Exigeante transparence de la beauté
22/03/2022
Plus d’un foyer sur deux utiliserait une application mobile pour les courses du quotidien ; depuis quand ces pratiques des consommateurs sont-elles devenues un enjeu majeur pour le secteur cosmétique ?
Emmanuel Guichard : Les consommateurs expriment depuis plusieurs années un besoin de transparence sur les produits de leur quotidien. Il s’est exprimé d’abord dans le secteur alimentaire puis s’est progressivement étendu à tous les produits de grande consommation, comme les produits d’entretien et effectivement les cosmétiques.
Ce besoin de transparence est à la fois légitime et croissant ; il est, à l’évidence, de la responsabilité des entreprises d’y répondre en apportant une information juste et fiable. D’autres acteurs jouent leur rôle dans cette recherche de transparence, comme les associations de consommateurs, les ONG et les médias. Et d’autres se sont créés de manière ad hoc, spécifiquement pour apporter une information aux consommateurs ; c’est le cas des applications mobiles.
Ces outils sont bienvenus, car ils apportent une technologie en phase avec les nouvelles habitudes de consommation, ce qui explique leur succès. En cosmétique, les applications mobiles présentent un intérêt indéniable pour éclairer le consommateur sur la composition des produits ou le sens des allégations. Les produits cosmétiques font l’objet d’une réglementation stricte, qui se traduit par de nombreuses obligations, notamment d’étiquetage, pas toujours compréhensibles pour le consommateur. Tout ce qui participe à la pédagogie est bienvenu.
En revanche, ces acteurs se présentent comme des tiers de confiance : c’est là le point de vigilance. Personne ne peut s’arroger le monopole de la transparence : ni les entreprises qui fabriquent les produits, ni les acteurs qui les évaluent, à plus forte raison s’il s’agit d’entreprises privées.
Réponse collective par une appli mobile
Et pour y répondre, quelles initiatives ont été prises par le secteur cosmétique et vos adhérents ?
E. G. : Face au besoin de transparence des consommateurs, les entreprises cosmétiques se sont engagées individuellement, depuis plusieurs années, pour renforcer l’information sur la composition de leurs produits en développant différents types de solutions. Compte-tenu de l’importance de l’enjeu de la transparence, il était également nécessaire que le secteur apporte une réponse collective. C’est pourquoi, en novembre 2020, la Fébea a lancé l’application mobile Claire, en partenariat avec la Société française de cosmétologie [1].
Claire décrypte plus de vingt-sept mille ingrédients présents dans les produits cosmétiques. Elle propose aux consommateurs deux types de fonctions : un moteur de recherche qui permet d’accéder directement à des fiches spécifiques sur chaque ingrédient, et un scannage de la liste des ingrédients présente sur l’emballage. Grâce à ce système, l’application permet d’expliquer à quoi sert chaque ingrédient, quelle est son origine, et, quand il s’agit d’un ingrédient réputé controversé, pourquoi il fait débat et ce qu’en disent les études scientifiques disponibles et la réglementation. L’application fournit ainsi aux consommateurs une information fiable et précise, élaborée par des scientifiques spécialistes des ingrédients cosmétiques, qui suivent chaque jour les évolutions de la réglementation.
Les produits cosmétiques sont-ils décrits et notés de façon homogène par les diverses applications ?
E. G. : Aujourd’hui, les informations mises à disposition des consommateurs par les applications mobiles ne sont absolument pas homogènes. C’est le signe que ces applications sont le relais d’opinions et de partis-pris, et qu’elles ne fournissent pas des informations objectives, à plus forte raison lorsqu’elles notent les produits. Elles fonctionnent sur la base d’algorithmes, souvent peu transparents : qui dit algorithme, dit opinion. Or ce n’est pas ainsi qu’elles se présentent aux consommateurs. La meilleure preuve, c’est qu’un même produit est noté différemment en fonction de l’application utilisée. Difficile pour les consommateurs de s’y retrouver !
Évaluation plus complexe que dans l’alimentaire
C’est pour cela que nous avons souhaité que l’application Claire ne donne pas une note « bonne » ou « mauvaise » aux produits, ni ne les classifie. Elle vise uniquement à apporter aux consommateurs les éléments d’information nécessaires pour leur permettre de faire un choix éclairé, sans dicter des comportements d’achat.
Avez-vous constaté des erreurs de données dans certaines applications ? Les données qui s’y trouvent sont-elles suffisamment fiables et mises à jour ?
E. G. : Nous nous sommes effectivement aperçus à plusieurs reprises que les données sur lesquelles s’appuient certaines applications mobiles ne sont pas suffisamment précises ou actualisées, alors qu’elles se présentent souvent comme scientifiquement documentées. Elles indiquent des sources scientifiques, mais leur avis n’est pas conforme à ces sources…
Pour comprendre la réglementation des ingrédients cosmétiques, une expertise scientifique est indispensable. Prenons une crème antirides, dont la formulation repose sur une architecture d’ingrédients complexe : comment l’évaluer de même qu’on évalue l’apport nutritionnel d’un biscuit ou d’un fromage ? Cela n’a aucun sens. La réglementation européenne à laquelle sont soumis les produits cosmétiques évolue en permanence avec les connaissances scientifiques. Cela explique entre autres pourquoi elle est reconnue comme la plus rigoureuse du monde. Il faut suivre ces évolutions, les comprendre et être capable de les restituer.
Pour toutes ces raisons, nous avions appelé l’administration à se saisir du sujet. Une enquête de la DGCCRF visant à analyser l’indépendance, la fiabilité et l’objectivité des applications est en cours, nous attendons ses résultats. Nous participerons également dans les prochains mois aux travaux du Conseil national de la consommation (CNC), qui permettront d’élaborer des recommandations à l’attention des acteurs économiques et des consommateurs.
Au-delà des exigences légales
Et l’information environnementale ? La loi Climat [2] a prévu une phase d’expérimentation avec étude de faisabilité et évaluation socio-économique des dispositifs d’information ; comment les initiatives des entreprises s’articulent-elles avec ce cadre légal ?
E. G. : Le dispositif d’affichage environnemental prévu par la loi Climat et Résilience ne concerne pas, à ce stade, les produits cosmétiques. Pour autant, et bien qu’elles n’y soient pas contraintes par la loi, les entreprises du secteur ont décidé d’avancer sur ce sujet. Certaines se sont d’ailleurs réunies dans le consortium de l’Eco Beauty Score, lancé en novembre 2021. Aujourd’hui, une trentaine d’acteurs du secteur de la beauté ont rejoint cette initiative, dont la Fébea. L’objectif de ce consortium est d’aboutir, fin 2022, à une méthode commune pour mesurer l’impact environnemental des cosmétiques. D’autres initiatives existent, illustrations de l’engagement des entreprises sur le sujet.
L’objectif peut-il être d’aboutir à l’équivalent, pour les cosmétiques, de la plateforme Numalim-Universalim ?
E. G. : Ce qui a été fait au cours des dernières années par le secteur de l’alimentaire, notamment avec Numalim-Universalim, est effectivement exemplaire. Cette plateforme permet de répondre aux enjeux de fiabilité, d’exhaustivité et d’accessibilité des données, enjeux partagés par le non-alimentaire, et notamment par le secteur cosmétique. Cette initiative montre aussi que le renforcement de la transparence ne pourra se faire sans les entreprises. Néanmoins, la mise en place de tels outils numériques ne pourra se faire sans un accompagnement des TPE et PME, qui représentent près de 80 % des entreprises du secteur de la cosmétique, vers la transition numérique.