Égalim
Ordonnances, acte II
26/04/2019
La première des ordonnances publiées au JO du 25 avril systématise la faculté pour un fournisseur de produits agricoles d’engager la responsabilité de l’acheteur s’il lui impose un prix abusivement bas. Ce n’était jusqu’alors possible que dans des situations critiques. L’article 1er supprime les conditions tenant à l’existence d’une crise conjoncturelle et de forte hausse de matières premières, et élargit le champ d’application à l’ensemble des produits agricoles et alimentaires.
Et le juge pourra s’appuyer sur des indicateurs de coût de production pour apprécier et caractériser le prix abusivement bas. L’ordonnance précise la nature de ces indicateurs sur la base desquels il peut se fonder. Elle fait le lien avec les indicateurs en usage pour le schéma de contractualisation en cascade dans la chaîne alimentaire : indicateurs de coûts de production dont ceux publiés par l’Observatoire de la formation des prix et des marges, ou ceux figurant dans la proposition de contrat du producteur.
L’article 2 prévoit une application différée de quatre mois pour les contrats en cours d’exécution à la date d’entrée en vigueur de l’ordonnance.
Formalisme renforcé
La seconde ordonnance vise à renforcer la protection de l’ordre public économique pour « sanctionner les abus de la grande distribution dans ses relations avec ses fournisseurs ». Elle recadre la convention unique et recentre les dispositions du Code de commerce sur trois « notions cardinales » : déséquilibre significatif, avantage sans contrepartie et rupture brutale de la relation commerciale.
Les articles 1 à 3 modifient le « Titre IV », dont l’ensemble des dispositions sont modifiées ou font a minima l’objet d’une renumérotation (L. 442-9, prix abusivement bas ; L. 442-5, imposition d’un prix de revente minimal ; L. 442-7, activités exercées en dehors de leurs statuts par des personnes morales).
Sur la convention unique, le chapitre Ier (articles 1 à 3) réécrit le « Titre IV » sur la transparence dans la relation commerciale (CGV, négociation et formalisation avec la contractualisation et le contenu des contrats) en créant de nouveaux articles L. 441-1 à 441-16.
Le nouvel article L. 441-1 est consacré aux CGV, dont il précise le rôle dans la négociation. La convention applicable aux distributeurs est supprimée et remplacée par un régime de base plus souple, tandis qu’est maintenu pour les acteurs de la distribution alimentaire un régime spécifique plus exigeant. Les avenants à la convention devront désormais être écrits et mentionner l’élément nouveau qui les justifie, de sorte qu’ils ne masquent pas une renégociation totale du contrat.
La notion de « prix convenu » est modifiée (nouvel article L. 441-3) afin d’intégrer tous les éléments concourant à la détermination du prix à l’issue de la négociation commerciale, autrement dit le « 3 net ». Pour les contrôles est instaurée l’obligation de prévoir la « rémunération globale » des services de coopération, ce qui suppose que soit déterminée dès le 1er mars l’enveloppe globale de ces services, exprimée en valeur ou en pourcentage de chiffre d’affaires.
Les conventions devront fixer le chiffre d’affaires prévisionnel annuel. L’ordonnance prévoit aussi d’inclure dans la convention le « plan d’affaires » correspondant au prix convenu et au CA prévisionnel. Elle maintient la date butoir au 1er mars, comme l’obligation de communiquer les CGV trois mois avant. Pour la « convention PGC » il est prévu (nouvel article L. 441-4) que le distributeur notifie par écrit les motifs de son refus des CGV ou de son acceptation, ou encore les dispositions qu’il souhaiterait soumettre à la négociation, cela pour confirmer le fait que les CGV constituent le socle unique de la négociation. Un article spécifique relatif à la sanction des manquements est créé.
Efforts terminologiques
La désignation des règles de facturation entre le Code de commerce et le CGI est harmonisée. Les règles de facturation se voient ajouter deux mentions obligatoires : l’adresse de facturation de l’acheteur et du vendeur et le numéro de bon de commande. Les sanctions relatives aux règles de facturation sont dépénalisées.
Le chapitre II relatif aux pratiques commerciales déloyales se réorganise deux sections. La première traite des pratiques restrictives de concurrence, la seconde des autres pratiques prohibées. L’actuel L. 442-6 a été divisé en quatre articles (L. 442-1 à L. 442-4) pour recentrer la liste des pratiques commerciales restrictives autour de trois pratiques générales : avantage ne correspondant à aucun service commercial effectivement rendu ou manifestement disproportionné ; soumission à des obligations créant un déséquilibre significatif ; rupture brutale de la relation.
Le nouvel article L. 442-1 remplace le « partenaire commercial » par « l’autre partie », pour inclure toutes les situations où la pratique illicite est imposée à un cocontractant. Les termes « à aucun service commercial effectivement rendu » sont remplacés par les termes « aucune contrepartie » pour ne pas cantonner l’article à la coopération commerciale. L’auteur d’une rupture de relation commerciale ne pourra plus voir sa responsabilité engagée pour durée insuffisante de préavis, si un préavis d’au moins dix-huit mois a été accordé. Les pratiques énumérées aux 3°, 4°, 7°, 8°, 9°, 10°, 11°, 12°, 13° du I de l’actuel article L. 442-6 sont supprimées.
Un article spécifique (nouveau L. 442-3) est consacré aux dispositions qui étaient mentionnées au II du L. 442-6 relatif aux clauses interdites. Il se recentre sur les dispositions utilisées par les opérateurs économiques : « bénéficier rétroactivement de remises, de ristournes ou d’accords de coopération commerciale » ainsi que « bénéficier automatiquement des conditions plus favorables consenties aux entreprises concurrentes par le cocontractant ».
L’ordonnance crée un chapitre III dans le titre IV où sont regroupées toutes les dispositions spécifiquement applicables aux produits agricoles et alimentaires, notamment un nouvel article L. 443-4 relatif aux indicateurs définis dans le Code rural, disposant que doit être explicitée la façon dont il en est tenu compte pour la détermination du prix dans les CGV et dans la convention unique.
L’article 5 prévoit une application immédiate de l’ordonnance à tous les contrats ou avenants conclus postérieurement à son entrée en vigueur, même si l’avenant se rapporte à une convention conclue antérieurement. Pour les contrats pluriannuels en cours d’exécution à la date d’entrée en vigueur, l’article 3 prévoit leur mise en conformité au 1er mars 2020. Les professionnels ont jusqu’au 1er octobre 2019 pour s’adapter aux nouvelles règles applicables en matière de facturation.
François Ehrard