Bacardi, un cocktail formateur
10/04/2020
Engagé depuis 2010 dans un programme de promotion des femmes dans l’entreprise, Bacardi élargit l’approche avec le programme “Global reflections 4G”, et propose depuis deux ans avec “Shake your future” une formation professionnelle de barman à de jeunes adultes sans emploi. Aude-Marie Cartron et Nicolas Mazuranic ont exposé la politique de Bacardi pour l’insertion sociale au cours d’une matinée à l’Ilec le 13 mars 2020.
La diversité est associée à l’histoire de Bacardi et à celle de Martini, ainsi qu’à leur stratégie, depuis leur origine. « Le groupe Bacardi-Martini réunit depuis 1992 deux familles qui partagent les mêmes valeurs de souci de la différence et des personnalités, confie Aude-Marie Cartron, directeur juridique de Bacardi-Martini France pour l’Europe du Sud. C’est ancré dans notre mode de travail. » Illustration avec les implications du groupe dans le corporate social responsibility (CSR) et le programme “Good Spirited Environnemental Sustainability Initiative” depuis 2014. « Chaque salarié peut consacrer une journée à une action de solidarité avec l’association de son choix. » Il manquait une présence féminine forte au niveau du haut management. « Il est vrai que le monde des spiritueux est masculin dans l’imaginaire », observe Aude-Marie Cartron. La décision fut prise il y a dix ans de lancer le programme “Woman in leadership” (WIL) au niveau mondial, pour favoriser l’évolution des femmes en interne : « Certaines ont été nommées à des postes de direction, dont, il y a cinq ans, une des premières femmes de l’industrie des spiritueux à la tête d’une société de production de vodka, à Gensac, indique Aude-Marie Cartron. Dix ans après, le groupe Bacardi compte dans le monde 40 % de femmes aux postes de cadres et de management, et des plans de développement leur sont destinés avec la volonté de les nommer à des postes de direction. »
Diversité holistique
Ce type d’action, le groupe a décidé il y a quatre ans de l’étendre aux dimensions ethnique, culturelle et générationnelle, pour un objectif de croissance. La réflexion a débouché sur le programme européen “Global Reflections 4G” (« gender, generation, geography for growth »), avec pour premier moteur la France. Croissance, car, s’appuyant sur une étude McKinsey consacrée à la relation entre diversité et croissance, Aude-Marie Cartron souligne qu’« une entreprise qui a mis en place des programmes de pluralité ethnique, culturelle, générationnelle et de genre présente de meilleures performances de croissance comme de valeur ajoutée ; c’est un facteur de recrutement qui permet non seulement d’attirer mais de retenir des talents ; un sujet sociétal crucial pour chacun de nous, pour les candidats, pour les collaborateurs ».
L’index professionnel du groupe donne les pourcentages suivants : 46 % de femmes et 54 % d’hommes, 87 % de femmes dans le marketing, 36 % dans le commercial, 37 % dans le management et 31 % dans le haut management. « Pourquoi peu d’hommes dans le marketing et peu de femmes dans le commercial ? Ne passe-t-on pas à côté de talents », s’interroge Aude-Marie Cartron. Pour réduire ce différentiel, le groupe a décidé en mars 2020 d’avoir un homme et une femme pour chaque candidature. Et la France va plus loin depuis 2019 avec cinq piliers : genre, génération, géographie, handicap, LGBT. Et le groupe a noué un partenariat avec Nos Quartiers ont du talent, une association qui aide les personnes diplômées de ZEP à trouver un emploi. « Des hommes et des femmes de Bacardi, parrains ou marraines de ces jeunes, les conseillent dans la rédaction de leur CV, organisent des simulations d’entretien… »
De chômeur à barman
Certains projets demandent de murir longtemps, d’autres se perdent dans les strates administratives et ne voient jamais le jour. Tout autre est “Shake your future” : « Il est né en 2018 au cours d’une réunion où nous étions deux cents à Athènes, raconte Nicolas Mazuranic, directeur marketing de Bacardi France, Italie, Grèce. Je leur ai soumis une idée un peu innocente : d’un côté, nous avons un chômage massif chez les jeunes dans les zones dites sensibles, d’un autre émerge la consommation de cocktails qui demande du personnel qualifié qu’on ne trouve pas. Pourquoi ne pas créer un programme de formation pour de jeunes adultes sans emploi qui cherchent une vocation, dans la meilleure école de bartending ? »
Le chief marketing officer lui donne immédiatement le feu vert. Un mois plus tard le projet est sur les rails : contenu, mode de recrutement, choix de la formation. Le tout concocté par l’équipe Advocacy de Bacardi, pour proposer les jeunes ainsi formés aux bars partenaires de la marque.
Cette initiative s’inscrit dans la culture de la société. D’origine espagnole, la famille Bacardi a émigré pour Cuba puis Porto-Rico, chassée par la révolution castriste. « Cette histoire faite de déplacements, de voyages et de diversité a apporté de la richesse au groupe, souligne Nicolas Mazuranic. En 1924, la Prohibition a conduit les Américains à fréquenter les bars à Cuba. Ceux-ci ont dû trouver du personnel avec des compétences nouvelles pour créer des cocktails comme aux États-Unis. Bacardi a financé la première association de bartenders professionnels au monde ; elle avait pour vocation d’aider les nouveaux immigrants, de leur donner des cours d’anglais, de mixologie. Déjà la volonté d’aider la communauté. »
Investissement gagnant
Aujourd’hui, les futurs bartenders issus de la diversité sont formés gratuitement par l’European Bartender School, la meilleure école mondiale de barmans (vingt-cinq établissements sur cinq continents, huit mille étudiants formés chaque année), créée en 1999. En France, elle est implantée près de Paris, à Montreuil. « Le groupe a été aidé par Pôle emploi et Nos Quartiers ont du talent pour trouver des candidats animés d’une vraie vocation », précise Nicolas Mazuranic. Ils doivent répondre à cinq critères : entre dix-huit et trente ans, issus de la banlieue parisienne, sans emploi, disponibles le temps de la formation et très intéressés par l’univers du cocktail.
Lancée il y a deux ans, la première session du programme a formé sept diplômés, une deuxième session, seize en 2019. Une troisième est ouverte dans trois pays, dont l’Espagne (Barcelone) et l’Italie (Rome) avec un objectif de quarante diplômés. Ambition pour 2023 : douze villes et mille diplômés. « Chaque jeune a un parrain ou une marraine durant la formation, qui dure dix semaines, explique Nicolas Mazuranic : quatre de formation technique sur l’art du cocktail et la mixologie, quatre de stage dans les meilleurs bars à cocktail de Paris et deux de formation pour finaliser les compétences. »
“Shake Your Future” n’est pas rattaché à une seule marque, mais à un portefeuille de marques (le groupe possède les marques Bacardi, Martini, Grey Goose ou Bombay Sapphire). Le retour sur investissement est double. Interne : les salariés se mobilisent pour le projet. Externe : le groupe professionnalise le métier en formant une génération de barmans, qui, placés chez ses clients, apportent une valeur ajoutée et renforcent sa réputation d’entreprise solidaire. Une réputation couronnée par le « Prix de la diversité et de l’inclusion » qui lui a été décerné en 2019 par le « Top 10 des recruteurs de la diversité » conçu par Mozaïk RH.
Jean Watin-Augouard