Vie des marques

L’Oréal, transformation intégrale

05/03/2021

Engagé depuis plusieurs décennies dans la protection de l’environnement, le groupe L’Oréal entend associer toutes ses composantes et ses parties prenantes à un nouveau programme exprimant sa responsabilité sociale, « L’Oréal pour le Futur ». Entretien avec Hervé Navellou, directeur général de L’Oréal France.

Plusieurs dates jalonnent la transformation du groupe vers le développement durable : 1995, 2005, 2009, 2013, puis récemment en octobre 2020 avec le « Manifesto » « L’Oréal pour le futur ». Qu’apportent-elles chacune de singulier ?

Hervé Navellou : Le sujet du développement durable est inscrit dans notre histoire depuis très longtemps. “Sharing Beauty with all” était, en 2013, le premier grand programme global visant à transformer notre organisation en lien avec les enjeux environnementaux et sociétaux. Au nombre des étapes charnières de notre histoire, citons l’année 1979, quand le groupe abandonna les tests sur les animaux grâce à ses recherches sur des tests alternatifs. Un laboratoire de recherche sur l’environnement a été créé en 1995. En 2002, nous avons été l’une des premières entreprises à réaliser des audits sociaux de nos fournisseurs. En 2007, nous avons créé la Fondation L’Oréal… Sur le plan environnemental, à l’époque où ce n’était pas encore un sujet majeur, nous nous sommes engagés à réduire notre empreinte environnementale, nos émissions de carbone, nos déchets, notamment dans nos usines. Dernière étape charnière : en 2020, à l’issue de “Sharing Beauty with all”, nos objectifs fixés en 2013 étaient pour la plupart atteints voir dépassés : nous sommes parvenus à réduire nos émissions de carbone de 78 % alors que l’objectif était de 60 %. Ce fut l’opportunité de développer une vraie culture dynamique en interne dans l’ensemble des métiers, des activités, en associant aussi bien les salariés et les fournisseurs. Nous fixer des objectifs ambitieux nous a permis de faire bouger les lignes. Et de lancer un nouveau programme : « L’Oréal pour le Futur ».

Comment votre groupe se distingue-t-il dans les cinq domaines d’engagement de ce programme, climat, biodiversité, eau, ressources et inclusion sociale ?

H. N. : C’est en juillet 2020, et pour dix ans, qu’a été lancé « L’Oréal pour le Futur », qui va encore plus loin. En effet, il concerne non seulement le périmètre de notre propre activité mais aussi nos activités indirectes, nos fournisseurs, les clients et nos consommateurs. Ce programme a aussi pour ambition de définir une série d’objectifs chiffrés pour l’ensemble de nos activités, calculés selon l’approche “science based targets”, pour inscrire nos activités dans le scénario d’un réchauffement climatique limité à + 1,5 degré. C’est certes très contraignant, exigeant, mais surtout ambitieux, car l’originalité de ce programme est de concerner tout le cycle de vie du produit, de l’approvisionnement en matières premières à son usage par les consommateurs. Sept groupes d’experts se sont réunis depuis avril 2019 avec des ONG pour concevoir ce programme et ses cinq chapitres. Nous avons des objectifs concrets, quantifiés, sur la réduction de notre empreinte environnementale, celle de nos fournisseurs et celle de nos consommateurs.

Cinq domaines d’action

Pour le climat, notre programme embrasse beaucoup d’enjeux. Notre ambition est, d’ici à 2025, d’avoir l’ensemble de nos sites aussi bien en France qu’à étranger « carbone neutre » et 100 % d’énergie renouvelable. Nous visons à réduire de 25 % les émissions de gaz liés à l’utilisation des produits par les consommateurs, car on oublie souvent que l’usage final de nos produits représente une très grande partie de l’émission de carbone. D’ici à 2030, les émissions de CO2 dans le transport doivent être réduites de 50 %, comme celles générées par nos fournisseurs stratégiques.

Pour l’eau, la consommation dans nos sites avait déjà été réduite de 51 % avant 2020. Nous souhaitons que toute nouvelle formule soit totalement neutre, c’est-à-dire qu’elle ait un impact environnemental nul. D’ici à 2030, la consommation d’eau par produit fini et liée à son usage chez le consommateur doit être réduite de 25 %. 100 % de l’eau utilisée dans notre processus industriel doit être recyclée et réutilisée en boucle sur les sites. Nous souhaitons également que nos fournisseurs utilisent l’eau de manière responsable.

Pour la biodiversité et la protection de l’écosystème, 100 % des ingrédients et matériaux d’emballage doivent être traçables et issus de ressources durables, et aucun ne doit contribuer à la déforestation. Nous devons avoir un impact positif sur la biodiversité.

Pour les ressources naturelles, toujours d’ici à 2030, nous devons tendre vers une économie circulaire : 55 % des matières premières que nous utilisons sont actuellement biosourcées ; nous voulons atteindre 100 % d’emballages pastique recyclables et biosourcés. En ce qui concerne nos formules, notre objectif est que 95 % des formules soient biosourcées.

Enfin, l’inclusion sociale. C’est une valeur centrale du groupe. Deux axes sont prioritaires. Le premier est de bâtir une société plus inclusive à tous égards, et de conduire nos partenaires à le faire, à avoir le même niveau d’exigence que nous. Nous souhaitons que les salariés de nos fournisseurs soient correctement rémunérés dans le monde entier. Nous engageons des opérations pour l’accès à l’emploi de cent mille personnes issues de communautés en difficulté. Et trois millions de personnes bénéficieront des programmes d’engagement sociétaux de nos marques. Deuxième axe : mieux informer les consommateurs, pour créer une dynamique et les rendre plus responsables de leurs choix, avec en particulier un affichage de l’impact social et environnemental de nos produits, déjà décliné dans les produits capillaires de la marque Garnier et qui devra l’être à terme dans l’ensemble de notre portefeuille. Pour cela, nous voulons capitaliser sur la force de nos marques, pour agir, influencer et sensibiliser Par exemple, L’Oréal Paris, très mobilisé sur la question du harcèlement des femmes dans la rue (“StandUp”), forme vingt mille personnes par an avec l’ONG Hollaback et la Fondation des femmes ; Lancôme est très impliqué dans la lutte contre l’illettrisme des femmes (“Write her Future”) et a déjà accompagné 250 femmes en France. La Roche Posay accompagne les femmes atteintes du cancer. Grace à nos marques, nous les informons également sur le tri, avec notre programme « Trions en beauté ».

Huit produits sur dix au défi de progresser

La crise du Covid vous a-t-elle conduits à modifier votre feuille de route ?

H. N. : Le programme « L’Oréal pour le Futur » a été construit bien avant la crise. Celle-ci a surtout confirmé la pertinence de nos choix et l’évidence de le mettre en œuvre très rapidement. Il y avait urgence à se mobiliser, agir pour accélérer nos actions de transformation

Quels sont les points de passage obligés d’une transformation légitime et durable ?

H. N. : On peut dégager trois facteurs de réussite. Le premier : mettre les questions de développement durable et d’engagement sociétal au cœur du modèle de l’entreprise, de son activité, pour en faire un objectif stratégique. Le deuxième facteur repose sur la manière d’associer les métiers, de mobiliser toutes les équipes, de les former, d’orchestrer leur contribution. Troisième facteur : il n’est pas de projet crédible sans mesurer rigoureusement les impacts, sans des outils efficaces. L’Oréal utilise depuis plusieurs années un outil développé par nos experts qui attribue à chacun de nos produits une note qui mesure l’impact environnemental à partir des ingrédients, de l’emballage, de l’usine dans laquelle il est fabriqué, du transport, des actions sociétales faites par la marque qui porte le produit ; 80 % des produits mis sur le marché doivent progresser par rapport à la note moyenne de la marque à laquelle ils appartiennent.

Quels sont les effets sur le plan des investissements et sur celui des emplois ? Y a-t-il un effet d’entraînement ?

H. N. : Oui, par exemple le programme “Green Sciences” mis en place par nos chercheurs pour avoir des matières premières et des ingrédients à impact environnemental nul, des matières premières renouvelables. Les investissements suivent quand les enjeux sont prioritaires. On ne se pose pas la question de savoir si investir dans le recyclage coûte de l’argent. On a un devoir moral d’agir, une entreprise se doit d’être utile dans son environnement.

Cette transformation porte-t-elle sur la manière d’attirer les talents ? Lesquels ? Et sur la manière d’exercer demain vos métiers ?

H. N. : Les entreprises qui ne prennent pas à bras-le-corps le développement durable ne vont guère attirer les talents de demain. On le constate avec les jeunes, qui veulent donner du sens à leur travail et choisissent les entreprises en fonction de leur ambition et de leurs actions en matière de développement durable. Elles ont un pouvoir d’attraction considérable. De nouveaux métiers vont apparaître, car le développement durable exige de la rigueur, des métiers techniques. Le groupe L’Oréal a entrepris un programme de formation des équipes sur les enjeux, les limites planétaires, la manière de gérer l’empreinte environnementale d’un produit, les nouvelles technologies, tant du côté des formules que de l’emballage.

Trois mille salariés formés

Cet enjeu concerne-t-il toutes les strates de l’entreprise ?

H. N. : Absolument. Il y a deux grandes transformations aujourd’hui qui touchent toutes les strates de nos organisations : la digitalisation et les enjeux environnementaux, qui appellent de nouvelles compétences, de nouvelles disciplines.

Comment impliquez-vous les salariés et les parties prenantes dans la conceptualisation des engagements et leur mise en œuvre ?

H. N. : Pour la filiale France que je dirige, nous avons formé 80 % d’entre eux, soit trois mille personnes sur six mois, aux fondamentaux du programme « L’Oréal pour le Futur », à travers différents webinaires. Nous avons proposé quatre thématiques à des ateliers pour recueillir des propositions d’action concrètes : la réduction des émissions CO2 au-delà de ce qui est déjà fait dans les usines, la réduction du plastique au-delà de celui utilisé pour les emballages, la réduction des déchets (les produits invendus, les fins de séries, inventer une seconde vie à nos produits) et l’éducation du consommateur. Nous souhaitons également associer nos fournisseurs, en consacrant des sessions et des journées pour leur faire comprendre notre niveau d’ambition, partager nos bonnes pratiques.

Votre dernière campagne de communication met en scène six femmes et un homme, tous salariés du groupe. Est-ce la première fois que L’Oréal ne recourt pas à des stars ?

H. N. : Oui, les salariés mis en scène sont des personnes très engagées et qui étaient volontaires pour participer à cette campagne. Ce sont les meilleurs témoins de nos engagements, nos meilleurs ambassadeurs, car ce sont notamment eux qui contribuent, au quotidien, à améliorer nos impacts environnementaux et sociétaux. Ils sont issus d’univers et de métiers divers, marketing, environnement, recherche, production… La France est le pays pilote pour le déploiement de cette campagne.

Est-ce également la première fois que vous communiquez auprès du grand public sur le développement durable ?

H. N. : Oui, c’est la première fois que nous menons une campagne sur les engagements environnementaux et sociétaux de cette manière, même si depuis quatre ans nous informons sur l’importance du tri dans nos publicités, avec un message récurrent, « Trions en beauté », et un site internet auquel le consommateur peut se référer.

Une image erronée

Dans l’imaginaire collectif, L’Oréal n’est pas immédiatement associé à une entreprise engagée…

H. N. : Vous avez raison, mais cette image est erronée, car L’Oréal est une entreprise très engagée, depuis longtemps. Elle n’a cependant pas assez communiqué, d’où ce déficit de notoriété en ce domaine. Nous avons voulu agir avant de dire. Soulignons par exemple qu’une organisation internationale de référence, le Carbon Disclosure Project, nous attribue pour la cinquième année un triple « A » en matière de développement durable. L’Oréal est la seule entreprise à s’être vu décerner cinq ans de suite cette note exceptionnelle dans chacune des trois thématiques évaluées par le CDP : la lutte contre le changement climatique, la préservation des forêts et la gestion durable de l’eau. Autres exemples : L’Institut Éthisphère, numéro un mondial dans la définition et la promotion des standards d’éthique des affaires, nous classe pour la onzième année comme l’une des entreprises les plus éthiques au monde. Nous sommes aussi dans le Top 10 mondial de l’indice Diversité et Inclusion de Refinitiv. Nos actions sont pour l’heure très reconnues par les spécialistes, un peu moins par l’opinion publique. Ce qui justifie notre dernière campagne de communication.

À l’heure où l’utile semble prendre le pas sur le futile, l’essentiel sur le superficiel, à quels besoins et attentes la beauté peut-elle répondre ?

H. N. : De fait, nous sommes dans une époque marquée par des attentes de transparence, de sincérité, d’utilité et de sobriété. Les marques doivent plus que jamais bien définir leur mission, leur territoire, leur utilité, et la beauté n’échappe pas à ces impératifs. Nous avons créé le site  Au cœur de nos produits, afin de donner au grand public de l’information sur leur composition. Nous avons aussi lancé en janvier dernier une campagne sur les réseaux sociaux pour inciter les consommateurs à nous poser des questions, et leur apporter des réponses en direct, grâce à nos experts et chercheurs. Nous allons reconduire régulièrement ce genre d’opérations.

Le groupe L’Oréal s’engage-t-il vers le statut d’entreprise à mission ?

H. N. : Notre priorité est d’abord d’agir, d’avoir des résultats, des engagements concrets. Tirer le secteur des cosmétiques vers le meilleur. Nous avons comme responsabilité d’être aussi exemplaires que possible.

Dans une récente communication, L’Oréal se présente comme étant « solide et solidaire »…

H. N. : L’année 2020 a montré notre solidité, notre résilience et notre résistance aux chocs du Covid-19. Nous avons été solides dans nos relations avec nos clients, nos consommateurs, nos parts de marché et l’accompagnement de nos salariés. Solidaires, nous l’avons été aussi quand nous avons adapté nos lignes de production pour fournir du gel hydroalcoolique aux personnels soignants, et nous avons aidé nos clients en facilitant les conditions de paiement. Ces deux mots reflètent bien les engagements du groupe.

Propos recueillis par Jean Watin-Augouard

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