Entretiens

Réinventer le succès pour recruter

19/12/2022

La transformation des entreprises est avant tout une aventure humaine, car ce sont les femmes et les hommes qui vont l’imaginer, la dessiner et la déployer. Entretien avec Caroline Renoux, fondatrice et CEO de Birdeo, cabinet de recrutement pour les métiers à impact positif.

Pour aller vers l’entreprise à impact positif, quels profils vont opérer de l’intérieur ?

Caroline Renou :  Il y a douze ans, à la création de Birdeo, les entreprises venaient chercher l’expertise de Birdeo pour leurs recrutements de dirigeants et de cadres spécialisés en RSE. Il était davantage question de faire des états des lieux plutôt que d’écrire des feuilles de route. Nous n’étions pas encore dans des définitions de stratégies carbone, biodiversité, etc. Aujourd’hui, il ne s’agit plus de postes de directeurs ou de responsables du développement durable. Nous sommes mandatés pour pourvoir par exemple des postes de Chiefs Value Officers, directeurs financiers -qui ont aussi une compréhension des enjeux environnementaux et sociétaux, et de leur urgence. Les entreprises attendent que ces dirigeants soient en mesure de réinventer la finance pour la mettre au service de la performance RSE. Ces doubles casquettes n’étaient pas légion jusqu’alors. Maintenant, tous les recrutements qui nous sont confiés exigent cette double compétence, ou du moins de connaître les cadres et contraintes réglementaires en matière d’environnement, de maîtriser les critères extra-financiers indispensables au business contemporain.

De nouveaux métiers émergent-ils pour répondre à ces enjeux devenus prioritaires ?

C. R. : Personne ne peut être expert de tous les sujets, à la fois la biodiversité, les droits humains, etc. C’est pourquoi de nouvelles fonctions voient le jour dans les organigrammes des entreprises. Responsables du climat ou encore de l’économie circulaire, du dialogue avec les parties prenantes… chacun traite un point spécifique et va jouer le rôle d’accélérateur dans son domaine de compétence .

Tous les secteurs d’activité sont-ils concernés, et quelle que soit la taille de l’entreprise ?

C. R. : Oui. En premier lieu il y a eu l’agroalimentaire, puis la cosmétique, le BtoB avec les emballages et enfin la mode. Nous observons des vagues successives par secteur. Le dernier en date est celui du luxe.  Et si les grandes entreprises ont été les pionnières, nous accueillions depuis deux ans de plus en plus d’ETI.

Double cursus

Quelles formations permettent aux professionnels ou aux étudiants, qui arrivent sur le marché du travail, d’acquérir ces connaissances tout en intégrant les enjeux écologiques et sociétaux ?

C. R. : Il y a de plus en plus d’écoles et de cursus universitaires qui considèrent ces nécessités de double compétence. Des efforts notables ont été fait ces deux dernières années, mais ce n’est pas encore tout à fait intégré. Ceux qui ont ces deux cordes à leur arc ont un temps d’avance, mais en entreprise les jeunes ne sont pas recrutés à des postes de conduite du changement. Pour cela, il faut avoir une connaissance de l’entreprise et une expérience significative. Il est donc indispensable aux professionnels en recherche d’emploi d’être curieux et de se tenir informés sur ces sujets, pour allier expertise métier et connaissances des enjeux climatiques. Et ce qui était vrai pour des postes de fonctions support infuse également dans des métiers très opérationnels. Les choses changent aussi à ce niveau. Prenons le secteur de l’électroménager par exemple, l’économie circulaire est de plus en plus présente, et la seconde vie, la réparabilité et le réemploi exigent des techniciens. Cependant, ces professionnels font défaut sur le marché du travail. C’est pourquoi des écoles internes se montent dans les entreprises.

Recrutements, les candidats décident

Il y a pénuries ?

C. R. : Nous rencontrons une vraie pénurie de compétences sur les sujets environnementaux et sociétaux, mais la tension du marché du travail est actuellement ressentie plus largement. Les DRH doivent répondre sur les façons d’attirer les talents, mais aussi sur les moyens de les retenir. Si les réponses sont complexes, la question est simple : comment donner envie ? Jusqu’à il y a peu, les personnes étaient prêtes à faire des concessions salariales à partir du moment où elles trouvaient du sens dans ce qu’elles faisaient, et cela se vérifiait quel que soit le secteur d’activité.

Le sens et l’impact de l’entreprise ne suffisent plus à attirer. À cela s’ajoutent les conditions de travail, et le télétravail est devenu un vrai sujet, ainsi que le salaire. La compatibilité du social et du sociétal, l’équilibre vie professionnelle vie privée et la rémunération sont les équations à résoudre. Après la période Covid, il y a eu une grosse demande pour le distanciel, les gens partaient en région. Les choses ont tendance à se stabiliser et dans les métiers de la transformation le télétravail n’est pas forcément compatible, car pour conduire le changement il faut être sur le terrain, au plus près des équipes. Malgré les efforts des entreprises, en ce moment ce sont les candidats qui décident où ils vont.

RSE, atout insuffisant

Quels efforts nouveaux doivent-elles faire ?

C. R. : Les entreprises doivent être capables de dire comment les salariés vont contribuer à la transformation, comment ils vont évoluer avec elles. Le succès d’une entreprise se mesurait à sa capacité à vendre plus que son concurrent. Maintenant, le succès est à redéfinir, c’est un succès social, sociétal, environnemental, climatique... L’ambition des entreprises ne doit plus simplement répondre aux attentes législatives, elles doivent aller plus loin. C’est pourquoi les entreprises à mission, régénératives, B Corp, etc. séduisent. Elles optent pour une posture qui engage durablement, pas simplement par opportunisme ou pour répondre au cadre légal. Dans ces modèles d’entreprises, le directeur général affirme son engagement et la direction stratégique qu’il impulse. Les salariés et futurs salariés savent pourquoi ils sont là et à quoi ils prennent part.

Si les entreprises doivent faire montre de sincérité et de véracité, qu’est-il attendu des salariés ?

C. R. : Il ne suffit plus d’être authentique, d’avoir une sensibilité, des valeurs. Il faut toujours se former, s’informer et avoir l’humilité de ne pas tout connaître. Tout évolue, et tellement vite, qu’il faut être en éveil permanent. C’est cela que les entreprises recherchent : du test and learn, et du progrès continu sur les thématiques RSE. Quant aux jeunes, leurs exigences sont de plus en plus élevées. Le collectif « Pour un réveil écologique » en est une illustration. Les jeunes diplômés expriment un désamour pour les grandes entreprises et se tournent davantage vers le milieu associatif, les ONG, voire se lancent dans une aventure entrepreneuriale. Ils montent leur startup dès leur sortie d’école. Auparavant, ils passaient par la case entreprise pour faire leurs premières armes, maintenant ce peut être l’inverse, et d’ailleurs les entreprises sont de plus en plus friandes de ces parcours atypiques riches d’expériences. Leur audace séduit

En résumé, quelles sont les clés de l’attractivité ?

C. R. : Les entreprises qui ont identifié leurs impacts et hiérarchisé les sujets à traiter, qui ont défini leur trajectoire, qui dépassent les objectifs légaux et qui ont une équipe dirigeante clairement et sincèrement engagée ont des atouts, c’est indéniable. Encore faut-il qu’elles aient une politique sociale dynamique ancrée dans les sujets sociétaux.

Propos recueillis par Claire Algrain

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