Lieux de valorisation difficile - Numéro 483
30/08/2019
Pour les mêmes catégories de PGC non alimentaires, les niveaux de prix sont-ils équivalents en grandes surfaces à dominante alimentaire (GSA) et en grandes surfaces spécialisées (GSS)
Cédric Ducrocq : C’est très variable selon les catégories. En jouets par exemple, les grandes et moyennes surfaces à dominante alimentaire sont moins chères. En textile ou en bazar, les spécialistes sont plutôt mieux placés… De manière générale, à référence identique les GSA sont très compétitives, mais les GSS ont souvent des entrées de gammes avec des rapports qualité-prix meilleurs, par exemple en textile ou en bazar.
Les plateformes d’e-commerce tendent-elles à valoriser les catégories non alimentaires, et lesquelles : entretien, hygiène-beauté, bazar ? Ou y exacerbent-elles au contraire la concurrence par les prix ?
C. D. : L’e-commerce améliore la praticité de l’achat, l’accessibilité, mais on ne peut pas dire qu’il valorise la catégorie. Son effet sur les prix est très variable : sur certains marchés, comme le jouet, Amazon tire clairement les prix à la baisse. Sur le petit bazar, a contrario, l’e-commerce est peu compétitif, car les coûts de livraison sont élevés par rapport au prix des produits.
Côté valorisation, dans quelle mesure l’e-commerce favorise-t-il en non-alimentaire des offres spécifiques (du type détergents secs, plus faciles à vendre en ligne…) Et les PGC non alimentaires ont-ils un rôle déclinant dans la concurrence entre enseignes de GSA du fait de restrictions d’assortiments ?
C. D. : La beauté est un enjeu crucial pour les grandes surfaces à dominante alimentaire, et aucun changement de réglementation ne changera cela : c’est l’une des catégories les plus rentables, et l’une de celles où le magasin justifie son rôle, face aux drives. Et c’est aussi, de manière intéressante, l’une des catégories où aucune enseigne n’a vraiment réussi à faire la différence, malgré les très nombreux projets destinés à la réinventer. Dans le reste du non-alimentaire, les hyper et supermarchés sacrifient les rayons de spécialités, les achats à forte implication comme les produits techniques ou la mode, bien plus que les produits d’achat rapide, comme le petit bazar, le jouet de Noël ou les sous-vêtements.
Leclerc est-il le seul en GSA à avoir réussi dans le rayon biens culturels ?
C. D. : La culture est un marché en déclin, et les hypermarchés détestent les marchés en déclin. E.Leclerc est le seul à avoir tenu une ambition constante et forte sur le livre, pour des raisons autant philosophiques que commerciales : cela concourt à la construction d’un contenu de marque qui dépasse l’épicier discount. Les autres enseignes ont été plus ambivalentes avec ce rayon, et cela a peu de chances de changer.
On apprenait en mars dernier qu’une dizaine de magasins Castorama ou Home Dépôt, du groupe Kingfisher, allaient fermer cette année en France. Symptôme d’une crise du bricolage ou rationalisation d’un parc surdimensionné ? Faut-il faire un parallèle avec ce qu’ont connu les GSS du jouet ?
C. D. : Rien à voir avec le jouet, où il y a 30 % de surface en trop puisque l’e-commerce a pris 30 % du marché en quelques années, sans compter l’énorme pression qu’Amazon met sur les prix. En bricolage, le poids de l’e-commerce reste modeste. Les difficultés de Kingfisher sont propres à Kingfisher… et largement dues à la pression d’Adeo, qui domine le marché avec une stratégie remarquable. Cela étant, il est vrai que la concurrence se durcit, avec des baisses de prix sur les produits sous la pression des e-commerçants, Amazon, Manomano, qui incite les enseignes à s’orienter vers la fourniture de réponses à des « projets » de leurs clients, plutôt que de se cantonner à la vente de produits, mais c’est difficile à réaliser, et coûteux en hommes et en services.
Le non-alimentaire gagnerait-il à voir les hypers adopter pour lui une stratégie de « magasins dans le magasin » sur le modèle de Darty chez Carrefour ? Ou de « corners » de marques ?
C. D. : Les corners d’enseigne sont intéressants pour les consommateurs, mais difficiles en termes de rentabilité, de partage de la valeur. C’est le contraire pour les corners de marque : parfois rentables, mais moins pertinents du point de vue des clients, sauf exception. Si j’étais une marque, je pousserais fort dans cette direction. Si j’étais une enseigne, je serais a priori réservé, sauf dans des activités périphériques.
On parle beaucoup de nouvelles attentes plus responsables des consommateurs dans l’alimentaire (bio, local, etc.) les attentes « responsables » sont-elles aussi fortes avec les produits d’entretien, les cosmétiques, le bricolage ?
C. D. : Le changement des comportements en alimentaire dans les dernières années a été rapide, profond et durable. C’est impressionnant. On n’en est pas là en non-alimentaire, parce que les motivations altruistes (protéger la planète) n’y sont pas autant doublées de motivations égoïstes (protéger ma santé). Je m’attends à une évolution forte en cosmétiques à très court terme, qui va bousculer de nombreuses marques et redistribuer les cartes, avec un vrai risque de déconsommation si la filière ne se met pas très vite en question. Sur les autres marchés, ce sera plus lent… mais ça viendra.
Propos recueillis par J. W.-A.