvaises pratiques spécifiques à la filière2.

À l’opposé des distributeurs qui ont souscrit à la charte « Relations responsables » en présence des ministres de l’Économie et de l’Agriculture, le 23 octobre, Michel-Édouard Leclerc écrit : « Aucun fournisseur n’en a exprimé concrètement la demande. Les PME (…) ont interprété qu’il leur en coûterait entre 15 et 20 000 € pour se faire certifier… » Et de vous reprocher un texte qui « cherche à codifier toute la négociation commerciale au bénéfice des plus grandes entreprises » 3. Personne ne semble avoir relevé le contresens qui inspire cette position, alors que la charte ne fait pas peser une responsabilité supplémentaire sur les fournisseurs, mais vise les donneurs d’ordres4…

P. P. : Je le redis à nouveau : à ce stade, ce label n’a pas vocation à labelliser les PME. L’objectif est d’avoir des relations équilibrées entre les grandes entreprises et leurs fournisseurs. Rééquilibrer une relation, c’est demander à celui qui est en position de force de faire un effort, or aujourd’hui le déséquilibre est plutôt en défaveur des PME, ce qui explique qu’elles ne figurent pas, pour l’heure, au nombre des entreprises labélisées.

Le coût pour les entreprises est de 15 000 euros sur trois ans, et non de 20 000, et il se décompose ainsi : 10 000 euros pour l’audit initial et 2 500 euros par an pour le suivi, les deux années suivantes. Précisons que le coût est divisé par deux pour les ETI, soit 7 500 euros sur trois ans.

En ce mois de février 2015, vingt-six entreprises sont labellisées. Dans la distribution, deux enseignes sont candidates, Système U et Auchan, et d’autres ont également exprimé leur intérêt. De son côté, l’Ania approche des industriels pour les encourager à se labéliser, comme le fait Coop de France. Idéalement, nous lancerons notre phase d’expérimentation au mois de mars, pour tester le label dans la filière agroalimentaire.

Le label RFR couvre-t-il le champ de la négociation commerciale en tant que telle ou seulement le contenu des contrats et leur application ?

P. P. : Il n’y a pas de distinction, car le label couvre la relation entre un client et un fournisseur, qui s’exprime aussi bien durant le temps de la négociation que durant celui du déploiement des contrats.

Le label RFR survivra-t-il à un ou deux cycles de dures négociations entre l’industrie et la distribution ?

P. P. : Le label a pour vocation de faire évoluer les comportements, dans le bon sens. Souhaitons-lui de réussir ! Si, comme nous l’espérons, il fonctionne, les comportements vont changer et les rapports s’améliorer. Le label devrait donc non seulement survivre, mais grandir et grossir. C’est du moins tout le pari de la filière. Il ne faut pas se le cacher : nous n’avons pas vraiment le choix, car la destruction de valeur atteint ses limites. La filière est consciente qu’il faut agir, changer les comportements, sortir par le haut et adopter une stratégie gagnant-gagnant.

La DGCCRF semble chargée d’effectuer des contrôles pendant la phase des négociations entre les enseignes et leurs fournisseurs, et non plus seulement au regard des contrats signés et des factures. Faut-il se dire que les négociations se feront désormais en présence du gendarme ?

P. P. : La mission de la DGCCRF n’est pas d’être présente partout, mais de venir contrôler, quand cela est jugé nécessaire, les conditions dans lesquelles se passent les négociations par rapport à la loi. Aussi, nous ne sommes pas exactement sur le même terrain. La DGCCRF sanctionne, ou non, le non-respect de la loi, alors que nous avons pour ambition de faire évoluer les comportements. Nous sommes complémentaires. À long terme, l’évolution des comportements a un impact beaucoup plus fort que la sanction. Mais à court terme, la sanction est une nécessaire piqûre de rappel pour changer les comportements.

Les différends récurrents dans les relations industrie-commerce pourraient-ils s’atténuer par le recours à la médiation ?

P. P. : Non seulement ils le pourraient, mais ils le font déjà aujourd’hui. Tous secteurs confondus, en 2014, nous avons effectué un millier de médiations, avec un taux de réussite de 80 %. Non seulement chaque fois le problème ponctuel est réglé, mais la relation est structurellement améliorée pour le long terme. La médiation ne peut être qu’un facteur très constructif pour atténuer les différends.

Est-il possible de croire à une mise en œuvre vérifiable de la Charte Relations fournisseur responsables, s’agissant des relations industrie-commerce ? Dans la déclinaison « Filière agroalimentaire » du label RFR signée l’automne dernier par plusieurs acteurs de la distribution (FCD, Auchan, Carrefour, Cora, Système U), il n’y a plus de trace du « principe d’action » intitulé « Fixer une politique cohérente de rémunération des acheteurs » 5, ni de « part variable de la rémunération liée à l’atteinte » d’« objectifs annuels d’achats responsables », citée en exemple de « bonne pratique »…

P. P. : Cela fait partie du rôle de l’agence de notation extra-financière Vigeo, qui demande que lui soit exposé comment sont mis en œuvre les différends axes du référentiel du label. Dont, en particulier, la question de la rémunération cohérente des acheteurs.

Comment dépasser la contradiction entre le sommet, avec des dirigeants de la distribution souvent enclins à un discours apaisant, et le « terrain » de commerciaux aux prises avec la réalité des objectifs et de la négociation ?

P. P. : C’est la question centrale ! Le label entend que les comportements vertueux ne soient pas du seul ressort des dirigeants. Les équipes qui évaluent souhaitent bien connaître la manière de déployer le label, les outils, les indicateurs pour mesurer le déploiement. C’est à partir du rapport établi par Vigeo que le comité de labellisation prend sa décision de labéliser ou non. Mais, ne l’oublions pas, nous ne sommes pas un organisme de sanction, mais de progrès.

La norme ISO 26 000 sur la responsabilité sociale, qui vise, entre autres points, un comportement transparent et éthique, est-elle applicable à la confrontation dans les « boxes » où se joue la négociation commerciale ?

P. P. : La norme ISO 26000 est applicable à tout, mais elle n’est pas très précise sur la partie achat responsable. C’est la raison pour laquelle a été créée la norme internationale « Achats responsables » dans laquelle nous sommes impliqués. Cette norme ne sortira qu’en 2016 et nous intégrerons dans notre référentiel les éléments qui n’y seraient pas encore et qui apparaîtraient dans cette future norme. Il y aura ainsi une vraie convergence.

Comment faire entrer dans les mœurs les codes de bonnes pratiques commerciales interentreprises ? Devraient-ils être formellement inscrits dans le champ de la RSE ?

P. P. : Toute notre action est inscrite dans le champ de la RSE, et nous sommes plus particulièrement dans le volet économique.

1. Pour la charte Relations fournisseur responsables : http://qwt.co/vwgt94 et http://qwt.co/4ltssf. Pour le label du même nom et la liste des entreprises labélisées depuis 2012 : http://qwt.co/kmnvz1.
2. Communiqué du 6 novembre 2014, « Lancement du label agroalimentaire Relations fournisseur responsables » : http://qwt.co/nyz6i3.
3. Blog De quoi je me MEL, 6 novembre 2014, http://qwt.co/w11ia. Le « s » ajouté au mot « fournisseur » dans le titre de ce billet change évidemment le sens de l’expression, mais pas le contenu de la charte.
4. http://qwt.co/4ltssf.
5. Label Relations fournisseur responsables, 2012, point 4.1.

Propos recueillis par J. W.-A.

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