Entretiens

Des marques en vérité

13/05/2024

Les enjeux de santé publique et de souveraineté alimentaire requièrent des marques une relation de confiance avec les consommateurs fondée sur des preuves. Sollicitées pour afficher volontairement, avec Origine-Info, la provenance de leurs ingrédients, les marques alimentaires n’ont pas été surprises. L’idée est née parmi elles. Entretien avec David Garbous, président du collectif En Vérité et fondateur du cabinet Transformation positive.

Quel a été l’acte déclencheur du collectif En Vérité ?

David Garbous : C’est en novembre 2021 que nous avons créé l’association, Sébastien Loctin et moi-même. Nous partions du constat que les entreprises les plus volontaires, les plus engagées, ne sont pas toujours récompensées de leurs efforts. Elles font des investissements spécifiques, avec des surcoûts, et répondent aux attentes d’une partie des consommateurs, particulièrement sur le climat. L’alimentation représente trente pour cent des émissions de gaz à effet de serre. Tout citoyen a la possibilité, par ses choix, de contribuer à leur réduction en changeant de produit, mais il doit lire des informations plus compliquées, sur l’emballage d’une marque qui s’engage que celui d’une marque qui n’agit pas, et il doit payer plus cher. dans un contexte inflationniste. L’idée que les marques défendraient leurs intérêts avant l’intérêt général, s’intéresseraient à leurs actionnaires avant les consommateurs est préjudiciable aux marques engagées et à leurs dirigeants sincères, que le collectif En vérité entend réunir pour les promouvoir auprès des parties prenantes : ONG, politiques, journalistes, etc. Deux organisations agissent dans ce sens : le mouvement Impact France, dirigé par Pascal Demurger et Julia Faure, et l’Ilec, qui prend de plus en plus en compte l’intérêt général dans son discours et ses actions.

Qui compose le collectif et combien comptez-vous d’entreprises adhérentes ? Les distributeurs, dont certains [1] avaient lancé un projet similaire en 2019 et 2020, sont-ils associés ?

D. G. : En 2021, au début de sa création, l’association comptait douze entreprises adhérentes. Elles sont aujourd’hui soixante, cumulant 2 milliard d’euros de chiffre d’affaires dans l’univers alimentaire (D’aucy, Les 2 Vaches, Léa Nature, Harri & Co, Nod, Cereal Bio, Vrai, etc.). En Vérité a un conseil d’administration qui se réunit tous les quinze jours ; après Sébastien Loctin, je suis depuis septembre 2023 son second président. L’intégralité des cotisations est réinvestie dans des actions de lobbying et les relations presse. Depuis cette année, le collège est ouvert à la distribution. Nous avons deux contacts, avec une enseigne spécialisée et avec une enseigne conventionnelle.

France, UE ou hors UE

Qu’est-ce qu’Origine-Info va nous dire de plus que les mentions et labels existants ?

D. G. : Notre collectif entend répondre de la manière la plus simple possible à trois questions fondamentales que se posent les consommateurs : d’où vient le produit, par qui est-il fabriqué, comment l’est-il ? Dans l’état actuel de l’offre, les réponses ne sont pas très claires, ni accessibles aux consommateurs qui n’ont pas bac + 12 en nutrition. Elles forment pourtant le contrat de base, le contrat de confiance de toute marque. Notre collectif souhaite donner des clés de réflexion et d’action aux décideurs politiques dans le droit fil de ce qui a été accompli avec le Nutri-Score, qui permet de comprendre, en face avant du produit et en un coup d’œil, sa qualité nutritionnelle, et de le comparer avec un autre produit dans le même rayon. L’engouement des consommateurs est réel, car ils comprennent enfin l’information, donnée par un tiers de confiance indépendant des industriels. La marque ne se proclame pas A, B, C, D ou E. Le dispositif a une légitimité. Autre conséquence positive sur le plan alimentaire : les industriels ont agi pour faire progresser leurs produits et leur qualité nutritionnelle.

Concrètement, que propose votre collectif ?

D. G. : En Vérité vise la nutrition et d’autres aspects, d’où ça vient, comment c’est fait et quels sont les retombées sociales et environnementales, à partir de trois leviers. Le premier touche à la nutrition, avec à côté du Nutri-score la possibilité d’inscrire d’autres informations, dont la présence d’additifs (un jambon sans nitrites a aujourd’hui le même Nutri-Score qu’un jambon avec nitrites) ou celle d’ingrédients ultra-transformés : nous souhaitons donc un Nutri-Score augmenté de ces deux informations. Le deuxième levier concerne l’affichage environnemental du produit. Le ministère de la Transition écologique a conduit durant deux ans une expérimentation qui entre en phase de déploiement. Nous souhaitons que les industriels valorisent mieux leurs efforts en leur donnant plus de visibilité en rayon. Troisième pilier : l’Origine-info. Nous avons réalisé une étude avec Appinio en septembre 2023 pour tester une proposition opérationnelle qui réponde à la question : d’où vient ce que nous mangeons ? Un logo en forme de camembert illustre l’origine des ingrédients, selon l’importance de la part de trois sous-parties : France, UE et hors UE. Y est ajoutée une petite usine qui indique où est fabriqué le produit : en France ou ailleurs.

Nous avons testé ce logo en situation de consommation pour mesurer la perception de la marque et les ventes. Trois produits ont été testés avec le logo : les haricots verts avec D’aucy, le ketchup avec « .nod » de Biofuture [2] et le yaourt aux fraises de la marque Vrai. Le ketchup passe de 1,2 % à 11,6 % d’intention d’achat, le yaourt de 8,3 % à 19,3 %  ; les résultats sont un peu moins spectaculaires avec les haricots verts, car la majorité des acteurs affichent déjà l’origine. L’intérêt économique est donc majeur pour les marques attentives au retour sur investissement. Adopter un nouveau logo conduit à changer d’emballage, à trouver de la place sur l’emballage, à avoir une meilleure traçabilité pour informer les consommateurs. Le bénéfice en termes d’activité doit vaincre les réticences des industriels.

Distinguer ingrédients et produit

Comment « Origine-Info » se distingue-t-il du du fabriqué en France ?

D. G : Origine-Info n’est pas nationaliste. Il valorise les productions agricoles locales en indiquant leur origine géographique. Il est ainsi préférable de savoir que la mozzarella vient d’Italie plutôt que de Pologne. Aujourd’hui, mettre un drapeau français sur l’emballage ne signifie pas systématiquement que les ingrédients viennent de France. C’est la raison pour laquelle notre logo distingue le lieu d’origine des ingrédients et le lieu de fabrication du produit.

Donner la provenance des ingrédients n’est-il pas protectionniste ?

D. G. : Veut-on restaurer la confiance ? La transparence est un gage de confiance. Veut-on continuer à avoir des producteurs de lait dans dix ans ? Un plan d’urgence doit être engagé non seulement en France mais aussi sur le territoire européen pour sécuriser collectivement la qualité de la production agricole au plus proche des territoires, plutôt que de transporter des marchandises d’un bout à l’autre de la planète. Ce n’est pas du protectionnisme, c’est créer les conditions de la survie de l’espèce. C’est un enjeu de souveraineté.

Quels ingrédients seront sélectionnés, dans quelle proportion et par qui, car un produit transformé peut en compter beaucoup ?

D. G. : Tous les ingrédients de la recette doivent être sélectionnés par la marque. Nous suggérons, pour ne pas changer les emballages quand les origines changent trop vite, en raison par exemple de la saison pour les légumes, que la marque fasse la déclaration de ses achats annuels moyens de l’année précédente : ainsi pour 2024, la liste des origines de 2023. La transparence demeure.

L’indicateur va-t-il modifier la décision d’achat ? La tablette de chocolat dont l’ingrédient principal, le cacao, ne provient pas de France, risque-t-elle un effet d’éviction ?

D. G. : Oui, comme l’a montré notre étude et pour le plus grand bénéfice des marques. Dans le cas de la tablette de chocolat, il faut faire de la pédagogie sur la filière cacao, être transparent sur la façon de la produire, la rémunération des cultivateurs, la protection des cacaoyers, le lieu de fabrication… Une marque doit raconter des histoires véritables.

Éviter l’excès d’informations

L’indicateur peut-il conduire les fabricants à changer la composition de leurs produits, même en cas d’élévation des coûts ?

D. G. : C’est l’objectif. C’est ce qui s’est produit avec le Nutri-Score. Si la demande augmente du fait de l’indicateur, les prix pourront baisser, compensant l’élévation des coûts. Et à côté du différentiel de prix, il y a un différentiel de part de marché qui, en cas de progression, compense également le surcoût.

Indiquer l’origine française d’un ingrédient prouve-t-il qu’il est bon pour la santé ?

D. G. : Non, mais acheter français rassure les consommateurs, car ils ont le sentiment que nos cahiers des charges sont plus exigeants.

Êtes-vous dans une logique de notation, de scoring ?

D. G. : Pas de tout. Le nom proposé par Olivia Grégoire, ministre déléguée chargée des Entreprises, du Tourisme et de la Consommation, comportait le mot « score », qui a été abandonné.

Qui de l’État ou du privé est légitime pour définir l’indicateur ? Sera-t-il obligatoire ou volontaire ?

D. G. : Le cadre réglementaire doit être défini par le législateur, pour éviter la profusion d’informations. Il revient à chaque marque de donner ses informations à sa manière. L’expérience du Nutri-Score m’a conduit à privilégier le volontariat.

L’indicateur devrait-il figurer sur tous types de produits ? Les consommateurs attendent-ils cette information pour tous ou seulement certains ?

D. G. : L’indicateur doit être présent sur tous les produits alimentaires transformés, proposant des recettes. Des obligations existent déjà avec les produits bruts (l’origine France des fruits et légumes est mentionnée depuis 2011, celle des viandes et des vins depuis 2020 et celle des miels depuis 2022).

Contrat de base de toute marque

Comment ne pas égarer les consommateurs, alors que souvent l’emballage est soit illisible, soit incompréhensible du fait de l’abondance des informations techniques ?

D. G. : C’est une des remontées que nous avons eues lors de notre étude. Le consommateur est confronté à trop d’informations. Quand elles ont un bénéfice en termes d’activité, on doit trouver de la place sur l’emballage pour les indiquer. Aujourd’hui l’emballage est pollué par des informations souvent inutiles. L’heure est à la simplification. Ce qui n’empêche pas les marques d’aller plus loin que les informations légales, en communiquant sur leur histoire, par exemple.

Comment informer au mieux ? Sur l’étiquette, le drive en ligne, le QR-code… ?

D. G. : L’étiquette sur l’emballage est le support à privilégier, car c’est par lui que le consommateur fait son choix devant le rayon en grande surface. On peut aussi parallèlement dématérialiser les informations, pour permettre aux marques de communiquer davantage et en profondeur. Le drive en ligne et le QR-code sont des outils complémentaires.

Pourrait-on aller jusqu’à « démarquer » un produit, lui retirer son statut de marque en cas de fausses informations ?

D. G. : On ne doit pas oublier le contrat de base de toute marque. On peut retirer à une marque sa licence à opérer. Une marque qui refuse de donner l’origine de ses ingrédients ou trompe le consommateur ne mérite plus d’exister. La confiance ne se décrète pas, elle se nourrit de preuves. Il revient aux consommateurs de trancher par leurs choix.

Qu’attendez-vous du collège des consommateurs créé par votre association ?

D. G. : Certains consommateurs sont sous contrainte financière ; ceux à qui s’adresse le logo sont la catégorie des CSP + et certaines personnes plus modestes qui considèrent que le soutien aux agriculteurs est important. Dans la mesure où notre association entend porter la voix des consommateurs, il paraissait pertinent qu’ils nous rejoignent dans sa gouvernance. Ceux qui adhérent (sept à ce jour), avec une cotisation modeste, peuvent participer à tous les événements de l’association. Nous souhaitons d’ici à 2025 leur donner un siège au conseil d’administration.

Projets d’extension

À qui votre étude a-t-elle été communiquée ?

D. G. : Cette étude a été présentée entre septembre et décembre derniers à des associations de consommateurs, des députés, des sénateurs, des organisations professionnelles, qui l’ont jugée intéressante. La crise agricole a illustré son utilité et celle de l’affichage des origines pour donner aux consommateurs la meilleure façon d’aider les agriculteurs. Notre rencontre en février dernier avec Olivia Grégoire au Salon de l’agriculture a accéléré la prise de décision ; la ministre a annoncé le 22 février la création d’un indicateur « Origine-Info » [3]. Grâce à notre prototype opérationnel, nous sommes passés très vite de l’intention stratégique à la réalisation concrète. Nous avons rejoint le groupe de travail créé par Olivia Grégoire sur « Origine-Score », qui changé de nom pour Origine-Info (notre propre indicateur avait pour nom Info-Origine). Il ne s’agit pas de dire si c’est mieux ou non d’avoir une origine française, mais d’informer factuellement les consommateurs.

Le logo sera testé à partir de cet été en France. Quel est le seuil à partir duquel l’expérience pourra être considérée comme réussie ?

D. G. : L’objectif est d’avoir des résultats aussi incontestables que ceux que nous avons eus avec le Nutri-Score. Si un autre logo est jugé meilleur que le nôtre, nous n’aurons aucun ego…

Quelles autres « vérités » votre collectif voudra encore révéler ?

D. G. : La vérité de l’information nutritionnelle, dont j’ai parlé. La vérité de l’empreinte environnementale et la vérité de la juste rémunération de tous les acteurs de la chaîne alimentaire, sur laquelle nous préparons un dossier pour la fin de l’année. Chaque acteur doit trouver son compte pour relever le défi ,et pas au détriment des autres.

Le collectif pourrait-il renouveler la défunte Note Globale [4] (dont Fleury Michon a été membre quand vous en étiez le directeur marketing) ?

D. G. : Je me souviens très bien de cette Note globale et j’ai relu récemment la note stratégique qui avait conduit à sa création. Son parti pris est toujours d’actualité, et nous avons travaillé sur un projet simplifié avec seulement trois indicateurs : nutrition, environnement et origine.

Les promoteurs de l’indicateur cherchent-ils à l’étendre au niveau européen ?

D. G. : Oui, car l’enjeu de souveraineté alimentaire est européen. Nous souhaitons également étendre l’expérience à d’autres sphères que l’alimentaire : textile, cosmétique...Tous les produits de consommation sont concernés.

1. Intermarché et « Franco-Score » en 2019, inspiré de l’expérience australienne de 2016 et « l’Indice Kangourou » indiquant la part d’ingrédients nationaux dans la recette. E. Leclerc et « Savoir d’achat marque Repère », Lidl en 2020 avec affichage des pays à la place de la mention « UE ».
2. Marque de sauces, huiles et assaisonnements créée en 2021 par Sébastien Loctin.
3. Le ministère de l’Agriculture est également associé au groupe de travail.
4. Le site en ligne de cette association créée en 2018 sous le nom Ferme France est toujours consultable, mais elle a cessé ses activités en avril 2022.

Propos recueillis par Jean Watin-Augouard

Nous utilisons des cookies pour vous garantir la meilleure expérience sur notre site. Si vous continuez à l'utiliser, nous considérerons que vous acceptez l'utilisation des cookies.