Au carrefour des innovations permanentes - Numéro 465
31/05/2017
Qu’est-ce qui conduit un groupe comme Carrefour à s’associer une ou plusieurs start-up ?
Hervé Parizot : Carrefour s’adapte en permanence aux évolutions de marché et aux comportements des consommateurs. L’innovation infuse à tous les niveaux de l’entreprise pour développer notre offre, apporter de nouveaux services à nos clients et simplifier leurs courses du quotidien. Notre volonté est d’être toujours plus agiles. Pour cela, nous nous appuyons sur nos talents internes, mais également sur des ressources externes. Nous travaillons avec de nombreuses start-up, en direct, par le biais d’incubateurs ou par des fonds d’investissement. Les start-up nous permettent de réduire le délai de mise sur le marché. Elles nous amènent également un regard nouveau, là où la grande entreprise doit gérer l’ensemble de ses activités et leur résilience.
Carrefour peut-il se créer un « esprit start-up » indépendamment d’une alliance avec une start-up ? ou grâce à elle par capillarité ?
H. P. : Nous sommes dans une démarche d’innovation permanente et d’itération. Nous développons l’esprit et la culture start-up au sein de l’entreprise. C’est le rôle de notre direction innovation France, avec une approche « design thinking ». Elle s’appuie sur un réseau d’ambassadeurs en innovation et réalise des formations pour penser en dehors du cadre.
Devant le foisonnement des start-up, comment Carrefour identifie-t-il le bon partenaire ? Recours à des plateformes spéciales (BPI…), appel d’offres, hackathon ?
H. P. : Carrefour s’appuie sur un écosystème de partenaires qui nourrit des projets d’innovation, souvent sous la forme de « preuve de concept » (POC). Nous comptons parmi nos partenaires externes le fonds Partech Ventures, trois incubateurs thématiques de Paris & Co, des acteurs comme The Family, Lafayette Plug & Play et BPI France. Nous participons activement à des événements majeurs consacrés aux start-up, tels que Viva Technology et Hello Tomorrow. Enfin nous allons lancer ce mois-ci notre deuxième hackhathon, neuf mois après le précédent qui a rencontré un vif succès, en réunissant plus de cent participants.
Faites-vous appel à des sociétés d’évaluation ?
H. P. : Nous travaillons avec la start-up Early Metrics, qui nous permet d’évaluer les start-up sselon divers critères tels que leur capacité à croître, leur marché et leurs dirigeants.
Votre présence dans 35 pays vous permet-elle un choix plus grand ?
H. P. : L’effervescence de l’innovation dans l’ensemble de nos pays et notre organisation par métier, avec notamment la « file digitale » qui réunit régulièrement nos experts, favorisent une dynamique d’échanges fructueuse. Elle permet d’avoir rapidement accès aux développements et aux partenaires de la nouvelle offre ou du nouveau service d’un pays, pour l’adapter au contexte d’un autre pays. C’est un gain précieux de temps et d’efficacité. À l’occasion du salon Viva Technology qui se déroulera du 15 au 17 juin, nous accueillerons dans notre lab de nombreuses start-up françaises et étrangères, et présenterons les dernières innovations mises en place dans les différents pays.
Y a-t-il concurrence entre les unités du groupe, ou les start-up retenues travaillent-elles pour toutes les unités ?
H. P. : Nous fonctionnons en mode « test and learn » pour apprendre avec humilité et bienveillance tant de l’écosystème externe que de l’interne. Nous partageons l’avancement des projets avec notre réseau d’ambassadeurs en innovation, ainsi qu’une information régulière aux membres du comex France. Nous privilégions la réutilisation des initiatives qui ont donné les meilleurs résultats. Nous travaillons avec les start-up dans tous les métiers du groupe, particulièrement avec celles qui facilitent l’expérience des courses pour nos clients, qui contribuent à améliorer notre offre ou notre métier de commerçant, qui facilitent l’infusion en interne.
Carrefour pourrait-il s’associer avec d’autres groupes, hors distribution, autour d’une start-up dans un domaine qui leur est commun ?
H. P. : Oui bien sûr. C’est le cas avec les incubateurs multi-entreprises de Paris & Co, où nous travaillons avec La Poste ou Philips.
Comment se vit le partenariat avec une start-up parmi le personnel du groupe ?
H. P. : Notre démarche d’innovation ouverte fait appel aux talents internes et aux compétences externes. Nous combinons les qualités intrinsèques des start-up et leur savoir-faire avec les compétences et connaissances de nos équipes, qui sont mises à profit lors des projets communs, en particulier une expertise des métiers du commerce de détail. Nous essayons de favoriser ce type de relations.
Comment sont perçus les salariés de la start-up par ceux du groupe : des sous-traitants ? Des collègues ? Des consultants ? Des rivaux ?
H. P. : Les start-up, ce sont avant tout des histoires de femmes et d’hommes, d’entrepreneurs. Leurs personnels sont pleinement considérés en tant que partenaires.
Avec combien de start-up avez-vous noué des relations et pour quels objectifs et domaines d’intervention ?
H. P. : Nous sommes en relation avec plus de cent start-up en France, avec qui nous discutons d’un projet potentiel. Une vingtaine font ou ont fait l’objet d’un POC. Elles couvrent l’ensemble des métiers du groupe, en particulier le digital, l’e-commerce et les services.
Quelles sont les premières réalisations ?
H. P. : Nous avons des collaborations réussies dans de multiples domaines : Critizr dans la relation client, Phenix pour la lutte contre le gaspillage, ABTasty pour les tests de marketing, Early Metrics pour l’évaluation des start-up, Wynd pour la digitalisation du point de vente, Agripolis pour l’agriculture urbaine, Stuart pour la livraison.
Certaines start-up pourraient-elles être intégrées au groupe ?
H. P. : Sur certains sujets, il est possible de travailler à une intégration, en bonne intelligence avec les fondateurs. Mais c’est un mode de fonctionnement atypique, nous privilégions plus souvent un partenariat commercial.
L’empathie à l’égard de la start-up, et de son équipe qui est son premier capital, est-elle nécessaire ?
H. P. : L’empathie et la bienveillance sont nécessaires aux acteurs de l’innovation. Dans la relation avec les start-up, nous nous attachons à respecter trois grands principes : autonomie, confiance et alignement sur les directions.
Comment sécuriser tant le groupe que la start-up en cas de sortie de l’alliance ?
H. P. : Ce sujet est abordé dans la cadre de nos échanges contractuels. Nous avons un ensemble de règles et de bonnes pratiques. Il s’agit surtout d’être capable de construire en amont les bases d’une collaboration gagnant-gagnant.
Propos recueillis par J. W.-A.