SEB en France, pour le haut de gamme
30/04/2021
Le groupe SEB compte-t-il au nombre des entreprises soucieuses du « made in France », et si oui depuis quand ? Est-il une exception dans le petit électroménager ?
Alain Leroy : SEB est un groupe mondial qui possède quarante usines dans le monde (vingt-deux en Europe dont onze en France, et dix en Asie), et le « made in France » a effectivement une place stratégique importante, mais pas uniquement : nous jonglons entre les productions locales proches des marchés, la compétitivité de nos produits et le besoin, parfois, de produire dans des pays à bas coûts. La décision finale de produire dans une usine plutôt qu’une autre ressort d’un consensus entre prix de revient et délai de disponibilité client. Certaines usines du groupe en France sont des exceptions : par exemple celle de Pont-l’Évêque, qui est la dernière en France à produire des fers à repasser et des générateurs vapeurs, ou encore celle de Vernon qui fabrique des aspirateurs. N’oublions pas que produire en France coûte cher. Nous nous démarquons de nos concurrents par le choix qui est le nôtre de conserver des usines en Europe pour être proches de nos clients. Nous y fabriquons des produits haut de gamme, à haute valeur ajoutée, avec de nombreux brevets. Nos marques sont réputées.
Toutes les marques du groupe sont-elles concernées ? Combien y a-t-il d’usines en France et pour combien d’emplois ?
A. L. : Si nous possédons une trentaine de marques, seules Rowenta, Calor, Moulinex, Tefal, SEB, Krampouz (machine à crêpes) et Krups (machines à café) sont concernées. Nous produisons également localement des marques comme Arno au Brésil, Supor en Chine ou All-Clad aux États-Unis. Enfin nous avons racheté nombre de marques locales dédiées à un segment de produit : c’est le cas en France de Calor, Moulinex, Tefal ou SEB.
Le groupe SEB compte onze usines en France, pour un peu plus de trois mille emplois de production et près de six mille emplois au total.
Comment s’arbitre la localisation ? Quels avantages comparatifs permettent de demeurer en France, et en dépit de quels désavantages ?
A. L. : En général, nous localisons en France les produits à forte valeur ajoutée, les produits innovants que nous voulons préserver du risque de copie, et les produits dont la part de coût de main d’œuvre reste faible dans le coût total. Les produits fabriqués en France sont généralement aussi plus automatisés que les produits fabriqués dans les pays à bas coûts. Enfin lorsque la proximité client est importante, comme dans le cas de produits personnalisables (par exemple une cocotte-minute dont on peut choisir forme, couleur des poignées et accessoires et que l’on peut faire graver d’un motif ou d’un message…), nous privilégions la France pour le marché français. Afin de rester compétitifs, nous localisons dans les pays à moindres coûts les produits peu chers dont les prix de vente ne nous permettent plus de produire en France comme les bouilloires, grille-pain, cafetière filtre, etc. À titre d’exemple, le coût de la main d’œuvre en Chine est sept fois moins élevé que dans l’Hexagone. Bien entendu, nous gagnons sur les coûts de transport, mais cela ne suffit pas à compenser. Produire en France est cependant moins cher que dans les pays nordiques ou l’Allemagne.
Le groupe a-t-il été conduit à relocaliser certaines fabrications grâce au recours plus massif à la robotisation et à l’automatisation ?
A. L. : La robotisation et l’automatisation nous permettent de rester compétitifs au plan mondial et de maintenir une production en France. Elles ont également permis de créer des emplois plus qualifiés en offrant à nos collaborateurs de monter en compétence, par des formations internes principalement, mais également en recourant à la validation des acquis de l’expérience (VAE) pour des rôles de conducteur de machine, de régleur. Certains diplômes sont validés par l’Éducation nationale. Un autre avantage de la robotisation est l’amélioration des conditions de travail des salariés, notamment pour les postes qui induisent des gestes répétitifs ou le port de charges lourdes, ou encore par l’optimisation de l’ergonomie des postes de travail.
Toutes les pièces d’un produit « fabriqué en France » doivent-elles venir de France ?
A. L. : Non, il est possible d’acheter certaines pièces dans des pays voisins, soit parce qu’elles y sont moins chères , soit parce qu’elles ne sont tout simplement pas fabriquées dans notre pays, et d’effectuer l’assemblage final en France, au plus près des clients. Les petites pièces, étant plus compétitives, viennent de pays à bas coûts, quand des grosses pièces – comme des moulages – sont produites sur place, réduisant le coût du transport.
Quelle est la proportion d’entreprises françaises parmi vos fournisseurs, et trouvez-vous en France toutes les compétences nécessaires ?
A. L. : Je parlerais plutôt d’entreprises localisées en France. Au niveau du groupe, elles représentent 13 % des fournisseurs pour les achats de production. Les usines françaises quant à elles travaillent avec 50 % de fournisseurs installés sur le territoire national. Pour le reste de nos achats (indirects), les entités en France font appel à 83 % de fournisseurs français. Ces pourcentages sont en moyenne plus élevés que ceux de nos concurrents, car nous achetons beaucoup en France. Pour des questions de proximité et de délais, nous travaillons avec des petits fournisseurs proches de nos usines.
Les compétences se trouvent plus au moins facilement car nos métiers sont très divers. Ainsi nous n’avons aucune difficulté pour recruter, le groupe SEB bénéficie d’une belle image en France. Pour les services support, dans les domaines de la transformation digitale, de l’industrie du futur… c’est plus compliqué : intelligence artificielle, analyse de données, Internet industriel des objets (IoT industriel), etc. Dans le domaine de la supply chain, domaine récent dans l’industrie, on constate une tension sur les métiers.
Associez-vous des filières de formation professionnelle, des départements universitaires, ou des start-up, à votre recherche-développement ?
A. L. : Oui, bien entendu. Suivant les besoins, nous n’hésitons pas à aller chercher les compétences là où elles se trouvent. Nous avons également une structure d’investissement, SEB Alliance, qui identifie et investit dans des start-up proposant des technologies disruptives, des innovations dont nous souhaitons accompagner le développement.
Quelle est la part du « made in France » dans vos ventes mondiales ? Peut-on vendre du « franco-français » quand les habitudes culinaires varient selon les pays ?
A. L. : Ce ne sont pas des chiffres que nous avons l’habitude de communiquer, mais pour vous donner un ordre de grandeur, le « made in France » représente environ 20 % de nos ventes mondiales. Le chiffre est plus proche des 50 % lorsque nous regardons les ventes exclusivement françaises.
Oui, on peut vendre du franco-français, car certains produits sont au-dessus des cultures culinaires, comme les grills, les bouilloires, les planchas, les poêles ou les machines à café… Et nous mettons également sur le marché des produits pour l’entretien de la maison ou le soin de la personne. C’est universel !
Le fait de produire en France affecte-t-il l’empreinte carbone globale d’une marque ?
A. L. : Oui, mais uniquement pour les ventes en France et dans les pays voisins, puisque les transports sont moindres en termes de coût. C’est plutôt l’opposé pour des ventes au Japon ou aux États-Unis. Tant que cela n’entrave pas notre compétitivité, nous souhaitons produire et vendre sur le même continent. Ainsi, ce qui est produit en Asie doit être vendu en Asie. Ce n’est certes pas toujours le cas : par exemple quand des produits sont vendus à moins de 50 euros et qu’ils ne peuvent donc être produits dans des pays aux coûts de production élevés. La Chine reste l’usine du monde pour ce type de produits. En revanche, pour tous les produits haut de gamme – vendus par exemple à 1 000 euros –, dès que le prix de la valeur ajoutée humaine – la part de la main d’œuvre – est faible par rapport au prix de la matière, nous restons en Europe, et bien sûr en France.
La promesse d’une réparabilité » sur dix ans des accessoires, pièces détachées et ustensiles de cuisine engage-t-elle davantage le groupe à demeurer en France ?
A. L. : Non, c’est un engagement valable partout dans le monde, là où nous sommes présents. Forts d’un réseau de six mille deux cents réparateurs, nous sommes organisés pour approvisionner nos pièces de rechange dans le monde entier. Aujourd’hui, 94 % de nos produits de petit électroménager sont réparables pendant au moins dix ans.
Observez-vous auprès de vos consommateurs un attachement particulier au « made in France » ?
A. L. : Oui, acheter local est une vraie tendance. Mais ce que le consommateur cherche, c’est surtout une marque de confiance, la qualité d’un produit, son design, son prix et le service qu’il lui rend au quotidien. Cela reste sa principale raison d’achat. Il nous faut donc continuer à sortir des produits innovants qui satisfont les consommateurs et anticipent leurs besoins.
Propos recueillis par Jean Watin-Augouard