Innovation
Sial Paris, du monde et du neuf
02/09/2024
Il s’en est passé des choses au Sial depuis sa première édition, en 1964 ! Il a vu l’éclosion du four à micro-ondes, des plats préparés, surgelés puis réfrigérés, il a vu les premières bouteilles en PET avec Pepsi ou les premiers « steaks » de soja avec Sojasun, et dans les années 90 la crise de la vache folle, qui devait mettre la sécurité puis la qualité et la traçabilité au cœur des enjeux agroalimentaires. Dans ce sillage, les éditions des années 2000 annonçaient l’essor du bio, de la naturalité puis du végétal. Et après une édition 2020 annulée pour cause de Covid, l’édition 2022 fut pour beaucoup celle des alternatives végétales.
En 1964, le Sial réunissait 602 exposants sur 13 000 mètres carrés. Pour son soixantième anniversaire, le Sial Paris attend 7 500 exposants, à 85 % internationaux, sur une surface record de 257 000 mètres carrés. À cinq mois de l’événement, il affichait complet et les candidats restants se retrouvaient sur liste d’attente, espérant des désistements. Le Sial Paris ne connaîtrait donc pas la crise ? « Le salon, observe Audrey Ashworth, sa directrice, avait été très affecté par le Covid, mais il a été le premier à retrouver sa taille antérieure ensuite. Le contexte économique a évidemment eu une influence sur sa préparation; nous savions que certains pays ne pourraient pas participer pour des raisons géopolitiques, que les entreprises subissaient des tensions dans leur chaîne logistique, que les subventions nationales pouvaient diminuer, que les taux de change pénalisaient certains pays comme l’Argentine… Mais nous avons aussi profité des retombées bénéfiques des Jeux olympiques, qui se sont très bien déroulés. Que vous soyez visiteurs ou exposants, pendant cinq jours, en un seul lieu, vous pouvez rencontrer le monde entier. »
Plus de deux cents nations
Les JO ont pu en effet inciter les visiteurs à faire le déplacement, et 285 000 personnes sont attendues. Cette dimension internationale est l’une des composantes essentielles du Sial Paris, avec plus de deux cents nations représentées. Il a d’ailleurs essaimé loin de ses bases : Shenzhen, Djakarta, New Delhi, Montréal, Shanghai, ont vu naître des salons sur son modèle. Pour la seconde fois, l’Italie va être au Sial le premier pays en termes de surface, légèrement devant la France, dont, avec l’expansion du salon, la part relative diminue, à l’image de son rang dans le classement des pays exportateurs, de la deuxième à la sixième place en une vingtaine d’années.
Côté français, le Sial est justement l’occasion de remobiliser les opérateurs autour de cet enjeu ? Comme le remarque Audrey Ashworth, si l’impératif de souveraineté alimentaire établit la nécessité d’une proximité des produits, l’exportation est la deuxième jambe des entreprises pour dépasser le quotidien de leurs affaires et trouver de nouvelles sources de croissance. Toutes les régions de France ont maintenu leur participation, en dehors de la Corse, traditionnellement peu tournée vers l’exportation.
10 % de l’innovation
L’innovation est l’autre axe majeur du Sial. Selon Xavier Terlet, senior advisor chez ProtéinesXTC, qui accompagne le salon dans ce domaine depuis 1996, il y a 30 000 nouveaux concepts qui sortent chaque année : « Le Sial, avec 2 500 à 3 000 nouveaux produits présenté, est représentatif des tendances mondiales de l’offre. » Quelle sera la dominante de l’édition 2024 ? On peut faire le pari que la RSE et ses composantes les plus liées à l’agroalimentaire tiendront le haut du pavé. « L’empreinte environnementale du produit est devenue un véritable défi, confirme Xavier Terlet, elle illustre l’engagement des entreprises dans une transition de fond. Aujourd’hui, plus personne n’ose nier les effets du changement climatique : les entreprises ont un rôle à jouer et les consommateurs le leur demandent. »
Pour Audrey Ashworth aussi, « la RSE est un pilier majeur du Sial Paris, depuis que nous avons adopté sa devise “Own the change” en 2020 et il va faire l’objet d’un parcours thématique, “Sial For Change”, cette année ». Le salon s’applique lui-même des pratiques de durabilité : matériaux utilisés, catalogue cent pour cent digital, collecte alimentaire avec la Croix-Rouge (40 tonnes en 2022)… La RSE sera présente dans les conférences organisées, dont les Sial Summits, et elle s’invitera dans l’espace consacré aux innovations. « La protéine, prévoit Audrey Ashworth, ressort fortement dans les innovations qui nous ont été présentées, que ce soit les aliments ultra-protéinés ou les protéines alternatives. »
Marques et export
Et les marques ? En première analyse, elles apparaissent en filigrane. Mais il suffit d’observer de haut un des halls truffés de bannières pour constater qu’elles sont omniprésentes. « Nos exposants sont là pour mettre en valeur leurs marques, assure Audrey Ashworth, c’est une différence avec d’autres salons, pour leurs marques produits comme pour leur marque entreprise. » « Les grandes marques, précise Xavier Terlet, y sont surtout pour l’international avec une stratégie export. »
Reste le gigantisme d’un tel salon, le plus important tenu en France, tous secteurs confondus. Cette année, à la demande quasi unanime des visiteurs, le Sial organise son implantation selon une logique sectorielle avec dix grands secteurs, les pavillons internationaux étant invités à se répartir suivant les univers. Car au-delà des rencontres commerciales, la force du salon réside dans sa richesse en contenus censés nourrir l’inspiration de ses visiteurs. « Avec un temps d’avance », rappelle Audrey Ashworth : « Le Sial a toujours révélé bon nombre des tendances de l’alimentation, et certaines innovations qui y ont été dévoilées se retrouvent dans nos assiettes au quotidien. Après les aliments à base d’algues lors de la précédente édition, la fermentation de précision s’annonce. L’arrivée des Air Fryers, modifiant les modes de cuisson, suscite celle de nouveaux produits adaptés. La cuisine connectée ouvre des perspectives, avec l’intelligence artificielle... » Bref, quoi de neuf ? L’alimentation.
Benoît Jullien (Icaal)Trois questions à Xavier Terlet, senior advisor, ProtéinesXTC
La conjoncture des trois dernières années n’a-t-elle pas fortement réduit le rythme et l’importance des innovations alimentaires ?
Xavier Terlet : Nous avons des chiffres très clairs à ce sujet. En 2022, le nombre de nouveaux produits lancés sur le marché a diminué de 12,7 % dans le monde et de 23,3 % en France par rapport à 2021. En 2023, la tendance s’est un peu améliorée, ; + 3,9 % et + 8,2 % respectivement, mais sans revenir au niveau antérieur. En 2024, l’évolution reste similaire. D’abord avec le Covid puis avec le choc inflationniste, de nombreux projets de développement ont été reportés, tandis que les consommateurs faisaient des arbitrages dans leur budget, engendrant une baisse des volumes achetés. On peut toutefois se féliciter d’un certain écrémage dans l’innovation avec plus de lancements relevant de vrais partis pris et non de simples me-too.
Par exemple ?
X. T. : Prenons le bio, qui a connu un coup d’arrêt. À la suite des pionniers puis des marques de distributeurs, beaucoup de marques nationales s’y sont précipitées, avec un manque de différenciation criant. En 2020, plus d’un produit sur trois lancés en France relevait du bio. Mais il s’agissait seulement d’ajouter un équivalent bio à la gamme. Ces produits étaient bio mais sans autre valeur ajoutée, et trop chers par rapport au bénéfice perçu par le consommateur, bien au-delà des 20 ou 30 % qu’on évoque souvent à tort. Il risque de se passer le même phénomène pour les alternatives végétales. Les start-ups se multiplient et les grands groupes s’y mettent. Nombre de produits ne se différencient pas des autres et affichent des prix excessifs. Nous avons atteint un point culminant en 2022 avec environ 13 % des nouveaux produits mettant fortement en avant leur nature végétale, au lieu de 7 % en 2019. En 2023, la décrue semble avoir commencé, avec un taux de 11 %.
Comment les marques alimentaires peuvent-elles innover malgré tout dans ce contexte ?
X. T. : Elles avaient le choix entre deux attitudes. Soit faire le dos rond en attendant que ça passe et en limitant les innovations ; c’était une mauvaise méthode les mettant en retard sur leur marché. Soit repérer de nouveaux besoins, justement dans cette période de crise, et s’y adapter. Permettre à un produit de devenir plus accessible est une forme d’innovation en temps de crise économique. Mais la valeur ajoutée plaisir est une tendance encore plus forte. C’est le formidable rôle des marques alimentaires : apporter au consommateur des petits plaisirs multi-quotidiens que l’alimentation est pratiquement la seule à pouvoir offrir. On le constate dans les plus grandes réussites classées par NielsenIQ en termes de chiffre d’affaires : ce sont des glaces (Kinder Bueno), des bières aromatisées (Desperados), des pâtes à tartiner (Bonne Maman)… On est loin de la santé, de l’éthique, de l’écologie, du végétal, etc., même s‘il en faut également, comme Danone y est parvenu avec Hi-pro, qui répond à d’autres revendications (l‘effet protéine). Certains groupes, comme Ferrero ou Andros, sont passés maîtres dans l’art d’oser diversifier leurs marques sur cette piste plaisir.