Labeyrie, hautes ambitions bas carbone
25/08/2023
Quels sont les risques climatiques pour la pérennité de l’activité de Labeyrie Fine Foods?
Gaëlle Ouari : La nature de nos métiers, secteur agricole et agroalimentaire, expose nos activités aux effets des changements climatiques. Le secteur alimentaire est une des causes des enjeux climatiques et une des premières victimes : modifications des conditions environnementales d’élevage, événements climatiques extrêmes affectant les cultures, raréfaction de matières premières essentielles à certaines filières, tensions sur les ressources en eau et en énergie… Les effets du changement climatique se matérialisent à tous les niveaux de nos activités. Il nous est indispensable de les étudier et d’anticiper les risques qui pèsent sur l’ensemble de nos chaînes de valeur, afin de nous adapter, d’améliorer notre résilience et de pérenniser nos activités.
Quelle est votre trajectoire carbone depuis l’Accord de Paris (2015) ?
G. O. : Nous avons défini une trajectoire de décarbonation alignée avec les Accords de Paris. Pour 2030, nous visons une réduction de 55 % de nos émissions des scopes 1 et 2 (principalement liées à nos consommations d’énergie) ainsi qu’une réduction de 22 % des émissions de CO2 par kg de produits fabriqués pour notre scope 3 (empreinte carbone de la production des matières premières, du transport des produits, de l’emballage, etc.) par rapport à notre année de référence 2019. Notre premier bilan carbone date de 2019 et nous avons réduit nos émissions de 5 % entre 2019 et 2021.
Quels aspects de votre chaîne de production et de commercialisation pèsent le plus dans votre empreinte carbone ?
G. O. : Nous avons réalisé un bilan carbone exhaustif de nos activités, que nous mettons à jour chaque année. Ce bilan nous a permis d’identifier les plus gros postes d’émissions : achats de matières premières (75 % ), transport (10 % ), énergie (9 % ), priorités de nos actions de réduction.
Nous opérons dans des filières diverses, stratégiques pour le saumon, la crevette, le canard et les produits végétaux. Les enjeux, la maturité des acteurs et les leviers de décarbonation de ces filières diffèrent et nécessitent une approche et une gestion spécifiques. Nous avons donc dans une feuille de route pour chacune.
Marge de progression majeure mais ardue dans l’amont agricole
Où la réduction est-elle la plus facile, et où les obstacles sont-ils les plus nombreux ?
G. O. : La réduction des émissions est plus facile dans notre périmètre direct, à savoir le fonctionnement de nos usines : émissions liées à nos consommations d’énergie notamment (source d’énergie utilisée, efficacité énergétique de nos procédés...). Il s’agit des scopes 1 et 2. Les leviers d’action sont moins aisés à activer dans le scope 3, pourtant le plus significatif, puisqu’il s’agit de nos émissions indirectes, notamment les émissions liées à la production des matières premières, chez nos fournisseurs.
Nos fournisseurs sont des acteurs majeurs de notre démarche. Ainsi dans notre filière saumon, grâce à des relations de long terme, nous avons mis en place une démarche de progrès intégrant les enjeux climatiques : accompagnement dans la mesure de l’empreinte carbone, contribution à des projets de décarbonation, échanges sur l’adaptation de la filière...
Disposez-vous de technologies de décarbonation propres au groupe pour vos quatorze sites industriels ?
G. O. : La décarbonation de nos sites repose sur l’électrification de nos procédés industriels pour sortir des énergies fossiles, fuel et gaz notamment, ainsi que sur le remplacement d’équipements utilisant des gaz frigorigènes au profit de centrales utilisant des fluides moins émissifs ou sur l’installation de pompes à chaleur. Les actions prévues devraient nous permettre d’avoir réduit de 22 000 tonnes de CO2 nos émissions en 2030. En septembre 2021, nos sites de Saint-Geours-de-Maremne et de Came ont été lauréats de l’appel à projet « Décarb Ind 2021 » [1] . Ce projet pluriannuel comprend trois centrales froid à l’ammoniac, deux centrales froid CO2 et trois pompes à chaleur : en juillet 2025, nous aurons supprimé la totalité des gaz frigorigènes et grâce aux pompes à chaleur réduit notre consommation de gaz de 45 % .
Réduire d’un tiers les émissions du transport
Y a-t-il d’autres leviers que la décarbonation que vous puissiez actionner contre le réchauffement climatique ?
G. O. : Le transport représente un gros poste d’émissions. Des efforts importants ont été déployés cette année pour mesurer l’empreinte carbone de nos flux logistiques. Le groupe a mis en place un outil de pilotage pour l’ensemble des flux de transport intersites et avals de nos produits : une étape majeure pour le suivi de nos émissions de GES et l’évaluation de la performance de nos prestataires de transports. Notre engagement est d’avoir réduit de 30 % nos émissions liées au transport en 2030, grâce notamment à l’intermodal : passer du camion au train pour nos approvisionnements en saumon par exemple, qui nous permet d’économiser une tonne de CO2 par trajet, sur 3,5 tonnes au total de la ferme à notre site de production des Landes. L’écoconception de nos emballages représente également un potentiel de réduction important (objectif moins 20 % ). Nous avons pris des engagements de réduction du poids de nos emballages de 10 % en 2025 et de 100 % recyclable, qui devraient nous permettre une réduction de plus de 3 000 tonnes de CO2.
Comment calculez-vous votre bilan carbone « scope 3 », celui qui ne dépend pas directement de vous, de l’amont (matière première) à l’aval (fin de vie du produit) ?
G. O. : Nous appliquons différentes méthodes en fonction du poste d’émission (achats, transports, déchets, fin de vie...), toutes compatibles avec la méthode globale que nous appliquons : le GHG Protocol [2]. Les données que nous collectons peuvent avoir différentes unités (tonnes, litre, km, tonnes-km, etc.) et différentes sources : données fournisseurs et achats (pour l’amont), outils de pilotage interne (flux de transports), contrôle de gestion (distribution produits), et si nécessaire estimations et hypothèses formulées (déplacement des clients en magasin, utilisation des produits vendus...). Pour l’ensemble des matières premières achetées, nous adoptons l’approche physique : nous tenons compte des quantités exactes de matières premières achetées, que nous convertissons en émissions de CO2 grâce à des facteurs d’émission soit spécifiques (issus des calculs de l’empreinte carbone de nos fournisseurs, propres à leurs pratiques) soit issus de base de données de références (Base Carbone Ademe, Agribalyse, EcoEvent...).
Validation internationale
Par qui vos objectifs sont-ils validés ?
G. O. : Nos objectifs de réduction 2030, par rapport à 2019, ont été validés en 2022 par le SBTI (Sciences Based Target initiative), initiative issue d’un projet conjoint du Carbon Disclosure Project (CDP), du Global Compact des Nations Unies, du World Ressource Institute (WRI) et du World Wildlife Fund (WWF) visant à encourager les entreprises à définir des objectifs de réduction en cohérence avec les préconisations scientifiques. Cette validation était pour nous indispensable, car nous souhaitions aller au-delà des obligations réglementaires.
Ces objectifs sont-ils activement partagés parmi les salariés ?
G. O. : La sensibilisation et la mobilisation de l’ensemble des salariés du groupe est un facteur clé de succès. Nous y travaillons dans l’ensemble des services, unités et pôles. Un programme de formation digital aux enjeux climatiques a été mis en place. Plus de six cents employés du Groupe l’ont suivi. Plus de cent ont participé à des ateliers de La Fresque du Climat, grâce à la formation de cinq animateurs en interne. Des webinars internes ont rassemblé plus de quatre cents personnes.
Vos investissements dans la décarbonation rendent-ils vos marques attractives sur le plan du recrutement ?
G. O. : Les candidats, particulièrement les jeunes, accordent une importante grandissante aux engagements de l’entreprise où ils postulent. Pour neuf Français sur dix, la défense de l’environnement est un sujet important et les préoccupations liées au climat arrivent au second plan des préoccupations environnementales [3]. Nous sommes en contact avec « Pour un Réveil écologique », un collectif qui met à disposition jeunes diplômés des outils pour les aider à choisir un employeur suffisamment engagé.
Recherche des sources d’approvisionnement les moins émissives
Recevez-vous un soutien financier des pouvoirs publics ?
G. O. : Certains de nos projets industriels bénéficient d’aides de l’État ou des régions. Nous avons également bénéficié, grâce à l’initiative ACT de l’Ademe, d’un accompagnement pour évaluer la robustesse de notre stratégie climat (démarches d’atténuation et d’adaptation).
Partagez-vous vos méthodes avec d’autres entreprises de votre secteur ?
G. O. : Nous contribuons à plusieurs instances, groupes de travail externes, notamment grâce à l’Ilec, ou à des groupes de travail pluri-acteurs à l’initiative de certains de nos clients (Carrefour, Casino…), qui permettent les échanges de bonnes pratiques et les retours d’expériences sur des problématiques communes à l’ensemble des acteurs du secteur.
Êtes-vous conduits à modifier vos gammes en fonction de leur impact carbone ?
G. O. : Dans notre stratégie de développement, nous souhaitons développer nos gammes végétales, des offres de produits à faible empreinte carbone. Nous travaillons également à notre approvisionnement pour certaines matières premières, pour les crevettes notamment, certaines origines étant moitié moins émissives que d’autres.
En phase avec les attentes de la distribution en aval
Appréhendez-vous un risque de déréférencement par certaines enseignes en cas de trajectoire carbone qui ne répondrait pas à leurs critères ?
G. O. : Nous sentons une pression et un niveau d’exigence croissant de la part de nos clients, en termes de mesure d’empreinte carbone, de trajectoire et de plan d’action. Ce qui est très bien, car c’est la mobilisation de l’ensemble des acteurs de la chaîne de valeur et notamment les exigences de l’aval qui permettront de faire bouger les lignes.
Que représente le coût de la décarbonation dans vos tarifs ?
G. O. : Nous ne répercutons pas le travail fait dans nos tarifs. La vraie question est : comment pouvons-nous valoriser davantage notre démarche auprès de nos clients distributeurs et de nos consommateurs, pour en faire un vrai levier de préférence d’achat.
Avez-vous expérimenté, pour mesurer l’empreinte environnementale de vos produits, le portail Agribalyse [4] de l’Ademe ?
G. O. : Nous avons contribué, avec notre gamme de saumon fumé, à l’expérimentation de la méthode d’affichage environnemental des produits alimentaires. Nous sommes encore en réflexion sur le sujet.
Un site plus économe en eau de 20 % depuis janvier
Le président de la République a annoncé la mise en place de plans de sobriété pour l’eau dans chaque secteur d’activité ; quelles mesures envisagez-vous en ce sens que vous n’auriez pas encore adoptées ?
G. O. : En effet, la décarbonation n’est pas le seul objectif du plan de sobriété du gouvernement, la préservation des ressources en eau est une priorité tout aussi urgente. Nous avons des plans d’action pour l’ensemble de nos sites de production, avec un objectif de réduction de 10 % de notre consommation d’eau par kilo de produits fabriqués en 2025 par rapport à 2020. Sur notre site de Troarn, nous avons réduit nos consommations de 20 % depuis janvier 2023, grâce notamment à une cartographie et à un pilotage précis de nos flux, pour identifier les pratiques les plus consommatrices (notamment le nettoyage) et cibler les créneaux de consommation. La sensibilisation des équipes aux gestes vertueux est une nouvelle fois clé.
Le soja étant un intrant important dans l’alimentation de vos espèces animales, quels sont vos engagements contre la déforestation importée ?
G. O. : Nous avons donc signé le Manifeste Soja coordonné par Earthworm (France) et Efeca (Royaume-Uni), qui représente un engagement collectif des acteurs à assurer des approvisionnements de soja sans lien avec des pratiques de déforestation ni de conversion des écosystèmes. Notre objectif pour 2025 est d’atteindre 100 % de soja utilisés à l’alimentation de nos matières premières stratégiques animales garantis zéro déforestation et conversion.
Comité de parties prenantes
Que vous apporte votre comité des parties prenantes « RSE » [5], créé en 2021 ?
G. O. : Le dialogue avec nos parties prenantes va bien au-delà de la simple information, il s’agit d’une véritable concertation pour renforcer la légitimité des actions et leur pertinence opérationnelle. Le retour de nos parties prenantes est précieux, leur appréciation sur le sérieux de notre démarche est essentielle.
L’intitulé de votre fonction combine RSE, communication et stratégie de marques. Cette « trifonctionnalité » vous conduit-elle à imposer davantage de vigilance à la communication et au marketing ?
G. O. : Je fais partie du comex de Labeyrie Fine Foods, preuve que la RSE est l’un des piliers de notre stratégie. Pourquoi ce triptyque ? La RSE est l’affaire de tous dans notre groupe, à la communication interne d’embarquer tout le monde avec conviction. Ensuite, il est essentiel que nos marques s’engagent concrètement, c’est une brique fondatrice de la stratégie des marques. Elles ont ce rôle d’aider les consommateurs à choisir des produits, à passer à un acte d’achat responsable. Par exemple en choisissant un produit L’Atelier Blini, vous soutenez une association « Un Pacte positif » qui aide les agriculteurs dans leur transition agroécologique. En choisissant un Saumon Fumé Labeyrie, vous contribuez à un projet de recherche pour une alimentation à impact carbone réduit, etc. Enfin, la communication au sens large pour le groupe : parce que ces engagements méritent d’été connus par tous nos publics.
À combien se sont élevés vos investissements RSE en 2022 ?
G. O. : Nous pilotons un budget réparti dans de nombreux services. L’an passé nous avons investis environ 12 M€ dans des projets directement RSE ou avec un volet RSE significatif. Nous avons une équipe RSE de sept personnes car nous avons de nombreuses filières.
Que prévoyez-vous en 2023 ?
G. O. : Nous travaillons à des projets innovants sur le bien-être animal : le canard, le saumon ou la crevette. Nous continuons à investir pour limiter notre empreinte carbone (scopes 1 et 2) avec un pilotage encore plus ambitieux sur nos sites. Et à travailler à la réduction de nos emballages plastiques : c’est un travail de fond, de longue haleine.
Prévoyez-vous d’indiquer le Rémunéra-Score sur vos emballages ?
G. O. : Je ne crois pas que nos produits soient directement concernés par le projet Rémunérascore. Dans plusieurs filières nous sommes engagés pour une juste rémunération des agriculteurs, c’est essentiel. Déjà pour nos canards gras, avec notre coopérative Lur Berri. Ensuite nous sommes labelisés AgriEthique pour plusieurs produits.