Hénaff, un château d’eau bien gardé
23/05/2023
D’où vient l’eau que vous utilisez et quelle est votre gestion de l’eau, depuis quand la considérez-vous comme une ressource rare à protéger?
Loïc Hénaff : L’eau a toujours été une préoccupation pour nous. Mon grand-oncle Corentin Hénaff avait fait creuser des puits et des forages, car il craignait déjà manquer d’eau dans les années 1950. Nous en consommions en quantité importante pour blanchir les légumes. C’est la qualité qui nous a finalement le plus préoccupé. Depuis plus de vingt ans, le site Hénaff [1] est sans pesticides et sans traitement, car cent pour cent de l’eau que nous consommons est puisée dans notre sol grâce à des puits privés. Le château d’eau, devenu emblématique de la commune, porte nos couleurs, car c’est le nôtre. Nous sommes totalement indépendants du réseau. Nous disposons d’une station de traitement biologique qui nous permet de rejeter nos eaux avec maîtrise dans le ruisseau qui est en avant du site pendant l’hiver et dans les champs de cultivateurs voisins pendant le printemps et l’été. L’eau locale reste sur le territoire le plus longtemps possible.
La Bretagne est-elle menacée de sécheresse ?
L. H. : Avec le réchauffement climatique, le climat breton va évoluer à moyen et long terme. La Bretagne aura toujours un climat océanique plutôt humide, mais des épisodes plus aigus de sécheresse comme celui de l’été 2022 sont à craindre dans le futur.
Comment vérifiez-vous la qualité de l’eau (présence de nitrates, de pesticides) ?
L. H. : Notre organisation est bien rodée ; outre le fait que nous fonctionnons en régie c’est-à-dire que nous pilotons nous-mêmes les opérations de surveillance et de maintenance de notre station, nous avons un analyseur qui mesure le chlore et le PH en continu. Des analyses sont faites tous les jours par les techniciens du service énergie. Chaque semaine nous relevons des sous-compteurs pour aller au plus près des consommations de chaque salle de travail.
Économie et circularité
Quels sont les éléments chiffrés de votre consommation ?
L. H. : Notre consommation moyenne est de 300m³ par jour, dont surtout 270m³ d’eau chaude pour nos autoclaves de cuisson-stérilisation et pour le nettoyage. Nous allons devoir probablement adapter notre plan de production à la disponibilité de l’eau et tenter de réduire notre production lorsque cela sera nécessaire en juillet et en août. Ce n’est pas simple, car nous fabriquons aussi des produits ultra-frais que l’on ne peut pas stocker.
À quelles étapes l’utilisation de l’eau est-elle nécessaire ?
L. H. : Essentiellement à trois moments précis : le lavage des porcs lors de l’abattage, la cuisson-stérilisation en autoclave et l’hygiène générale du site, qui est nettoyé de fond en comble tous les jours. Dans notre autre site finistérien, chez GlobeXplore [2] à Rosporden, c’est essentiellement pour rincer les algues fraîches à l’eau douce.
Avez-vous mis en place une gestion circulaire de l’eau ?
L. H. : Notre gestion est effectivement circulaire, mais pas en totalité puisqu’une partie va à la mer qui est à trois kilomètres. Jusqu’à cette année, la réutilisation de l’eau après un premier usage était interdite. Un nouveau texte l’autorise enfin, nous allons donc pouvoir y travailler.
Quels leviers activez-vous pour économiser l’eau ?
L. H. : Notre système qualité a inculqué une véritable culture de l’amélioration continue dans l’entreprise. À l’issue des mesures réalisées chaque semaine, des actions correctives seront mises en place dans les ateliers pour consommer au plus juste. En 2022, nous avons identifié un poste important d’économies d’eau : le lavage des porcs qui proviennent des élevages voisins. Nous pourrions réduire de plus de 50 % cette consommation importante, de l’ordre de 400 litres par animal – les porcs bio ou conventionnels sur paille sont plus consommateurs d’eau, car ils sont tout simplement un peu plus sales. Nous allons travailler tout au long de cette année 2023 à remettre une saine pression sur nos équipes de nettoyage, à mieux adapter nos buses de lavage, à réduire quelques petites fuites… C’est difficile, car nous sommes déjà très économes.
Options pour le rinçage des algues
À quelles étapes les procédés industriels pourraient-ils se passer d’eau ?
L. H. : Nous ne pouvons pas nous passer d’eau. L’eau, c’est la vie, et dans l’agroalimentaire encore plus. Parfois, c’est même une obligation que de l’employer, de rincer par exemple. En revanche, nous devons en réduire l’usage. Le lavage des porcs est notre piste principale, nous devrions pouvoir réduire notre consommation de plus de 50 % . Pour le lavage des algues, avec un système de filtration nous pourrions être quasiment en cycle fermé. C’est tout l’intérêt de la réglementation sur le réutilisation des eaux usées (Reuse) [3] et des textes qui seront applicables une fois les décrets de la loi connus.
Le portefeuille de produits Hénaff est large. Avez-vous évalué lesquels étaient les plus consommateurs d’eau ?
L. H. : Il n’y a pas de différence notable entre les recettes. En fait, notre principale poste de consommation, c’est le traitement de la matière première pour la rendre propre à la consommation. Qu’il s’agisse du porc ou des algues, c’est un rinçage.
Cela vous conduira-t-il à lancer des produits plus sobres en eau ?
L. H. : C’est une très bonne question, mais j’avoue qu’aujourd’hui, comme il s’agit de traiter une matière première dont nous souhaitons conserver le premier traitement, nous ne nous la sommes pas posée. Le rinçage des algues pourrait être réalisé dans un port à l’eau de mer, car il a deux fonctions, avant le rinçage pour écarter le sel, la première est d’écarter le sable, les petits cailloux, d’éventuels petits crustacés : nous pourrions réaliser les deux opérations à deux endroits. Aujourd’hui, nous réfléchissons plutôt à un système en boucle fermée. Reste à nous assurer de la conformité réglementaire et sanitaire. La technique existe.
Objectifs et soutien pour l’élevage en amont
La charte avec vos éleveurs partenaires leur fixe-t-elle des normes à respecter pour leur consommation et la protection de l’eau ? Les aidez-vous sur le plan technique ?
L. H. : Nos éleveurs font partie de ce que nous appelons notre « communauté de progrès ». Ils se sont engagés dans notre démarche à impact positif “Be good 2030” [4], adoptée en 2019, où la gestion de l’eau figure parmi quatorze engagements. Ils suivent des objectifs formalisés appelés « roues de progrès » qui fixent des objectifs à trois ans et à 2030. Il y a trois roues thématiques, dont une pour l’exploitation agricole. Notre exigence est que l’éleveur puisse formaliser son système d’exploitation de l’eau, qu’il mette en place un système de récupération des eaux de pluie et qu’il les valorise. Ces deux points sont intégrés à notre grille d’audit et évalués chaque année, sans être rédhibitoires pour le moment, mais ce sera d’ici 2030 un point bloquant. Nous avançons progressivement, car les éleveurs sont à des niveaux différents en la matière. Ce qui est sûr, c’est que notre exigence va aller crescendo.
Être membre de notre communauté de progrès, c’est un engagement que signe l’éleveur. Dans notre roue de progrès « exploitation », nous fixons par exemple un mode de gestion strict à la gestion des effluents, avec deux objectifs : la gestion des risques accidentels, la couverture de la fosse, pour minimiser la quantité de lisier épandue et maximiser sa qualité. Pour y arriver, nous nous rencontrons souvent, nous réalisons des audits in situ… Nous avançons progressivement vers la contractualisation, ce qui permet à l’éleveur de financer ses travaux avec un risque limité. Nous savons que nous sommes sur la bonne voie. Une étude complexe menée en 2021 en partenariat avec l’Ademe a prouvé que concernant l’eutrophisation marine (algues vertes), les porcs Hénaff ont un impact inférieur de 5 % à celui du porc moyen (source Agribalyse).
Les salariés sont-ils impliqués et apporteurs d’idées ?
L. H. : Oui. La crise de l’été 2022 a été source d’idées, car tout le monde s’est senti concerné. Ne serait-ce que du fait que nous faisons nous-mêmes les relevés des compteurs d’eau pour le suivi de la consommation d’eau : la consommation générale tous les jours et la quarantaine de sous-compteurs chaque semaine.
Faites-vous école auprès des entreprises de votre secteur, ou auprès de celles réunies sous l’ombrelle « Produit en Bretagne » ?
L. H. : Le collectif breton des entreprises agro-alimentaires est très actif sur ce sujet, sous deux bannières. Celle de « Produit en Bretagne », par des ateliers ou le partage d’informations ; celle de l’action auprès de l’État conduite par l’Association bretonne des entreprises agroalimentaires (ABEA), pour faire évoluer la réglementation et autoriser la réutilisation des eaux usées. L’ABEA a été très en pointe pour le collectif national.
Effort de tous indispensable
Le Président de la République a annoncé des plans de sobriété pour l’eau dans chaque secteur d’activité, d’ici à l’été. Quelles mesures envisagez-vous en ce sens que vous n’auriez pas déjà adoptées ?
L. H. : À ce jour, je ne vois pas ce que nous pourrions faire de plus. Il faut d’abord que nous finissions ce que nous avons commencé. Attention, l’industrie n’est pas la première des pressions sur l’eau… L’attractivité de la Bretagne avec ses quarante mille nouveaux habitants chaque année met énormément de pression sur des communes peu préparées. Nos concitoyens doivent participer à ces économies.
L’élevage porcin est montré du doigt en termes de pollution de l’eau en Bretagne ; que répondez-vous ?
L. H. : La Bretagne s’est donné une vocation nourricière parce que nous avons les conditions pour le faire et que ce n’est pas le cas d’autres régions. La France serait en grande difficulté pour se nourrir si nous ne le faisions pas. Cela a engendré une forte concentration d’activités comme l’élevage porcin, et la réglementation n’a à mon sens pas été suffisamment sévère assez tôt. On a connu une période d’insouciance générale, ne l’oublions pas. Aujourd’hui que le problème est connu et incontestable, les élevages doivent redoubler d’effort pour réussir le pari de produire sans détruire. J’y crois, c’est un bel objectif. D’ importants progrès ont été réalisés, il faut poursuivre. Mais comme pour la gestion de la quantité, la qualité de l’eau sera aussi reconquise par les changements de comportement de chaque citoyen, qui devra abandonner ses petites habitudes de désherbage ou raccorder sa fosse sceptique à un système d’assainissement collectif.
Travaillez-vous au niveau local avec les agences de l’eau et autres institutions (préfecture, autres industries du territoire…) ?
L. H. : Bien sûr, nous ne travaillons pas seuls. Un cabinet conseil nous accompagne pour piloter notre station de traitement des eaux et maintenir notre niveau de compétence. L’agence de l’eau Loire-Bretagne [5] est aussi un acteur majeur dans le conseil et l’information. Au niveau local, nous sommes aussi en contact avec l’établissement public Ouesco [6], le syndicat mixte du Schéma d’aménagement et de gestion des eaux (SAGE) Ouest Cornouaille [7] – qui fédère les acteurs de la terre et de la mer pour la qualité des eaux littorales. Le SAGE est un outil de planification visant à assurer l’équilibre entre les activités humaines et la protection de l’eau et des milieux aquatiques à l’échelle d’une unité hydrographique cohérente. Il se trouve qu’en tant qu’élu local (Conseil régional de Bretagne) [8], je représente la Région dans ce syndicat ainsi que dans celui de la baie de Douarnenez. Cela me donne une vision complémentaire du sujet et me conforte dans la nécessité d’agir avec vigueur et fermeté pour progresser.
Réglementation exigeante
Qu’est-ce que le statut « Installation classée pour la protection de l’environnement » (ICPE) obtenu en 2008 ?
L. H. : Les ICPE peuvent avoir des impacts (pollution de l’eau, de l’air, des sols…) et présenter des dangers (incendie, explosion…) pour l’environnement. Pour ces raisons elles sont soumises à une réglementation spécifique, qui vise à gérer les risques industriels et agricoles, afin de préserver l’environnement et la santé. Elle encadre les émissions polluantes des activités et prévoit des outils de gestion des risques. C’est une des réglementations les plus importantes et la plus abouties du Code de l’environnement. Un ’exploitant d’ICPE doit de se conformer à une réglementation stricte. Avant toute mise en service, il doit faire une demande d’’enregistrement. Il doit justifier qu’il respecte les mesures techniques de prévention des risques et des nuisances définies dans un arrêté ministériel de prescriptions générales. La réglementation ICPE permet de prévenir mais aussi de réduire les nuisances, ainsi que les dangers liés aux installations afin de protéger les personnes et l’environnement.