Information sur les produits, pistes sénatoriales
27/09/2022
La commission des Affaires économiques du Sénat a adopté le 29 juin un rapport sur l’information du consommateur, qui traite en particulier des applications de notation, des labels, du Nutri-Score, de l’accessibilité de l’information, de sa fiabilité et de sa simplification. Pouvez-vous en rappeler le contexte, au vu des travaux menés par ailleurs (DGCCRF, Conseil national de la consommation…), et l’objectif ?
Françoise Férat : Les consommateurs disposent d’un nombre élevé d’informations pour faire leurs choix, qu’elles soient obligatoires ou facultatives, et pour orienter leurs achats vers des produits plus vertueux. Pour autant, nombre d’entre eux s’avouent perplexes, sinon défiants, face à cette multitude d’informations, qui manquent de lisibilité, de clarté. Nous avons donc souhaité proposer des pistes pour simplifier et améliorer la qualité des informations disponibles. Ces travaux peuvent enrichir ceux conduits par exemple par la DGCCRF.
Quelles sont les principales recommandations de votre rapport ?
F. F. : Parmi les dix-sept recommandations, très diverses, les plus importantes sont celles, précises, qui concernent l’encadrement des applications de notation, l’affichage de l’origine des denrées alimentaires, et le déploiement du Nutri-Score au niveau européen, mais également les effectifs de la DGCCRF, les pratiques commerciales trompeuses, ou le crédit des labels.
Quelles sont les instances auditionnées ? Qu’en est-il du CNC ?
F. F. : Nous avons auditionné trente-neuf organismes : ministères, fédérations professionnelles, professeurs et experts, associations de consommateurs, Commission européenne, entreprises, syndicats agricoles, etc. La liste complète figure à la fin du rapport. Nous n’avons pas entendu le CNC en tant que tel, dans la mesure où nous avons auditionné nombre des organismes qui le composent.
Certifier les noteurs
Pourquoi une certification officielle des applications par la voie législative, et par qui pourrait-elle être délivrée ?
F. F. : Les applications de notation et d’évaluation des produits jouent un rôle déterminant, positif dans la grande majorité des cas, pour orienter les consommateurs vers des produits meilleurs pour la santé et pour l’environnement. Elles ont su s’attirer la confiance de près d’un quart des consommateurs, et ont acquis un fort pouvoir prescriptif, plus de neuf utilisateurs sur dix modifiant leurs habitudes de consommation en fonction des notes attribuées. Il en résulte une influence significative sur l’activité des producteurs et transformateurs, mais aussi sur la sécurité des consommateurs, par exemple en matière alimentaire ou cosmétique. C’est pourquoi ces applications se doivent d’être irréprochables, tant par la fiabilité des données utilisées que par la pertinence scientifique des méthodes de notation.
Avez-vous eu des échanges avec elles sur cette proposition de certification ? Qu’en pensent-elles ?
F. F. : La certification que nous appelons de nos vœux dans le rapport est « gagnant-gagnant », car elle permet d’un côté de pacifier les relations de ces applications avec les producteurs, et de l’autre, pour celles qui remplissent les critères, de disposer d’arguments supplémentaires pour attirer les consommateurs. En séparant le bon grain de l’ivraie et en incitant les applications à améliorer leurs outils en continu, cette certification leur apporterait par la même occasion une reconnaissance juridique.
Les acteurs attendent depuis plusieurs années des lignes directrices que la DGCCRF était censée publier pour encadrer les pratiques des applications. Ce point a-t-il été évoqué lors de l’audition de la DGCCRF ?
F. F. : Il existe en effet une attente forte, de la part des professionnels et des consommateurs. Avec mes corapporteurs Fabien Gay (SRC, Seine-Saint-Denis) et Florence Blatrix Contat (SER, Ain) nous avons soulevé la question lors de l’audition de la DGCCRF. Elle n’a malheureusement pas été en mesure de répondre à toutes nos questions, sa réflexion ayant été retardée par la crise sanitaire. La DGCCRF assure le secrétariat d’un groupe de travail du Conseil national de la consommation, qui ne va commencer ses travaux que cet automne. Il va de soi que nos recommandations de bonnes pratiques pourront servir de base de travail et d’inspiration pour ces travaux : meilleure valorisation des labels sérieux, présentation des sources scientifiques et controverses afférentes, notation transparente évitant de mêler des dimensions hétérogènes…
Préciser le critère valant origine
Dans le même esprit, vous prônez une obligation légale pour les labels de publier leur cahier des charges. Où une telle information pourrait-elle être utilement disponible pour les consommateurs ?
F. F. : A minima, ces cahiers des charges devraient être disponibles en ligne, et c’est l’un des axes de notre rapport que de s’appuyer sur l’essor des outils numériques pour concilier l’exhaustivité de l’information (en ligne) et sa concision, donc son impact (sur le lieu de vente). Nous avons réfléchi à une mise à disposition obligatoire sur les points de vente, sinon dans les rayons à tout le moins à l’accueil des magasins. Cependant, nous avons mesuré que les cahiers des charges sont souvent très techniques donc très longs. Avec internet, les consommateurs, qui passent le moins de temps possible à faire leurs courses, pourront se documenter en dehors de ce temps.
En recommandant une « obligation pour les fabricants de transmettre les données produits à une base unique », pensez-vous, du moins pour l’alimentaire, à la plateforme Numalim, soutenue par les pouvoirs publics mais aujourd’hui optionnelle ?
F. F. : Qu’importe la plateforme, pourvu qu’il y ait la donnée ! Le législateur devra poser le principe de la disponibilité et de la fiabilité de l’information, mais ce sera bien à l’État de décider du support qui paraîtra le plus pertinent. Il nous a semblé important dans ce rapport de capitaliser sur les initiatives existantes, qu’elles émanent de la puissance publique ou du secteur privé, associatif ou entrepreneurial. La plateforme Numalim procède en effet d’une intention intéressante, mais en raison de son caractère facultatif elle référence finalement un nombre réduit de produits (quelques milliers) comparé à d’autres initiatives, comme Open Food Facts (près d’un million) [1].
Comment en pratique « compléter l’affichage de l’origine des produits non alimentaires », et jusqu’où pour les rapporteur du Sénat s’étend cette notion de « produits non alimentaires » : du flacon de shampoing à l’automobile ?
F. F. : Cette recommandation part du constat qu’aujourd’hui les mots « origine France » ou « Made in France » n’informent que très peu le consommateur quant à l’origine exacte du produit, lorsque sa fabrication a impliqué plusieurs pays. Il suffit que la dernière transformation substantielle ait été faite en France pour que cette mention puisse être apposée… Sans qu’il soit précisé ce que veut dire « substantiel » ! Nous proposons donc que l’étape « substantielle », qui octroie au produit son « origine France », soit précisément indiquée sur le produit. La liste des produits concernés pourrait être définie par le CNC, ou par décret.
Composer avec la fracture numérique
Par quels moyens « encourager la dématérialisation des informations par QR-code », que vous attendez de l’initiative privée ?
F. F. : Nous ne pouvons pas forcer un fabricant à apposer un QR-code sur son produit et à y intégrer des informations facultatives. C’est un appel, une prise de position : tous nos travaux nous ont conduits à constater l’utilité de cette dématérialisation. Elle permettra d’alléger les informations sur les emballages, mais surtout une personnalisation des informations, selon le profil du consommateur. En outre, ce sera un outil puissant de concurrence entre fabricants, puisqu’il y aura une forme de prime à celui qui apportera les informations les plus qualitatives, les plus utiles, les plus fiables.
Voyez-vous une contradiction entre la recommandation de « rendre plus accessibles dans les lieux de vente certaines informations dématérialisées » et celle sur le rôle grandissant attendu du QR-code ?
F. F. : Non. Nous avons bien conscience que tous les consommateurs ne manient pas les outils numériques avec aisance. La fracture numérique existe, elle est documentée, il est donc nécessaire de prévoir un système où ceux qui n’utilisent pas de smartphone peuvent tout de même avoir, directement en magasin, accès à certaines informations. Les deux recommandations sont donc complémentaires : QR-code et dématérialisation, qui seront utiles à la majorité des consommateurs, et informations en magasin pour ceux qui auraient plus de peine avec ces outils.
L’Ilec mène des pilotes sur la vente en vrac et est intéressé par votre recommandation touchant l’information sur le lieu de vente pour le vrac : quelle forme et quels supports recommanderiez-vous ?
F. F. : Trop peu d’informations sont apportées aux consommateurs à proximité des lieux de vente en vrac, alors que certaines sont très utiles : la mention de la DLC, du mode d’emploi, des éléments d’identification des produits (le numéro de lot par exemple). Elles pourraient être apposées par voie d’affichettes, ou sur de petits écrans numériques (ce qui faciliterait leur actualisation fréquente). Plus tard, elles pourront figurer aussi dans des QR-codes, à tout le moins pour celles qui seront facultatives.
L’enjeu Nutri-Score
Le rapport semble augurer du succès du « Nutri-Score à la française » à l’échelon européen ; il s’est pourtant heurté à de sérieuses oppositions dans divers pays, et tout récemment en Italie…
F. F. : Le Nutri-Score a été mal accueilli en Italie. En atteste cet été encore une décision de l’autorité italienne de la concurrence [2] d’en interdire l’apposition sur les produits IGP en Italie. Ce pays produit en effet de nombreuses denrées agricoles et nos amis italiens craignent que certains produits au profil nutritionnel médiocre ne soient lésés par un affichage nutritionnel simplifié sur la face avant des produits. Il ne s’agit pas de savoir s’il sera rendu obligatoire, car il le sera, mais plutôt de savoir sous quelle forme il le sera. Plusieurs options sont sur la table, dont le Nutri-Score à la française, qui pour les consommateurs a le mérite de la simplicité et qui est aujourd’hui bien appréhendé par les industriels dans des démarches volontaires en Allemagne, en Suisse, au Benelux et en Espagne. Le secteur agroalimentaire italien a proposé une version différente, singulièrement plus compliquée et qui obligerait les industriels à de nouvelles adaptations.
Ne serait-il pas préférable pour toute espèce de « score » de renoncer au code couleur rouge-vert qui dramatise l’acte de consommation, le rouge étant inévitablement associé au danger ?
F. F. : Le Nutri-Score doit être pris pour ce qu’il est, c’est-à-dire un affichage simplifié, un outil d’aide à la décision en un coup d’œil, et son efficacité repose précisément sur son caractère discriminant. En France moins de 10 % des produits référencés sont notés E et la transparence de l’algorithme permet aux industriels d’améliorer leurs recettes. En parallèle, nous proposons de renforcer l’éducation à l’alimentation dès le plus jeune âge, pour favoriser une utilisation intelligente de cet outil.
Les moyens du contrôle
Vous soulignez le manque de moyens de la DGCCRF en matière de contrôle ; peuvent-ils être proportionnés à l’explosion des flux d’information ?
F. F. : Une tendance se dégage, qui est inquiétante : de plus en plus d’informations à contrôler, de moins en moins d’agents pour le faire. Il faut inverser cette tendance, et de toute urgence. Nous proposerons donc, lors de l’examen du budget en fin d’année, d’augmenter les moyens de la DGCCRF.
La charte alimentaire du CSA [3] 2020-2024 ne répond-elle pas déjà aux enjeux pour les enfants de la publicité alimentaire que vous visez dans votre quinzième proposition ?
F. F. : S’agissant de la publicité, la principale différence – et elle est de taille – réside dans le caractère contraignant que pourrait prendre notre mesure, tandis que la charte du CSA prévoit des engagements volontaires. En France, le cadre législatif, qui date de 2016, ne concerne que les chaînes publiques et les heures d’écoute des enfants, alors que les enfants regardent aussi la télévision en “prime time”. Le Royaume-Uni a pris des mesures d’interdiction plus générales, et nous appelons à nous en inspirer. L’éducation à une alimentation saine doit commencer dès le plus jeune âge.
Les échéances sont positionnées entre 2022 et 2025 selon les sujets, comment allez-vous travailler avec les acteurs concernés, en particulier les acteurs privés ?
F. F. : Certaines des recommandations nécessitent bien entendu un travail de consultation et de dialogue avec les acteurs privés, appelés à les concrétiser. Nous jugeons ces mesures utiles et urgentes : il nous paraît donc important que le gouvernement s’en empare au plus vite, et qu’il entame ce travail de concertation avec les principaux concernés.