Stratégie
“H2orizons”, ou l’engagement des salariés de Nestlé Waters
14/02/2020
Quels sont, pour Nestlé Waters France, les enjeux de RSE ?
Françoise Bresson : Trois grands enjeux structurent la politique RSE de Nestlé Waters. Le premier porte sur le plastique, l’emballage de demain, la sensibilisation des consommateurs pour qu’ils comprennent que le plastique utilisé dans nos bouteilles est une ressource et non un déchet. Nous travaillons déjà sur l’intégration de matières recyclées dans nos bouteilles. C’est ainsi que nous avons lancé en novembre dernier la 75 cl 100 % RPET Vittel, RPET présent également dans la plupart de nos marques (Contrex, Hépar…).
L’économie circulaire est au cœur de notre démarche. L’innovation est évidemment un levier pour mettre en place ce que sera l’après-plastique, avec par exemple le bio PET. Nous sollicitons des startups pour développer des emballages bioconçus, biodégradables et recyclables. Nous réfléchissons à des nouvelles façons de recycler le plastique avec Carbios, une start-up française. Pour sensibiliser les consommateurs aux enjeux du recyclage, nous communiquons par des campagnes collectives, car nous avons besoin d’eux pour qu’ils placent la bouteille dans la bonne poubelle afin qu’elle soit recyclée. Nous associons également nos clients, distributeurs, restaurateurs, tous les lieux où l’on peut acheter une bouteille d’eau.
Enfin, la collecte doit devenir prioritaire, car si 99 % des bouteilles sont collectées sur le territoire, 58 % seulement sont recyclées, le reste étant soit incinéré (30 % ), soit enfoui dans des décharges agréées. Il reste 1 % dans la nature et c’est 1% de trop. Notre objectif est de passer de 58 à 90 % de bouteilles recyclées en 2025.
Le deuxième enjeu concerne la gestion de l’eau, gestion durable en collaboration avec les parties prenantes locales, agriculteurs, collectivités. Sur le plan local, nous prenons soin de protéger l’impluvium. C’est ainsi que pour Vittel notre politique est zéro nitrate, zéro pesticide depuis plus de vingt-cinq ans. La biodiversité est préservée, comme l’atteste le retour d’animaux dont le nombre avait tendance à baisser (coccinelles, chauve-souris, aigles…). Nous avons planté dix mille arbres.
Toujours dans ce cadre de la préservation de l’eau, l’usine de Vittel est depuis 2019 certifiée AWS (Alliance for Water Stewardship)[1], certification présidée par WWF. Et nous travaillons à ce que celle de Vergèze le soit en 2020.
Le troisième enjeu est de repenser nos modèles pour diminuer les impacts carbones de notre activité, mesurer et réduire les émissions de gaz à effet de serre. Notre projet ferroviaire ballast 100 % électrique concerne la liaison de l’usine Perrier de Vergèze à Fos-sur-Mer. Nous économisons 27 000 camions, soit 2 500 tonnes d’équivalent CO2 par an. Nous avons également lancé la première locomotive européenne hybride (électrique-diesel) à Vittel pour les trajets jusqu’à Arles.
Comment était perçue la RSE par les salariés avant la campagne « H2Orizons, osons le changement » lancée en février 2019 et quels son ses résultats ?
F. B. : Les bouteilles en plastiques sont au cœur des polémiques dans les médias, et des attaques d’ONG qui visent le sans-plastique. La bouteille d’eau est devenue un symbole de la pollution plastique en général, alors que le PET qui compose les bouteilles est un des rares plastiques à se recycler à 100 % . Nos salariés sont directement concernés et confrontés aux critiques[2]. On les sentait évoluer, prêts à s’engager, à mieux comprendre les enjeux environnementaux. Certains sont d’ailleurs personnellement très engagés.
Nous avons donc décidé de leur proposer de nous accompagner sur ces sujets et de leur permettre d’interagir avec le comité de direction. Nous avons créé la plateforme de communication « H2orizons (H2O) osons le changement », le o étant stylisé en goutte d’eau. Il s’agit d’apporter de la connaissance sur la responsabilité sociale de l’entreprise, de mobiliser les salariés par des actions concrètes, de créer une dynamique d’équipe, de trouver des solutions.
Deux approches sur cette plateforme. Une approche généraliste, baptisée “h2Open mind”, s’adresse à des salariés ouverts d’esprit, adeptes du changement, souhaitant s’informer et monter en compétence, gagner en maturité sur divers aspects de la RSE, en assistant à des conférences et en suivant l’actualité dans une newsletter pour prendre part aux transformations de l’entreprise. Ils sont invités à participer à des événements, comme la mission de sensibilisation des coureurs et des spectateurs aux gestes de tri au marathon de Paris, en avril 2019, le Clean Up Day pour ramasser les déchets à Paris le long des berges de Seine, et dans le sud de la France près des usines en juin 2019.
Le deuxième groupe, les « H2Odacieux », réunit des acteurs du changement, salariés recrutés selon leur volonté de faire bouger les comportements à l’intérieur comme à l’extérieur de l’entreprise. Ils ont pour vocation de faire monter en compétence leurs collègues par des conférences, des « minutes RSE », des veilles RSE ; ils créent des interactions avec le comité de direction pour porter des projets, impulser une nouvelle vision, imaginer des produits qui peuvent être développés à court terme, mais qui engagent l’entreprise.
Qui a participé à ces deux démarches ? Les usines sont-elles associées ?
F. B. : Nous avons beaucoup de profils relativement jeunes, de moins de trente-cinq ans. Le groupe des audacieux réunit dix-sept personnes, seize femmes et un homme, issues de cinq services. Les salariés des usines, tenus informés par la veille, ne sont pas encore associés, mais ils le seront ultérieurement afin que notre approche soit vraiment transversale.
Quels sont les résultats ?
F. B. : Ces démarches défont les silos d’entreprise, les enjeux sont partagés par tous les salariés, qui tirent une fierté de leur appartenance à la société. Les sondages de satisfaction après les conférences « Déjeuners Shaker » ouvertes à tous les salariés, qui ont accueilli par exemple Dominique Bourg, venu parler du monde en 2040, ou le neuroscientifique Albert Moukheiber, donnent des notes entre 8,7 et 9,7. Ces conférences réunissent chaque fois une centaine de personnes entre midi et 2 heures. Dans l’ensemble, ce sont cent trente salariés qui se sont engagés parmi les trois cents destinataires du projet. S’il n’y a pas eu globalement de désistements, il y en a eu chez les « audacieux », car certains ont quitté l’entreprise, mais ils ont été remplacés par une nouvelle campagne de candidature. Je regrette qu’il n’y ait pas plus d’hommes.
Les premiers « H2Odacieux » ou « H2Odacieuses » ont-ils fait des émules ?
F. B. : Oui, puisque la campagne de recrutement des audacieux a suscité six candidatures. Pour autant, il n’est pas toujours simple de mobiliser des personnes qui ont des contraintes de travail ou de vie familiale. Ils peuvent néanmoins faire partie des « H2Opend mind ».
La gouvernance a-t-elle changé vers moins de hiérarchie, comme le souhaitaient les « audacieux » ?
F. B. : On leur avait effectivement demandé d’imaginer leur propre gouvernance dans leur groupe. On constate qu’ils ont des réflexes très normés. Ils se rendent compte qu’il est très difficile de s’émanciper des principes avec lesquels ils ont été éduqués. On revient vite à des choses connues. Les nouvelles formes de démocratie participative ou d’interaction de groupe ne s’appliquent pas naturellement.
La plateforme de communication « Osons le changement » peut-elle nourrir la marque employeur ?
F. B : Oui, car c’est une preuve que l’entreprise donne de son engagement. Cette plateforme peut non seulement attirer les talents mais aussi retenir ceux présents dans la société.
Cette démarche peut-elle faire école dans le groupe Nestlé ?
F. B. : Oui, nous sommes précurseurs. Nestlé s’interroge pour savoir comment dupliquer la démarche.
Qu’en est-il de l’obtention « B Corp » qui compte au nombre des objectifs des « H2Odacieux » ?
F. B. : Cela fait effectivement partie des missions des H2Odacieux de réfléchir sur l’approche B Corp. Mais c’est une certification très exigeante qui demande de repenser les modèles dans leur presque totalité. Un travail titanesque, mais passionnant. Et c’est ce genre de réflexion qui les anime et qui fait que ce type de programme est intéressant.