Politique de l’offre - Numéro 467
25/09/2017
Indépendants, franchisés, intégrés : le statut juridique des distributeurs affecte-il en tant que tel leur rentabilité ? Et aujourd’hui plus ou moins qu’hier ?
Cédric Ducrocq : Oui et non, ce qui détermine avant tout la rentabilité, c’est le chiffre d’affaires au mètre carré, l’efficacité achat-approvisionnement et la lutte contre l’embourgeoisement. Le statut affecte plutôt le rapport à la rentabilité : le groupe coté raisonne à six mois ; l’indépendant crée sa valeur en développant son activité, plus que par les dividendes à la fin de l’année.
La taille des magasins est-elle un facteur fondamental de la rentabilité ?
C. D. : Si vous n’avez pas le juste format de magasin au regard de l’emplacement, oubliez la rentabilité, que vous soyez trop grand ou trop petit. Cela posé, il y a des magasins très rentables de 100 à 10 000 m2. Au-dessus, en revanche, cela va être de plus en plus compliqué, même si les très grands hypermarchés historiques se montrent très résilients.
Vaut-il mieux être spécialiste d’un format de magasin ou miser sur plusieurs ? Aujourd’hui plus ou moins qu’hier ?
C. D. : Il y a une espèce de pensée unique en faveur du multiformat depuis dix ans. Ce n’est pas une fatalité. Les enseignes Mercadona, Esselunga ou Colruyt le montrent assez. Simplement, à partir de 15 % de part de marché environ, dans un pays qui est déjà bien équipé, il devient difficile à un distributeur de poursuivre sa croissance en restant monoformat.
Les entreprises de distribution à capitaux familiaux ont-elles plus ou moins qu’hier une certaine prédisposition à la performance ?
C. D. : À l’évidence, en France, les indépendants restent le modèle le plus dynamique. En revanche, on ne peut pas dire que Cora ou Auchan réussissent mieux que Carrefour ou Casino : c’est donc moins le caractère familial du capital qui compte que le mode de management des équipes et la capacité à fabriquer de l’énergie.
Tous les distributeurs indépendants ont-ils le même type de stratégie ? Ou y a t-il un modèle Leclerc ? Un modèle Intermarché ? Un modèle Système U ?
C. D. : Historiquement, les modèles étaient très différents, voire antagonistes. Ils tendent à se rapprocher, en combinant une puissance nationale très grande avec la dynamique locale. Toutefois, il reste des écarts entre les trois modèles sur le plan culturel et sur le plan des fonctionnements concrets.
Quels ont été les effets propres de l’évolution de la législation commerciale, depuis le début des années 2000, sur la rentabilité des distributeurs ? Certains modèles d’entreprises ou formats de magasins en ont-ils plus ou moins pâti ou profité ?
C. D. : La moindre régulation des prix et une certaine permissivité sur les créations de moyennes surfaces ont intensifié la concurrence, ce qui favorise toujours les plus performants, aux dépens des moins en forme. Globalement, ceux qui avaient moins de gras s’en sont mieux sortis. Mais tout le monde a été sous pression.
N’y aurait-il pas sur la rentabilité des magasins un impact démesuré des loyers immobiliers ?
C. D. : Les loyers sont un problème immense en non-alimentaire, pour les enseignes spécialisées. En alimentaire, il me semble moins dramatique, d’autant que beaucoup de distributeurs sont propriétaires de leurs murs. Et en zone urbaine, certes c’est coûteux, mais les prix et les rendements compensent largement ce problème. Cela étant, si les trafics et les rendements continuent de s’effriter, les loyers actuels finiront évidemment par devenir insoutenables.
Le modèle de distribution français (faible capitalisation et endettement élevé) s’oppose-t-il toujours au modèle anglais (politique de marge) ?
C. D. : C’est beaucoup moins vrai que par la passé. Les besoins en fonds de roulement négatifs dus aux crédits fournisseurs longs ont favorisé la montée en puissance des indépendants pendant des décennies, mais aujourd’hui le métier est devenu assez intensif en capital, y compris pour eux.
Lorsqu’un distributeur dit souhaiter privilégier la qualité de l’offre plus que le prix, est-ce un vœu pieu au regard des conditions de la rentabilité ?
C. D. : Être mass market, ça consiste toujours à vouloir offrir une bonne qualité à un pris très bas. Il n’y a aucun contre-exemple durable. Tous les distributeurs mettent la pression sur les prix d’achat, et ils ont raison. Tous les industriels plaident pour la qualité des produits, et on les comprend. En alimentaire, la France a plutôt trouvé un équilibre depuis dix ans, avec une valorisation de l’alimentation autour du frais, de la nutrition, de la sensorialité, de l’hyperlocal, qui est une belle réussite collective. Je n’en dirais pas autant du non-alimentaire… Mais ce sont les ménages qui font leurs arbitrages prix et budgets, plus que les distributeurs.
Les conditions sont-elles aujourd’hui réunies pour que des marques fortes contribuent à la rentabilité des enseignes ?
C. D. : Les marques fortes développent le marché, créent le désir, dynamisent les catégories. Elles ont toujours contribué à la rentabilité. Si la question est : l’espace marchand doit-il être subventionné par les marques pour qu’elles y expriment leurs univers de manière contrôlée, alors ma réponse est définitivement non. Pour une enseigne, faire ça, c’est une stratégie de faible.
Les modèles de distribution assis sur des plateformes numériques sont-ils plus rentables que la distribution traditionnelle ?
C. D. : Ils créent plus de valeur pour leurs actionnaires, par leur croissance et leurs cours de bourse. Donc d’une certaine manière, oui. Bien entendu, ils sont peu ou ne sont pas rentables en exploitation… mais quelle entreprise qui investit aussi massivement et fait 25 % de croissance tous les ans est rentable ?
Politique de marge ou de rotation des volumes, y a-t-il une option qui contribue plus efficacement que l’autre à l’enrichissement des distributeurs ? Cela dépend-il de la cohérence de chaque modèle ?
C. D. : Le mass market ne peut pas s’éloigner du volume. Il y a de grosses niches rentables pour des enseignes différenciées, comme Monoprix ou Wholefoods, mais ça ne peut pas devenir le modèle dominant.
Le supermarché qui ne gagne pas grand-chose avec l’alimentaire ou le DPH mais gagne surtout par sa station d’essence : caricature ou réalité ?
C. D. : Totale caricature, l’essence est le produit d’appel par excellence, donc avec de toutes petites marges.
Comment expliquer le retournement du commerce de proximité, déconsidéré il y a vingt ans et aujourd’hui relais de rentabilité majeur ?
C. D. : La France a connu jusqu’à il y a dix ans un commerce de proximité médiocre et ringard. Grâce à Monop’ puis à Carrefour City, le segment a été redynamisé. Franprix a montré brillamment que quand on transforme de vieux magasins un peu moches et sans attrait en magasins modernes, chaleureux et pratiques, ça marche mieux. Le retour en grâce de la proximité résulte d’un effet d’offre, plus que d’un effet de demande. Cela dit, le corollaire de l’érosion des grands hypermarchés, c’est le succès des petits formats.
Quelles sont les différences fondamentales qui caractérisent les modèles respectifs de l’industrie et de la distribution et les sources de création de valeur ?
C. D. : La majorité des industriels sont obsédés par la création de valeur ajoutée additionnelle, pour échapper à la dictature des coûts. Je les comprends, le piège étant de croire que le marketing sert à justifier les hausses de prix. Les distributeurs en revanche sont des obsédés du volume. Ils ont raison, le piège étant de croire que ça permet de s’exonérer de la double exigence de l’expertise des produits et de l’orientation des clients.