Vie des marques

Transition agricole

Saint Louis, quand le sucre sert le sol

03/09/2024

Fait peu connu, la production de betterave sucrière peut favoriser le développement de pratiques agricoles bénéfiques. C’est pourquoi Saint Louis Sucre promeut l’agroécologie, tant pour la conservation des sols que pour la préservation de la biodiversité et de la ressource en eau. Entretien avec Ughau Debreu, responsable de la durabilité agricole chez Saint Louis Sucre.

Quelle est votre vision de l’agriculture régénératrice chez Saint Louis Sucre¹ ?

Ughau Debreu : L’agriculture régénératrice est un de piliers de notre démarche RSE « s’engager, s’enthousiasmer, transformer », dévoilée cette année. Ce pilier agricole est particulièrement important puisqu’il s’agit d’accompagner nos partenaires agricoles vers des pratiques plus durables. Nous souhaitons renforcer la pérennité économique et la résilience de la filière betteravière française, mais aussi soutenir nos agriculteurs dans leurs efforts de transition agroécologique, notamment pour préserver la ressource en eau, protéger les écosystèmes et développer la biodiversité et la fertilité des sols. Nous travaillons par ailleurs sur quatre autres piliers pour continuer d’être un acteur engagé au cœur de nos territoires, de prendre soin de nos équipes, d’apporter des solutions durables à nos clients et consommateurs, et d’agir avec éthique et authenticité avec nos parties prenantes.

Quant à l’agriculture de régénération des sols, c’est un ensemble de pratiques agronomiques qui met le sol et le végétal au cœur du système de culture, en cherchant à renforcer naturellement la qualité des sols et à restaurer leur fertilité tout en séquestrant naturellement plus de carbone. Face au réchauffement climatique et à la perte de matière organique des sols, nous voulons assurer la pérennité de notre activité betteravière tout en répondant aux attentes des consommateurs et de nos clients. C’est pourquoi l’agriculture régénératrice est l’une des principales thématiques de notre démarche RSE, avec l’engagement de parvenir à 30 % de nos planteurs l’ayant adoptée en 2030.

Entre cultures d’hiver et de printemps

Quelles sont les spécificités de votre activité sucrière face à cet enjeu ?

U. D. : La période d’interculture en premier lieu. La culture de la betterave est une culture de printemps : entre une culture d’hiver, blé par exemple, récoltée en été, et la culture de la betterave, il existe un délai de plusieurs mois propice à l’implantation d’un couvert végétal. Or la couverture végétale des sols est le premier levier à mettre en place pour favoriser leur conservation. Pour cela, on tient compte de la période d’interculture avant l’implantation de la betterave, notamment avec les couverts d’intercultures implantés durant l’hiver, et de la période d’occupation du sol par la betterave, semée entre le 15 mars et le 15 avril, et récoltée entre septembre et décembre. Pour les couverts, nous aidons nos partenaires agriculteurs à choisir le bon type de variétés, dont le système racinaire sera le plus favorable à la future betterave.

Plus généralement au niveau environnemental, notre procédé repose sur l’extraction mécanique du sucre naturellement présent dans la betterave, sans produit chimique. Même s’il s’agit d’une production de grande envergure – 14 000 tonnes de betteraves transformées par jour dans une sucrerie –, elle s’effectue à un échelon local, dans un rayon moyen de 45 kilomètres du champ à l’usine. Enfin, il s’agit d’une production circulaire : dans la betterave, rien ne se perd, car nous valorisons l’ensemble des constituants, dont l’eau, les pulpes, etc.

Comment avez-vous mis en place l’agriculture régénératrice dans votre groupe ?

U. D. : Notre réflexion a commencé en 2014 avec le programme Mont Blanc. Il s’agit d’essais agricoles menés en plein champ chez nos agriculteurs partenaires, faisant la comparaison entre une modalité témoin « pratique historique » et une modalité innovante selon des protocoles bien établis. Nous réalisons en moyenne 60 à 80 essais par an chez nos agriculteurs, sur une surface totale de 300 hectares, et évaluons ces modalités expérimentales innovantes tout en compensant financièrement leurs éventuelles pertes de rendements. Nous accompagnons ainsi la prise de risque de nos planteurs engagés dans l’amélioration de leurs pratiques agricoles.

Depuis 2020, nous avons expérimenté de nouvelles références en matière de transition agroécologique dans notre ferme expérimentale de la sucrerie d’Étrepagny (Eure). Sur 80 hectares, elle est notre vitrine pour déployer des techniques innovantes et sert de support de formation pour nos équipes et nos partenaires. Nous y organisons chaque année des journées de découverte de l’agroécologie à destination de nos clients et de tous les partenaires intéressés.

Notre objectif est de lever le frein à l’innovation et d’accompagner les agriculteurs dans leur transition. Nous formons ainsi la totalité des équipes betteravières à l’agriculture régénératrice chaque année et nous avons mis en place des journées techniques, des formations spécifiques ainsi que du conseil individuel personnalisé aux agriculteurs. En 2024, nous comptons 70 agriculteurs partenaires, avec un objectif de 300 en 2030.

Suivi satellitaire de la couverture des sols

Comment suivez-vous l’évolution des pratiques agricoles et avec quels moyens ?

U. D. : Nous observons cinq indicateurs : la durée de couverture végétale des sols, l’intensité de travail du sol, la diversité des familles cultivées, les émissions de gaz à effet de serre et le bilan humique, et nos douze inspecteurs de culture aident quotidiennement nos agriculteurs partenaires par leurs conseils agronomiques. Ils sont eux-mêmes formés à l’agroécologie grâce à une formation réalisée avec l’école d’ingénieurs UniLaSalle à Beauvais. Par ailleurs, nous avons noué il y a deux ans un partenariat avec la start-up Kermap, qui propose un suivi par satellite de la couverture des sols. C’est une solution « mains libres », c’est-à-dire qui ne demande aucun travail à l’agriculteur, grâce à la localisation de points GPS sans reporting manuel qui produit une donnée fiable. Plus de trois cents agriculteurs suivent ainsi leur durée de couverture des sols et bénéficient d’un conseil personnalisé. Alors que le seuil légal de la réglementation française est de 145 jours, la durée moyenne de couverture constatée chez nos agriculteurs est de 229 jours. Et nous pensons encore l’augmenter avec de nouvelles formules de couverts.

Comment l’agriculture régénératrice se combine-t-elle avec votre politique de décarbonation ?

U. D. : L’agriculture régénératrice regroupe un ensemble de pratiques qui induisent in fine une baisse des émissions de CO2 en stockant du carbone dans les sols et en réduisant la fertilisation azotée. Saint Louis Sucre est engagé dans la stratégie de décarbonation du groupe Südzucker, premier sucrier européen à avoir fait valider sa trajectoire de décarbonation par le SBTi pour limiter le réchauffement climatique à 1,5 °C. En France, nous avons mené huit projets de décarbonation en huit ans dans nos deux sucreries, par exemple l’arrêt de la chaudière charbon et du fioul lourd à Étrépagny, la réutilisation de chaleur perdue à Roye, le passage au gaz naturel à Roye, ou encore la pompe à chaleur qui remplace le chauffage au fioul à Étrépagny. Ces actions ont permis de réduire de 23 % le CO2 émis pendant la transformation des betteraves en sucre entre 2018 et 2022.

Localiser le travail du sol sur les seuls rangs semés

Concernant l’agriculture régénératrice, quels sont vos résultats ?

U. D. : Notre programme d’essais Mont Blanc a permis le développement de techniques innovantes. Par exemple le Strip-till, qui permet de localiser le travail du sol sur les seuls rangs semés et de ne pas travailler les inter-rangs qui représentent les deux tiers d’une parcelle. Avec cet équipement, nous maintenons les rendements de betteraves grâce à un sol moins perturbé, ce qui favorise le développement des micro-organismes (vers de terre, champignons, bactéries...), favorise les teneurs en matière organique et améliore la porosité pour retenir plus d’eau de pluies.

Par ailleurs, dans notre ferme agroécologique d’Étrépagny, le déploiement de nouvelles références agronomiques a permis une augmentation nette de la matière organique : un sol agricole contient 1,8 à 2 % de matière organique, et en installant un système de huit rotations, nous atteignons déjà une moyenne de 2,2 %.

Enfin, nous avons commencé des tests avec un partenaire sur des engrais décarbonés dont les résultats s’annoncent prometteurs. Notre accompagnement est dynamique et nous constatons un fort entrain des agriculteurs volontaires pour adopter l’agriculture régénératrice.

Encourager vos betteraviers à diversifier leurs cultures ne risque-t-il pas de réduire votre approvisionnement ?

U. D. : En général, ils fonctionnent déjà avec quatre rotations, voire plus. La diversification favorise la performance agronomique et donc, à terme, les rendements.

Quels freins reste-t-il à lever ?

U. D. : Ils sont d’ordre technique et financier. Technique, puisque l’agronomie est une science très vaste qui nécessite une adaptation chaque année pour que les références agronomiques soient validées et duplicables. Économique, puisque l’enjeu est également d’aider nos agriculteurs financièrement, pour rémunérer la prise de risque liée au changement de pratiques agricoles et permettre qu’ils investissent dans de nouveaux matériels pour leur transition.

Perte de rendement limitée aux premières années

Justement, comment embarquez-vous vos partenaires agriculteurs ?

U. D. : Nous veillons à leur apporter suffisamment de valeur pour qu’ils puissent faire l’effort d’entrer dans la démarche. Cette valeur peut être économique, mais il ne faut pas négliger la valeur « connaissances », qui est difficilement quantifiable mais facilement observable lorsqu’une transition agroécologique est réussie. Pour cela, il faut une démarche pragmatique et pertinente, mais pas chronophage pour l’agriculteur. Notre partenariat avec Kermap, qui s’appuie sur l’imagerie satellite  permet de libérer l’agriculteur de tâches administratives souvent chronophages.

L’agriculture régénératrice n’a-t-elle pas un impact négatif sur les rendements agricoles ?

U. D. : Lorsque tous les leviers techniques sont en place, les rendements sont équivalents. Néanmoins, il est vrai qu’une perte de rendement peut être observée les premières années, liée principalement à l’appropriation des connaissances par l’agriculteur et à la capacité du sol à « accepter » une réduction du travail. Cela montre l’importance de l’accompagnement humain, financier et technique que nous proposons.

Quels sont les chantiers à venir ?

U. D. : Nous allons structurer notre offre pour faciliter la collecte et le traitement des données de nos outils MRV (Monitoring Reporting Verification). Nous devons capter la donnée chez l’agriculteur sans gêner son travail, et en lui garantissant un retour pertinent pour la conduite de son exploitation.

En interne, comment sensibilisez-vous les salariés à ces travaux ?

U. D. : Cette sensibilisation est primordiale, afin d’avoir de vrais ambassadeurs pour développer ce type d’agriculture ; c’est pourquoi nos chargés de relation planteurs ont été formés pendant vingt-deux jours à l’agriculture de régénération des sols à UniLaSalle Beauvais. Et depuis 2023, les critères d’intéressement de l’ensemble de nos salariés comportent des indicateurs RSE, y compris environnementaux comme l’usage de l’eau, les émissions de CO2 et la couverture des sols. Il s’agit donc d’une vision globale et ambitieuse pour Saint Louis Sucre, qui intéresse chacun de nos salariés dans notre politique de ressources humaines.

Par ailleurs, nous nous engageons à permettre à chacun d’eux d’agir à son niveau pour la transition écologique, avec des actions de sensibilisation comme le déploiement de la Fresque du climat auprès l’ensemble d’entre eux avant la fin de cette année. Nous prévoyons également d’intégrer un volet spécifique dans les entretiens annuels de développement

Bénéfice premier, la garantie de durer

Quels sont les coûts et bénéfices attendus de l’agriculture régénératrice pour votre groupe ?

U. D. : Les coûts sont d’ordre humain et financier pour amorcer le début de ce programme, mais les bénéfices attendus sont simples : continuer à produire de la betterave sucrière sur des sols résilients, au vu du changement climatique dans les prochaines décennies. Notre objectif est bien in fine de servir nos clients et consommateurs dans le futur, tout en répondant à leurs exigences croissantes et légitimes d’une production agricole plus durable et respectueuse de nos écosystèmes.

Quelle valorisation pouvez-vous en attendre ?

U. D. : Nous valorisons déjà notre démarche de transition agroécologique auprès de nos consommateurs qui sont de plus en plus sensibles à ces sujets, notamment au travers de la communication sur les emballages de nos sucres de betterave Saint Louis et sur nos canaux de communication digitaux. Nous expliquons simplement et concrètement aux consommateurs d’où vient le sucre qu’ils consomment et de quelle façon il est extrait de la betterave. C’est une condition importante pour communiquer de façon efficace à propos de nos efforts en termes d’agroécologie.

Nos emballages de sucres classiques véhiculent ainsi depuis plusieurs années des informations sur notre ferme agroécologique d’Étrépagny et sur nos actions en faveur de la biodiversité. Quant aux réseaux sociaux et autre canaux digitaux, ils nous permettent d’apporter davantage de contenus, comme des vidéos et des images illustrant notre démarche. Notre ferme d’Étrépagny accueille par ailleurs chaque année les clients qui souhaitent en savoir plus sur les essais agronomiques mis en place chez Saint Louis Sucre, pour une visite et une présentation complète de notre démarche.

1. Saint Louis Sucre, « entreprise locale à taille humaine implantée en Picardie et en Normandie depuis 1831 », est membre du groupe allemand Südzucker, premier sucrier européen (23 millions de tonnes de betteraves travaillées en 2022 donnant 3,7 millions de tonnes de sucre par an) : « Nous allions les atouts d’un grand groupe international à ceux d’une entreprise à taille humaine », indique l’entreprise. Elle emploie cinq cents salariés en moyenne dans ses six sites dont deux sucreries – Roye dans la Somme, Étrépagny dans l’Eure – et une unité de conditionnement, à Roye également, et compte 2 700 planteurs partenaires qui cultivent 43 000 hectares de betteraves environ.

Propos recueillis par Benoît Jullien (Icaal)

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