Entreprise et territoires
Enjeu global, action locale
03/12/2024
Après la RSE, la RTE, « responsabilité territoriale des entreprises ». Sur fond de préparation du projet de la loi pour la croissance et la transformation des entreprises (« Pacte »), le concept est apparu en 2018, sur la « Plateforme RSE » de France Stratégies, groupe « RSE et territoires ». Le rapport adopté alors, Vers une responsabilité territoriale des entreprises, formulait un diagnostic sur l’ancrage territorial et onze recommandations. Parmi celles-ci, recenser les pratiques, les évaluer et les valoriser, encourager la création de structures d’échange entre acteurs et encourager les expérimentations. Les enjeux : la notion de territoire, les stratégies d’ancrage territorial des entreprises, la coopération pour le développement territorial et les obstacles qu’elle rencontre.
« La crise Covid a malheureusement remisé cet avis dans les tiroirs », regrette Maryline Filippi, professeur d’économie à Bordeaux Sciences Agro, chercheuse associée à l’Inrae et rédactrice en chef de Recma, revue internationale de l’économie sociale, mais la Plateforme RSE va lancer un nouveau groupe de travail en 2025. Entre-temps, avec la chaire Terr’ESS de Bordeaux, sous la responsabilité de Timothée Duverger [1], la notion de RTE est réapparue. « Nous nous en sommes saisis avec la création d’un groupe de travail de huit chercheurs et l’organisation de six ateliers comptant vingt-six acteurs, dont Michelin Développement, Microsoft, Solvay, la Coopération agricole Nouvelle Aquitaine, indique Maryline Filippi, les travaux ont été menés durant l’année 2022, à l’issue de laquelle nous avons publié un ouvrage [2], un livre blanc [3] et un livret [4]. » Il en ressort que d’un point de vue conceptuel ou appliqué la notion de RTE est à considérer en tant que telle, par rapport à la RSE. Définition : « entreprendre en collectif et en responsabilité pour le bien commun » à l’échelon d’un territoire. Il s’agit pour une entreprise d’interroger les retombées de son activité sur ce territoire et de chercher à contribuer positivement à son développement. À sortir de ses frontières habituelles pour travailler avec les acteurs du territoire où elle est installée. En collaboration avec Bordeaux Sciences Agro, qui porte le projet, la chaire a déposé un programme de recherche en Nouvelle-Aquitaine, dont la mission est de comprendre comment le concept se déploie en pratique, avec quels dispositifs, quels modes de gouvernance et de relations public-privé, et de mettre en place des indicateurs.
Des entreprises de toute taille et de tous secteurs
La RTE conduit à un double changement de logique. Au-delà de la responsabilité sociale propre à une entreprise, elle privilégie le collectif : l’entreprise collabore avec l’ensemble des parties prenantes du territoire pour construire de la valeur ; elle privilégie une approche transversale. En outre, selon Maryline Filippi, à la logique de l’offre s’associe une logique de la demande : « L’entreprise regarde les besoins identifiés sur le territoire et conçoit son offre, ses solutions en fonction de ces besoins. » La chercheuse donne en exemple un « territoire zéro chômeur de longue durée » où l’on « crée du retour à l’emploi » en partant des besoins des personnes concernées « par la création d’activités utiles au territoire, grâce à la coopération entre plusieurs types d’acteurs ».
Autre exemple, les pôles territoriaux de coopération économique (PTCE), qui regroupent les acteurs d’un territoire, qu’ils soient des entreprises classiques, des entreprises de l’ESS, des collectivités publiques, des centres de recherche, des organismes de formation, qui collaborent autour d’un projet de développement durable : « Le territoire, souligne Maryline Filippi, s’entend ici non d’un territoire administratif (département, région) mais d’un territoire construit par les acteurs associés au projet, entreprises, collectivités, citoyens, clients, fournisseurs… »
Au nombre des entreprises engagées dans des projets RTE : La Poste, Microsoft, Michelin, les coopératives agricoles… Ou dans le secteur des industries agroalimentaires une société comme Jean Hénaff, qui au sein de « Bretagne Relocalisons », collectif porté par les CCI, privilégie l’achat local. Également bretonne, la société Altho (chips Brets) privilégie l’implantation locale avec une troisième usine en construction à Pontivy et des achats de pomme de terre auprès de 350 agriculteurs bretons : une logique de création de valeur territoriale, d’économie circulaire et de souveraineté économique.
Cette logique de construction partagée s’observe également dans le choix des indicateurs permettant d’évaluer l’engagement territorial d’une l’entreprise.Ils vont au-delà du nombre d’emplois ou du chiffre d’affaires réalisé sur le territoire et résultent d’une concertation avec les parties prenantes. Ce sont, indique Maryline Filippi, des indicateurs de progrès « en fonction de l’objectif que se donne la communauté » : améliorer l’emploi des jeunes ou mieux gérer la biodiversité, préserver la ressource en eau, maintenir des savoir-faire locaux, etc.
Il n’existe pas de certification « RTE », encore que certains labels régionaux s’en approchent, Alsace Excellence par exemple. La démarche n’est pas de normalisation mais d’expérimentation : établir le diagnostic des fragilités et des ressources d’un territoire, et comprendre comment ses acteurs peuvent déployer ensemble de nouvelles solutions, avec au besoin le recours à un tiers de confiance, qui peut être l’un de ces acteur « à la condition, souligne Maryline Filippi, qu’il ne détourne pas la plus-value à son avantage ».