“Coopétition” entre pairs dissemblables - Numéro 465
31/05/2017
Pourquoi avoir étudié, avec Publicis Nurin, les conversations impliquant grands groupes et start-up sur les réseaux sociaux1 ?
Guilhem Fouetillou : C’est en France la première étude de ce type. Nous avons analysé durant près d’un an, entre 2015 et 2016, la totalité du Web social français pour en extraire, à travers sept millions de verbatims, tweets, articles de médias, toutes les conversations et publications mentionnant les relations entre grands groupes et start-up. Nous avons cartographié cet univers pour comprendre de quoi il parle : à quoi comparer ces conversations en termes de volume, sur quelle plateforme éditoriale ont-elles lieu, quels sont les médias les plus influents aux États-Unis et en France sur ce sujet, et les secteurs qui conversent le plus. Ces méthodes mêlent analyse massive de la donnée et analyse qualitative humaine. Elles sont dans l’hybridation, en développant un dialogue fertile entre les algorithmes et l’analyse humaine, la bonne alliance entre les robots et les hommes.
Que nous disent ces conversations ?
G. F. : En quantité, plus de sept millions de conversations représentent moins de volume que dans le domaine de l’environnement ou de l’éthique, mais c’est l’équivalent en nombre aux conversations sur la santé connectée. Elles entrent dans la catégorie des sujets traités par des experts. Les plateformes qui les portent le plus sont Twitter, les plateformes sur la parole d’expertise, de métier. Les thèmes qui se distinguent concernent le secteur bancaire (explosion des thingtechs, des blockchains).
La question de la transformation se pose : comment aborder, pour un grand groupe, la possible « disruption » des start-up, quelle approche choisir entre compétition et coopération. Sur la plupart des sujets que nous avons analysés, les start-up sont meneuses et dominent dans la compétition en termes de lisibilité face aux grandes entreprises. Dans un deuxième temps, la coopération engage à agir avec, et non plus contre ; elle met en avant les valeurs d’agilité, de croissance, d’innovation, d’inspiration, de coopération vertueuse entre start-up et grands groupes, chacun se transformant.
Quels groupes et start-up conversent le plus, et qui, en leur sein, parle sur les réseaux sociaux ?
G. F. : Il existe des milliers de start-up et selon les secteurs les chiffres ne sont pas comparables, certains étant très portés sur la conversation, d’autres beaucoup moins. Nous n’avons pas établi de palmarès, mais sur certains thèmes la présence de tel ou tel secteur est forte : l’hôtellerie, avec Accord Hôtel, privilégie l’innovation grâce aux start-up, et tente de réinventer les chaînes hôtelières à l’ère de la transformation digitale. Forte aussi la présence de LVMH, en raison de l’arrivée d’un spécialiste du digital venant d’Apple. Ceux qui parlent se situent dans l’univers corporate, avec d’un côté la presse spécialisée, économique, marketing, innovation, communication, les journalistes et consultants experts du monde digital, mais également les salariés embarqués dans cette révolution à l’intérieur des groupes, employés ou PDG.
En face, il y a les start-up, très vocales, qui maîtrisent tous les leviers de la communication digitale. L’écosystème est large et hétérogène, car tout le monde peut être à la fois locuteur et média.
Apparaît-il parfois dans ces conversations que le mot start-up fait peur dans un groupe ?
G. F. : Oui, surtout au début. La peur a une vertu pédagogique, car chaque fois que quelque chose de nouveau paraît, le potentiel de rupture inquiète, dans un grand groupe il est une boulle dans un jeu de quilles, il fait changer les positions, redéfinir les périmètres d’intervention, apparaître les forces et les faiblesses. Les grands groupes constatent qu’ils peuvent être fragilisés par de jeunes pousses. Après la peur et la phase d’adaptation vient celle de la maîtrise, et la reprise du contrôle par les grands groupes, au travers de rachats, d’incubateurs. Aujourd’hui, nous sommes dans l’ère de la maturité et de la « coopétition », où les grands groupes comme les start-up savent qu’il faut composer.
La nature des discussions varie-elle selon les secteurs d’activité ?
G. F. : Cela dépend de niveau de maturité des entreprises. L’urgence crée la réactivité. Les activités les plus exposées à la transformation numérique sont celles qui réagissent le plus et sont amenées à se transformer avec les start-up. Les secteurs banque et assurance, hier en retard, car leurs activités n’étaient pas affectées, se sont depuis associé des start-up qui révolutionnent l’épargne, le paiement mobile, l’emprunt. Selon qu’un secteur est plus ou moins confronté à la révolution digitale, il se préoccupe ou non de ses relations avec les start-up.
Ces conversations amènent-elles les deux parties, grands groupes et jeunes pousses, à modifier la nature de leurs alliances ?
G. F. : Nous allons vers la « coopétition », qui conjugue coopération et compétition. L’ère est moins aux rapports de domination et de subordination, aux incubations sauvages, et davantage à l’interdépendance où chacun a besoin de l’autre, tels les grands mammifères qui ont besoin de petits oiseaux, les pique-bœufs qui se nourrissent des parasites de leur peau.
Économie collaborative, coopétition, intelligence collective, innovation ouverte, autant de termes synonymes ?
G. F. : Non, tous ces termes n’existeraient pas, il y aurait un même mot. Néanmoins, ce sont des mots valises qui permettent de penser la transformation de l’économie par le numérique, les champs et les possibles du capitalisme amplifié par lui. Ils participent de la même révolution.