Entreprise et territoires
Question de communs
11/12/2024
Comment a émergé le concept de RTE ?
Charles Benoit Heidsieck [1] : Il est ancien, mais il a pris corps en 2018 dans le rapport de la Plateforme RSE, qui s’était donné pour mission de mieux qualifier cette notion émergente en France. La notion de « responsabilité » fait référence aux droits et normes. Elle est à distinguer de celle d’« engagement » qui dénote un acte volontaire. Si la seconde est ancienne, et non spécifique à la France, la première est très liée à notre approche du droit : en 2001, avec la loi NRE, nous avons été les premiers Européens à vouloir réguler la soft law en l’introduisant dans le droit. Le Rameau invite donc à distinguer la responsabilité territoriale des entreprises (RTE) et leur engagement territorial (ETE) [2].
Est-ce une extension de l’aménagement du territoire ? La recherche d’un substitut à des politiques publiques défaillantes ?
C.-B. H. : Tout dépend comment et par qui la notion est appréhendée. L’étude d’impact 2018-2022 du « faire alliance en France » [3] dans treize régions métropolitaines montre qu’il s’agit avant tout d’un double enjeu : réduire les fragilités et faire émerger de nouveaux moteurs de développement socio-économiques durables. Sur ce point, les citoyens, les élus locaux et les dirigeants d’entreprises sont d’accord. Si la pratique partenariale des entreprises est passée de 36 % en 2015 à 57 % en 2021 [4], c’est justement par ce qu’il s’agit non seulement de performance, mais aussi d’innovation et de confiance. Le cahier de recherche ODD 17 : quelles trajectoires territoriales ?, publié avec l’Institut de recherche de la Caisse des dépôts[5] en octobre dernier illustre cette tendance, en analysant le double effet de taille des organisations et des territoires. Pour parler de RTE ou d’ETE, il convient de rapporter ces concepts à la réalité de terrain.
En quoi la RTE est-elle une réponse aux défis socio-écologiques, à la durabilité et une manifestation concrète de la RSE ? Que recouvre la responsabilité ?
C.-B. H. : La RTE-ETE est une approche de réconciliation de l’économie et de l’intérêt général. Le cahier de recherche de 2023 ODD 17 : Economie(s) & Territoire(s) [6] en décrit le processus. Elle se traduit par une capacité à coopérer au plus près du « premier kilomètre des besoins ». L’ETE ancre et incarne la RSE, c’est sa traduction opérationnelle, laissant chaque territoire libre de définir les priorités en fonction des besoins, mais aussi des acteurs impliqués et des actions déjà engagées. C’est l’agilité de l’action au plus près des réalités locales qui permet à la RSE de ne pas se limiter à un contrôle de cohérence, voire à un simple reporting, pour devenir un levier de pilotage stratégique des organisations publiques et privées. C’est dans le dialogue avec ses parties prenantes, et plus encore au travers d’actions collectives, là où aucun acteur ne peut répondre seul, que les concepts prennent leur sens. C’est en cela qu’ils incarnent le 17e Objectif de développement durable de l’Agenda 2030 des Nations Unies : « Partenariats pour la réalisation des objectifs » [7].
Réseau de catalyseurs territoriaux
Le concept de « bien commun » peut-il rendre compte des enjeux de la RTE ?
C.-B. H. : Il en est le cœur : la construction collective du bien commun est la réponse libre et volontaire des acteurs publics et privés au pilotage de l’intérêt général. Il appelle à l’action en commun. « Bien commun » est aussi à relier – mais pas à confondre – avec le pilotage des « communs », qui relève de la gestion – donc de la responsabilité –, et avec la capacité à définir un lien commun, qui relève de la vision.
Qu’entend-on par territoire pour une entreprise ? Quels sont ses contours, sa dimension ?
C.-B. H. : La notion de territoire est pour une entreprise liée à son périmètre d’action, autrement dit là où elle peut agir et qualifier ses effets sur son écosystème[8].
La RTE concerne- t-elle certaines entreprises plus que d’autres, selon leur secteur, leurs externalités et la plus ou moins grande densité de leur tissu économique ?
C.-B. H. : Non, elle concerne toutes les entreprises. C’est ce que montrent les études réalisées par l’Observatoire des partenariats[9] depuis 2008 ; la plateforme « Coopérer efficacement » en donne une explication et en incarne les tendances, et de nombreux exemples sont capitalisés dans la base Impact-Alliances (1 200 référencés).
Quels mécanismes de gouvernance locale peuvent favoriser la responsabilité territoriale des entreprises ? De structures ou partenariats public-privé ?
C.-B. H. : Du Conseil de développement aux clubs locaux, les pratiques sont hétérogènes. Elles ne répondent pas aux mêmes besoins, ni aux mêmes positionnements pour les entreprises. La « catalyse territoriale » est une ingénierie en émergence depuis deux décennies. Le Réseau des catalyseurs territoriaux en référence 350 en France. Ce sont des facilitateurs de relations entre collectivités, entreprises et associations locales. Les mécanismes de gouvernance locale sont nombreux. Notre plateforme « L’innovation territoriale en actions » en illustre la diversité.
Tous secteurs susceptibles de coopérer
Une entreprise peut-elle s’impliquer au titre de sa RTE dans plusieurs territoires liés à sa chaîne de valeur ?
C.-B. H. : Naturellement, et c’est cette diversité – adaptée aux réalités de terrain – qui invite à parler d’engagement plutôt que de responsabilité territoriale. Si le cap et le cadre peuvent être communs à plusieurs territoires, du fait d’une responsabilité reconnue et valorisée, l’application est nécessairement fonction du « premier kilomètre des besoins ».
Avez-vous des exemples source d’inspiration dans l’univers des PGC ?
C.-B. H. : Je vous invite à consulter la base Impact-Alliances, qui regorge d’exemples, dans tous les domaines et sur tous les territoires. Que ce soit des entreprises des PGC ou de distribution, de plus en plus de démarches sont territorialisées. Côté distribution, l’exemple du Collectif Génération responsable est intéressant. Il mobilise les enseignes dans une RSE de plus en plus incarnée. Côté production, citons le laboratoire Body Nature, qui incarne dans les Deux-Sèvres la capacité des entreprises à être force d’entraînement pour leur territoire. Cette entreprise de produits d’entretien et de cosmétique sûrs pour l’homme et l’environnement, vendus à domicile par un réseau de 1 400 conseillères distributrices, propose aux groupes qui séjournent dans la région de visiter so.n usine et son site naturel : guidés par un salarié de l’entreprise, les visiteurs découvrent les étapes de la production, la culture de la vigne en biodynamie et les sources d’énergies renouvelables utilisées sur le site. Et Body Nature ouvre ses portes à des activités autour du bien-être et de la biodiversité. Autre exemple dans les Deux-Sèvres : la crèche Les Petits Chênes, qui a ouvert ses portes en 2023 dans la zone Alphaparc à Bressuire : crèche bilingue, bâtiment écoconçu, elle est due à quatre sociétés du territoire de Bessuire : laboratoire Science et Nature, meubles Celio, portes et fenêtres Millet et jouets Wesco.
La RTE a-t-elle été jusque-là une dimension négligée de la RSE parce qu’elle n’a pas un retentissement national ou global ? Que son champ d’action est trop loin ou trop bas pour les états-majors ?
C.-B. H. : La RTE-ETE est le côté applicatif de la RSE. En France, on préfère la norme à l’action, mais l’enracinement est la condition sine qua non des transitions. Les états-majors en mesurent de plus en plus la valeur. N’opposons pas nos systèmes de gestion, qui nécessitent un cap et un cadre communs, avec la valorisation de l’agilité dans l’action au plus près des réalités locales.